Les industriels français ne sont pas toujours tendres avec la Commission européenne, accusée souvent de trop réglementer. Aussi faut-il relever le soutien que lui apporté Eric Trappier, le président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), qui, lors de la présentation de ses vœux à la presse française, le 11 janvier, s’est félicité que la Commission européenne ait « mis les pieds dans la Défense ».
De façon concrète, l’exécutif européen a proposé, en juin 207, un règlement visant à renforcer la base industrielle et technologique de la défense européenne et l’autonomie stratégique de l’Union européenne (UE). « C’était nouveau. Le programme européen de développement industriel de la défense (EDIDP), en cours d’agrément auprès du Parlement européen, va nous donner la possibilité de cofinancer des programmes de développement », s’est ainsi réjoui Eric Trappier, également P-dg de Dassault Aviation.
Des coopérations avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et sur les drones
Ce décollage de la Commission européenne n’est pas fortuit. Les circonstances s’y prêtaient plutôt pour au moins deux raisons.
D’abord, il y a – c’est un départ – une volonté partagée par plusieurs Etats de l’UE d’une coopération structurée permanente en matière de défense européenne. Ensuite, ces différentes initiatives n’auraient pas été possibles sans le Brexit. En effet, le Royaume-Uni a toujours été opposé à une politique européenne, tout en défendant l’idée de coopérations étatiques.
Reste que la sortie de l’UE de ce grand pays de production inquiète de grands avionneurs comme Airbus et Dassault détenant des actifs outre-manche. Sans parler du cas de MDBA, le leader européen dans la conception de missiles et de systèmes de missiles, filiale commune d’Airbus, du britannique BAE Systems et de l’italien Leonardo implantée des deux côtés de la Manche.
Preuve de l’intérêt des Britanniques pour des coopérations étatiques, depuis les accords de Lancaster House signés en 2010 par Paris et Londres, des coopérations sont menées, notamment des études sur des technologies pouvant servir dans le futur pour des avions. La défense et la sécurité seront encore au menu du Sommet franco-britannique, qui se tient le 18 janvier à Sandhurst, au sud de Londres.
Lors du dernier Sommet franco-allemand, des discussions avaient aussi été entamées par Paris et Berlin. « Le but du président Macron est de disposer d’une feuille de route pour 2018. Nous y travaillons », a révélé Eric Trappier. En 2015, la France et l’Allemagne ainsi que l’Italie avaient conclu une lettre d’intention pour produire un drone concurrençant l’offre américaine ou israélienne. Une initiative prolongeant le programme européen nEUROn, lancé en 2006 par cinq pays (France, Italie, Espagne, Suisse, Suède) et dont le maître d’ouvrage est Dassault Aviation. Depuis deux à trois ans, plusieurs campagnes de test en vol ont ainsi été menées avec le démonstrateur du drone de combat nEUROn.
Pas de préférence européenne, pas d’avion européen
Quant à un avion de combat européen, « on n’en est pas encore là », a clairement indiqué le président du Gifas, même si, a-t-il précisé, « des réflexions sont menées entre les grands avionneurs au sein d’une structure, appelée Aircraft Sectorial Group ». Aujourd’hui, force est de constater que nombre de nations européennes achètent l’avion de combat américain F-35, une « machine à tuer l’industrie européenne » et « à intégrer l’armée américaine », selon le P-dg de Dassault Aviation.
« Nous ne voulons pas des sociétés qui soient uniquement présentes en France, mais aussi de façon plus générale en Europe. Et si on espère que l’Europe se construise, il faut une Europe pour l’Europe, qui applique la préférence européenne comme il y a une préférence américaine aux États-Unis », a encore pointé Eric Trappier. Or, se désolait-il, « quand les États-Unis menacent de quitter l’Otan, ce ne sont pas les Américains qui tremblent, mais les Européens ».
« On a quand même l’espoir d’une Europe de la défense. La première initiative de la Commission européenne va dans le bon sens. Mais il faudra que celle-ci puisse aussi dans la recherche et le développement donner une contribution financière et de suivi », a souligné Eric Trappier.
En attendant l’Europe de la défense, « on est bien obligé de nous appuyer sur la souveraineté nationale », a-t-il justifié, tout en insistant à nouveau sur l’importance des coopérations entre Etats européens.
Des mots clés : R & D, compétitivité, internationalisation
C’est pourquoi la loi de programmation militaire (LPM) est si importante. « Elle nous permet de nous adapter, d’avoir un seuil critique de commandes et de répondre à la concurrence américaine », a défendu le président du Gifas. Lors du dernier Salon international aéronautique et de l’espace (SIAE) du Bourget, la ministre des Armées Florence Parly a annoncé que 135 millions d’euros par an sur cinq ans seront alloués à la recherche.
Une annonce très positive, d’autant que la PLM, qui doit être adopté d’ici la fin du premier semestre, l’effet de recherche et développement passerait de 750 millions d’euros à un milliard. « On est très favorable », a sobrement commenté Eric Trappier, qui a également rappelé que le Gifas menait des opérations d’adaptation et de compétitivité en faveur des PME et ETI : programme Performances industrielles pour intégrer le numérique ; plan Ambition ETI PME pour structurer la supply chain et aider les petites entreprises à grandir : accélérateur de croissance, avec Bpifrance, pour aider 60 petites sociétés à définir sa stratégie grâce à un programme d’audit, de mentorat et de formation (**).
Aujourd’hui, le Gifas complète son action en faveur des PME et ETI en les pilotant à l’export. Après la Corée du Sud et le Japon en 2018, un déplacement va être organisé en Inde. Globalement, « la tendance est bonne pour 2018 », a assuré Eric Trappier qui a, néanmoins, apporté « deux bémols : les hélicoptères militaires et les avions d’affaires ».
La Chine, futur champion de l’aéronautique
Selon lui, de façon générale, « il n’y a pas de signe d’un éventuel retournement » et il y aurait même une légère embellie pour les jets d’affaires. Une raison supplémentaire pour mener des consolidations industrielles. L’objectif est de « créer des ETI fortes de plusieurs milliers d’emplois, à l’image des ETI allemandes ». C’est ainsi qu’elles pourront « relever le défi de la compétition américaine et qui vient d’Asie », a justifié le P-dg de Dassault Aviation.
Quant aux concurrents asiatiques, il s’agit notamment de la Chine, « un pays qui finira pas nous rattraper, assure-t-il, compte tenu de ses investissements budgétaires et humains, sa politique d’éducation tournée vers les métiers et sa capacité à maîtriser les technologies ». C’est un grand marché « et donc il faut faire avec eux », a-t-il ajouté, en évoquant le voyage récent d’Emmanuel Macron dans ce pays (*), clôturé par l’annonce d’une commande de 184 Airbus. « Que le président s’y rende était important en terme de balance commerciale, de partage du marché. Et c’était important de montrer que nos sommes forts. Mais pour le patron français, « c’est l’Europe doit peser pour obtenir la réciprocité ».
François Pargny
* France / Chine : E. Macron en chef de file de l’Europe et des intérêts français
**Aéronautique / Accompagnement : le Gifas et Bpifrance lancent un accélérateur pour 60 PME-ETI
Pour prolonger :
–Aéronautique / Taïwan : ATR livre à Mandarin Airlines son premier appareil
–Inde / Aéronautique : lancement de la construction de l’usine Dassault Aviation-Reliance
–Aéronautique / PME : le Gifas signe deux accords avec Régions de France et Bpifrance
–Aéronautique / Salon : les États-Unis occupent l’espace, Dassault aussi