L’Afrique peut compter sur l’Agence française de développement (AFD). « Nous sommes raisonnablement optimistes », a indiqué Thomas Melonio (notre photo), son directeur exécutif de l’Innovation, de la recherche et des savoirs, le 16 janvier, lors d’un petit déjeuner de presse, visant à présenter l’ouvrage, intitulé « l’économie africaine 2020 »*.
Ce premier ouvrage global sur toute l’Afrique – continent auquel l’AFD aura consacré la moitié de ses 14 milliards d’euros de financement en 2019 – sera renouvelé chaque année pour présenter des analyses macroéconomiques et thématiques du continent (par exemple, cette année sur l’industrialisation, le surendettement, l’urbanisation, le foncier rural au Mali et la migration).
L’Afrique va mieux
« En donnant une vision économique de l’Afrique accessible aux entrepreneurs, aux investisseurs, aux décideurs, journalistes et étudiants, c’est aussi l’occasion de lutter contre les idées reçues souvent plus négatives que positives », a soutenu Thomas Melonio.
L’Afrique va mieux et l’agence publique veut le faire savoir. Après une croissance économique de 3,4 % en 2018, celle-ci devrait légèrement baisser en 2019, avec + 3,2 %, puis remonter à 3,8 % cette année, en dépit d’une multitude d’incertitudes et de défis internes et externes, comme les transitions politiques, le contexte sécuritaire ou la montée de l’endettement.
« Malgré le ralentissement en Afrique du Sud et les difficultés du Nigeria, de l’Algérie et l’Angola, trois pays qui représentent 45 % du produit intérieur brut (PIB) du continent, l’Afrique fait preuve d’un dynamisme », a confirmé Yasmine Osman, économiste à l’AFD. Preuve en est que 20 pays ont engrangé une croissance économique supérieure à 5 % en 2019 et que le Sénégal figure parmi les 20 pays les plus dynamiques au monde.
Le Sahel en tête
Par région, deux seraient à la traîne, Afrique australe et centrale, alors que cinq seraient justement dynamiques, Afrique de l’Est, Golfe de Guinée hors Nigeria, océan Indien, Afrique du Nord grâce à l’Égypte et Sahel.
Dans ce bilan sur la croissance économique, Thomas Melonio a pointé « deux idées reçues » pour les démonter : d’abord que le Sahel ne se développerait pas, en raison du contexte politique et sécuritaire, voire social (les peuls, éleveurs nomades, contre les populations touarègues ou les dogons au Mali) – c’est faux, puisque que cette zone sera encore la plus dynamique cette année avec les régions de l’Est et du Nord ; ensuite, que le dynamisme économique serait le fruit des mines et des hydrocarbures – c’est aussi faux. Selon lui, « les prix des matières premières sont bas et les secteurs qui se portent bien sont les services et l’agriculture ».
« C’est l’agriculture, grâce à une bonne pluviométrie, et des matières premières qui se portent bien » qui expliquent que le Sahel est « la région d’Afrique avec la plus forte croissance en 2019 et 2020 », s’est réjoui Rémy Rioux, directeur général de l’AFD. « Un taux de croissance à l’asiatique » de 5,9 % est ainsi prévu cette année, après + 5,4 % un an plus tôt. Pour autant, les problèmes du Sahel sont bien réels : terrorisme, inégalités, problèmes fonciers, tensions sociales, etc.
L’industrialisation stagne
Pour toutes les économies du continent, encore plus pour les pays pétroliers, la diversification doit être encouragée. A cet égard, Thomas Melonio s’est avoué « préoccupé » par l’état de l’industrialisation en Afrique. « Il y a une stagnation de l’industrie par rapport au PIB. Même en Éthiopie, où la politique industrielle est affirmée, la production de l’industrie manufacturière stagne, alors que la construction progresse, créant de l’emploi et des logements » a-t-il insisté.
Autre source d’inquiétude, l’endettement public, qui aurait augmenté de 25 points de PIB depuis 2010 pour représenter 60 % du produit intérieur brut africain, soit 1 330 milliards d’euros en 2018. Aux bailleurs de fonds traditionnels, multilatéraux et bilatéraux, se sont ajoutés de nouveaux, ce qui pose la question de la soutenabilité de cette dette. Et ce ne sont pas seulement des pays comme la Chine, l’Inde, les pays du Golfe, la Turquie, le Brésil, mais aussi les marchés obligataires internationaux, qui n’offrent pas les mêmes taux concessionnels.
Le côté positif est que ces appels de capitaux répondent à des besoins en construction d’écoles ou d’hôpitaux bien réels. « Rares sont les pays à utiliser la dette pour financer leurs dépendances courantes, ce sont généralement les pays riches ou détenteurs de matières premières. La grande majorité s’en sert pour financer des investissements dans les infrastructures », a observé Christophe Barat, chef de projets Gouvernance des entreprises publiques à l’AFD.
Pour réduire cet endettement, selon Rémy Rioux, « la question qui se pose est celui de la mobilisation des ressources domestiques et de la montée de la pression fiscale ». L’impôt est faible, si bien que le taux de pression fiscale varierait de 10 à 15 % dans nombre de pays et atteindrait seulement 8 % au Nigeria.
Les solutions pour améliorer l’impôt
Pour accroître les recettes de l’État, Rima Le Guoguic, directrice Afrique de l’AFD, a estimé indispensable « d’élargir l’assiette de l’impôt en taxant l’économie informelle, de s’attaquer à la fraude, de développer la capacité de collecte en zone rurale ». Il faudrait aussi « en finir avec les exemptions accordées à de grandes entreprises dans le bois ou les mines qui ne sont pas justifiées, augmenter les taux et, enfin, créer des recettes parafiscales, douanières par exemple, pays par pays».
« Il faut taper le grand informel, c’est là que se trouvent les marges de manœuvre », a renchéri Christophe Barat. Pour ce responsable, il ne faut pas s’adresser « au petit paysan éloigné », mais « aux commerçants urbains qui ne paient pas parce qu’ils possèdent des connexions politiques ». C’est donc avant tout, d’après lui, « une question de gouvernance à régler à court terme ».
Des propos repris par Stéphanie Rivoal, secrétaire générale du Sommet Afrique France qui se tiendra à Bordeaux du 4 au 6 juin.Selon cette ancienne ambassadrice de France en Ouganda, rien ne pourrait se faire « sans que les peuples consentent à l’impôt ». Or, « il y a problème de confiance, parce qu’il y a trop de corruption et d’inefficacité dans l’emploi de l’argent public » a-t-elle souligné. En conséquence de quoi, la « résistance à l’impôt » demeurera tant qu’il n’y aura pas « une moralisation des élites africaines dans les ministères et les agences ». Un travail qui demandera du temps.
François Pargny
*L’économie africaine 2020, Collection Repères, Éditeur La Découverte, 126 pages