Le 17 janvier, pour la quatrième fois, Agence française de développement (AFD) et Business France ont organisé de concert un atelier débat sur les activités de l’AFD en Afrique devant 110 entrepreneurs, en présence d’une dizaine de directeurs pays de l’agence. L’occasion de rappeler, un an après l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, que l’Afrique restera le principal champ d’intervention de l’AFD dans les années futures.
La raison en est simple : la France veut que ses entreprises profitent davantage du développement d’un continent, dont elle est un acteur incontournable et dont on dit qu’il va émerger. Aujourd’hui le temps où les directeurs d’agence martelaient qu’ils faisaient « du développement » et « pas des affaires » est révolu. Le discours est aujourd’hui plus nuancé.
Jouer la carte de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)
Le principe de l’aide déliée et la mission de développement ne sont pas remis en cause. Mais, tout en accompagnant les États africains, l’AFD est priée de se pencher sur les domaines « où il existe une offre française compétitive et de qualité ». Un message maintenant bien connu et remâché qui structure notamment la relation avec Business France, l’agence publique dédiée à l’accompagnement des entreprises dans leurs développements commerciaux à l’international.
Dorénavant, on échange des informations, on met en avant le savoir faire tricolore et l’AFD impose dans les projets qu’elles financent des critères qualitatifs en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ce qui constitue a priori un atout, pour les entreprises françaises qui intègrent cette norme depuis plus longtemps, par rapport à leurs concurrentes venues de certains pays émergents ou low cost qui intègrent beaucoup moins ou pas du tout ces aspects dans leur pratique.
Plus regardantes, mieux préparées, les entreprises françaises bénéficient aussi des travaux effectués par les patronats français (Cian, Medef), qui se sont emparés de la RSE pour en diffuser les normes et les pratiques auprès des entreprises françaises, leur permettant ainsi de conserver cet avantage comparatif sur les marchés internationaux.
Deux opérateurs complémentaires en France et en Afrique
En ce qui concerne le dispositif public, l’AFD et Business France opèrent désormais en bonne entente et de façon complémentaire.
« Nous avons une connaissance approfondie de l’Afrique, avec nos 85 agences couvrant une centaine de pays, et une palette d’instruments variée, dont notre filiale pour le secteur privé Proparco », rappelait le directeur général délégué de l’AFD, Jérémie Pellet, dans son discours d’ouverture de l’atelier débat, dans les locaux de l’AFD. En revanche, « nous n’avons pas vocation à avoir un réseau en France. En revanche, Business France en possède un », se félicitait, de son côté, le directeur général de l’Agence française de développement, Rémy Rioux.
En Afrique, Business France possède 11 bureaux couvrant 25 pays. Elle va y accroître ses efforts: le directeur général de Business France, Christophe Lecourtier, a révélé lors d’une audition au Sénat le même jour que l’agence se renforcerait « en Afrique, en particulier francophone »*. L’agence accompagne sur le continent 800 entreprises par an et doit intensifier ses efforts. « L’objectif est de passer à 1 000 à la fin de l’année », a précisé, Frédéric Rossi, son directeur général délégué Export, lors de l’atelier. Sans oublier les volontaires internationaux en entreprise, que gère l’agence : 460 de ces jeunes VIE travaillent sur ce continent –sur un total de plus de 10 000 en poste dans le monde– pour 400 sociétés de l’Hexagone.
Tout laisse à penser que les deux agences publiques seront amenées à accentuer leur collaboration. Les engagements de l’AFD ont atteint « un niveau historique », a rappelé Jérémie Pellet, avec plus de 5 milliards d’euros en Afrique sur un total de 10 milliards, soit « deux fois ce que fait la Banque européenne d’investissement sur ce continent ». Comme « l’ambition est d’aller au-delà des 11 milliards », la part de l’Afrique, qui devra toujours être de 50 %, augmentera mécaniquement en valeur. « Emmanuel Macron a marqué son intérêt dans le développement des entreprises sur le continent africain et l’aide publique au développement devra passer de 0,39 % du revenu national brut à 0,55 % d’ici à 2022 », a ajouté Jérémie Pellet.
La transition énergétique au centre des intérêts
La stratégie de l’AFD est aujourd’hui de regarder l’Afrique comme un ensemble et non plus de séparer l’Afrique du Nord de l’Afrique subsaharienne. Une vision logique, au regard de la réalité : les échanges se multiplient des deux côtés du Sahara et le découpage entre les deux zones a vécu.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’étudier l’offensive des groupes ainsi que des PME marocains, parfois soutenues par des organisations professionnelles structurées, au sud du Sahara. « Tout Afrique, c’est notre stratégie aujourd’hui », a confirmé Rémy Rioux, en se tournant vers Jean-Louis Guigou, le président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), qui se trouvait au premier rang dans la salle.
Enfin, il y a le choix des secteurs d’intervention. Certes, l’action de l’AFD s’inscrit toujours dans un cadre national, certes chaque État bénéficiaire impose ses priorités. Le client est aussi l’État et c’est l’État qui lance les appels d’offres. Dans ce cadre général, assez logiquement, les infrastructures demeurent le premier domaine d’intervention de l’AFD. Pour autant, d’autres secteurs ont émergé, comme l’énergie et plus particulièrement la transition énergétique qui a suscité de nombreuses questions dans la salle.
« Les énergies renouvelables sont un défi que nous relevons depuis quatre à cinq ans, il faut évidemment que ça prenne, confiait ainsi au Moci Jean-Pierre Marcelli, directeur du département Afrique subsaharienne de l’AFD. Maintenant, nous sommes aussi dans le numérique, mais ce n’est pas semblable, expliquait-il. L’énergie, c’est une finalité, le numérique, c’est un moyen. Et la prochaine étape, c’est l’agrobusiness. Il faut sortir de la priorité de la seule subsistance aux populations. Il faut nourrir la classe moyenne africaine, faire émerger une industrie, à l’image de ce que l’on voit déjà au Nigeria et au Kenya avec des investisseurs privés qui veulent produire ».
Du solaire à la géothermie, en passant par la biomasse
Le 29 novembre dernier, Emmanuel Macron inaugurait, avec le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, la plus grande centrale solaire d’Afrique de l’Ouest, à Zagtouli, construite par Cegelec, une filiale de Vinci**. D’une puissance maximale de 33 mégawatts (MW), son coût total de 47,5 millions d’euros a été assuré par l’Union européenne (25 millions) et l’AFD (22,5 millions).
Répondant à une critique émise dans la salle, Jean-Pierre Marcelli a réfuté le fait que l’AFD ne finançait que des projets dans le solaire. Et de citer des réalisations dans l’éolien en Afrique de l’Est ou en Égypte avec Proparco. Cette dernière espère aussi finaliser un projet de biomasse en Côte d’Ivoire. L’AFD s’intéresserait aussi à la géothermie au Kenya.
Enfin, dans l’hydroélectricité, plusieurs projets sont suivis au Cameroun et en Guinée. « Mais ce sont des projets qui prennent du temps, a expliqué Jean-Pierre Marcelli, car il faut évidemment étudier leur impact environnemental et social, notamment prévoir le déplacement des populations locales et les compensations auxquelles elles ont droit ». Souvent, n’a-t-il pas caché, « les bailleurs de fonds traditionnels sont réticents à financer ce type d’opérations. Le problème alors, c’est que les États africains se tournent vers des créanciers moins regardants ».
La formation au service d’une main d’œuvre qualifiée
Lors de son discours aux jeunes au Burkina Faso, le 28 novembre 2017, le président de la République française a placé en tête des priorités l’éducation, l’enseignement technique, la formation professionnelle, insistant également sur la formation des enseignants et la scolarisation obligatoire des jeunes filles. « Je demanderai à l’AFD, avait déclaré Emmanuel Macron à l’université de Ouagadougou, de soutenir en priorité les programmes visant à la scolarisation des jeunes filles. Je fixerai à nos ambassades l’objectif d’attribuer des bourses d’études en France en priorité à des jeunes filles ».
Une priorité qui a été intégrée par les opérateurs publics et qui intéresse les entreprises. « Il faut investir dans la formation, ce qui vous permettra d’avoir des salariés plus nombreux et mieux formés », a souligné Rémy Rioux. Certains pays comme l’Éthiopie misent sur la formation d’une main d’œuvre qualifiée pour s’industrialiser. D’autres, les plus nombreux, veulent en priorité créer de l’emploi.
François Pargny
*Lire, à ce sujet, Aides à l’export : Ch. Lecourtier précise aux sénateurs ses propositions
**France / Afrique : E. Macron et R. Kaboré inaugurent la plus grande centrale solaire ouest-africaine
***France / Afrique : Europe, jeunesse, diplomatie économique, trois priorités d’E. Macron
Pour prolonger :
– Développement / Entreprises : le groupe AFD-Proparco confirme sa lune de miel avec le secteur privé
– Financements / Export : les patrons français courtisés par le groupe AFD, la CDC et Bpifrance
– Développement / Entreprises : l’AFD prête à partager ses expertises avec les opérateurs économiques français
– Amérique latine / Export : ce que l’AFD peut faire pour les entreprises françaises
Et aussi
– Rapport CIAN 2018 – Les entreprises internationales en Afrique
– Le Guide Moci « Où exporter en 2018 ? » avec plusieurs pays africains : Maroc, Égypte, Nigeria, Sénégal