📌L’essentiel : Fondée en 2010 par Sandrine Dahan, Skinhaptics essaime pas à pas ses produits maison de soins pour bébé et femmes enceintes sur la niche mondiale des instituts et des spas, formant au passage ses utilisatrices. Pour vaincre les obstacles, sa dirigeante est devenue maître dans l’art d’anticiper les formalités réglementaires et les accords de libre-échange n’ont plus de secret pour elle.
🔑 Les clés du succès
-Des produits de soin pour enfants et mamans de qualité associés à une offre de formation à leur utilisation
-Une marque et des formulations de produits dont la société est propriétaire
-Une bonne maîtrise des formalités réglementaires et douanières clés, transformée en avantage compétitif
Temps de lecture : 4 mn
L’HISTOIRE
Douchée par Trump et ses droits de douane

Les annonces de droits de douane « réciproques » de Donald Trump le 2 avril ont fait l’effet d’une douche froide sur Sandrine Dahan. Fondatrice et dirigeante d’une marque de soins cosmétiques pour enfants et femmes enceintes, Skinhaptics, elle voyait s’effondrer un an de travail pour préparer un très gros lancement de sa marque au Canada et aux États-Unis, dans près de 700 points de vente. Les produits avaient reçu toutes les autorisations nécessaires des autorités sanitaires locales, tout était prêt.
« Nous avions été sélectionnés parmi d’autres concurrents pour participer à cette opération organisée par un grand distributeur autour d’un nouveau concept », soupire cette biochimiste de formation, passée par plusieurs grandes sociétés et laboratoires européens (Guerlain, T LeClerc chez Omega Pharma, Teoxane) avant de tout plaquer, en 2010, pour créer sa propre marque et faire son troisième enfant.
« Comme ce lancement impliquait des marques américaines et européennes, le distributeur a estimé que le concept ne pouvait pas être lancé, tout a été mis en suspens », explique cette battante de 53 ans que l’on voit, à gauche sur notre photo en couverture, poser avec l’équipe de son distributeur japonais. La pause de 90 jours décrétée une semaine après par le président américain n’y a rien changé. « Ce stand-by de 3 mois est sans doute parfait pour les sociétés déjà présentes aux États-Unis, mais lorsqu’il s’agit d’un lancement, il y a trop d’incertitude, poursuit Sandrine Dahan. Mon agent au Canada vient de me confirmer que rien n’a bougé ».
Un petit acteur de niche « très apprécié en Asie »
Pour cette toute petite entreprise qu’est Skinhaptics, c’est un coup dur, même s’il est peut-être temporaire. Sa force est d’être propriétaire de la marque et des formules de ses produits, qu’elle commercialise principalement auprès des instituts et spas et, dans une moindre mesure, via son site Internet. Elle n’emploie qu’une seule personne permanente, sa fondatrice et dirigeante.

« Je fais travailler indirectement une centaine de personnes en France entre la fabrication des produits, que je sous-traite à un industriel spécialisé, la société de formulation, les freelances qui gère le site Internet et les réseaux sociaux, les prestataires logistiques », nuance toutefois Sandrine Dahan.
Détentrice d’un DEA en biochimie obtenu à Normale Sup, mais aussi d’un Master en marketing de l’ESSEC, la dirigeante a aussi développé toute une offre de formation certifiée « Qualiopi » -la norme française de référence pour les formations professionnalisantes- pour former ses clients aux soins. « C’est très apprécié en Asie » souligne Sandrine Dahan.
Au total, sur cette niche mondiale haut de gamme que sont les produits de soins pour bébés et mamans, son chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros mais à 80 % à l’export en Europe, en Asie (Japon, Corée du Sud, Singapour, Thaïlande) et au Maroc.
Le projet en Amérique du Nord représentait donc un énorme enjeu. Mais Sandrine Dahan n’a pas dit son dernier mot. Elle est déjà en quête d’alternatives à court terme.
Être petit et propriétaire de sa marque, donne en fait une sacrée flexibilité. Flexible, Sandrine Dahan sait l’être. Tenace aussi. Preuve en est l’apprentissage sur le tas qu’elle a fait de l’usage des avantages commerciaux contenus dans les accords de libre-échange noués par l’Union européenne (UE) et plus d’une quarantaine de pays dans le monde. Un univers méconnu de bon nombre de dirigeants de PME, qui a ses codes et son jargon, ceci expliquant peut-être cela.
« Votre société est-elle Exportateur agréé ? »
La découverte de cet univers remonte à trois ou quatre ans. « A l’export, je me suis tournée très tôt vers l’Asie, et notamment le Japon et la Corée du Sud, se souvient la dirigeante. Avec mon distributeur au Japon, on n’avait jamais parlé de ça parce que les droits de douane sont à zéro sur nos produits. C’est un contact sud-coréen qui m’en a parlé le premier ».
« Votre société est-elle Exportateur agréé ? », demande à l’époque ce distributeur sud-coréen à Sandrine Dahan. « Exportateur agréé » ? Elle n’avait jamais entendu parler de ça. « Lui connaissait ce que cela signifiait parce qu’il travaillait déjà avec des produits de marques allemandes ».

Sandrine Dahan se rue alors sur son ordinateur pour faire des recherches sur Internet. Elle tombe sur le site de la Douane, peine à s’y retrouver. Les réglementations douanières, c’est tout un jargon parfois abscons pour les non-initiés. « C’était compliqué, je ne comprenais pas bien les termes techniques, ce qu’il fallait faire » se souvient-elle.
Une seule chose était certaine : pour bénéficier de l’accord de libre-échange existant entre l’UE et la Corée du Sud, et donc de droits de douane nuls sur les cosmétiques, il fallait que Skinhaptics soit labellisé « Exportateur agréé », ou EA pour les initiés. Cet agrément européen exigé de nombreux pays ayant signé des accords commerciaux avec l’UE est délivré par la Douane française.
De fil en aiguille, la dirigeante finit par être orientée sur un service de l’administration douanière dédié aux entreprises, la Cellule conseil des entreprises de la Direction générale des droits de douane et droits indirects d’Île-de-France. Et cela change tout. « J’ai eu un fonctionnaire qui m’a écouté, expliqué, et aidé à faire la formalité », relate Sandrine Dahan, qui ne tarit pas d’éloges à propos de ce précieux douanier. « Il fallait remplir un formulaire de demande, je n’étais pas très sûre de moi, il m’a aidé à le faire en direct, en visioconférence » se souvient-elle.
Le précieux sésame, un simple numéro, a été obtenu quelque mois plus tard. Et cela a définitivement convaincu le distributeur sud-coréen de travailler avec la société française, bénéficiant d’un prix plus compétitif, de l’ordre de 5 % moins cher, que s’il avait supporté le droit de douane initialement applicable à l’import.
De l’apprentissage au réflexe systématique
Forte de cet apprentissage, Sandrine Dahan ne regarde plus un nouveau pays sans vérifier s’il a signé un accord commercial avec l’UE. « C’est devenu un réflexe » glisse-t-elle. Un réflexe qui lui a plus récemment servi pour entrer au Maroc, pays avec lequel l’UE a un accord d’association qui prévoit des avantages commerciaux réciproques.

« J’avais eu un contact avec un partenaire potentiel dans ce pays environ un an après la Corée du Sud : l’interlocuteur marocain n’était pas au courant de la possibilité d’obtenir des avantages commerciaux » explique Sandrine Dahan. En faisant jouer cet accord, l’importateur marocain bénéficiait pourtant de taux zéro au-delà de 6000 euros de commandes, au lieu de 2,5 % sans. « Dans la négociation, cet argument m’a permis de conclure assez rapidement » se souvient la dirigeante.
Sandrine Dahan a bien entendu déjà regardé pour le Canada, où l’accord commercial avec l’UE (connu sous le nom de CETA, Comprehensive Economic Trade Agreement) est en vigueur depuis septembre 2017 et permet d’exporter ses produits à taux zéro. Ce n’est que partie remise. Elle a aussi regardé pour le Mexique, avec lequel Bruxelles a conclu en janvier dernier une mise à jour d’un accord commercial existant depuis 2000. « Ce n’est pas encore mûr pour le Mexique mais cela nous permettrait de réduire le droit de douane de 10 à 0 %, c’est un avantage concurrentiel non négligeable » souligne la dirigeante.
En attendant l’Amérique du Nord, cap sur la Chine
Pour l’heure, tout en espérant que la situation en Amérique du Nord se décante, c’est encore vers l’Asie que regarde la fondatrice de Skinhaptics. Dans quelques jours, elle s’envole pour Shanghai et son grand salon China Beauty Expo (14-15 mai), un rendez-vous international incontournable pour l’industrie de la cosmétique. Accompagnée par le pôle de compétitivité Cosmetic Valley, Skinhaptics exposera sur le Pavillon France.
« Le salon est quatre ou cinq fois plus gros que celui de la Porte de Versailles, explique la dirigeante, faisant allusion au salon In-Cosmetics Global Paris. En exposant sous pavillon français, on est plus visible. Les professionnels chinois qui cherchent du Made in France savent où nous trouver ».
Comme à son habitude, Sandrine Dahan a déjà anticipé : huit de ses produits (sur une gamme qui en compte 11) sont d’ores enregistrés auprès de la NMPA (National Medical Products Administration), l’agence sanitaire chinoise qui délivre les autorisations pour les cosmétiques. « Le système d’enregistrement chinois est sans doute le plus compliqué au monde, surtout lorsqu’il s’agit de produits pour enfants, développe-t-elle. Il faut fournir beaucoup de documents, et le temps d’attente est long, six mois pour ce qui nous concerne ».
Pour faire cette formalité incontournable, la dirigeante, qui avait déjà échoué une fois il y a dix ans, a, cette fois-ci, fait appel à un cabinet chinois spécialisé dans ce type d’enregistrements, qui lui avait été recommandé par son représentant en Europe, d’origine suisse. Cela ne se passe pas toujours comme ça : fréquemment, ce sont les distributeurs qui s’occupent de ces formalités administratives, comme ce fut le cas au Japon et en Corée du Sud. Mais pour la Chine, il fallait mettre le paquet. Compter entre 4000 et 5000 euros par produit enregistré, mais la dirigeante a estimé que le jeu en vallait la chandelle.
« En Chine, nous arrivons avec nos références au Japon et en Corée du Sud, deux pays très suivis par les Chinois sur les questions de soins pour enfants, c’est un plus » se réjouit Sandrine Dahan. J’espère trouver un distributeur ». Si l’essai est concluant, il permettra en effet de fortement compenser le contre-temps nord-américain.
📖✨🧠 Les leçons
- Savoir faire d’une apparente faiblesse -la petite taille- un atout grâce à une plus grande flexibilité; cela permet de rebondir plus rapidement en cas de coup dur.
- Ne pas craindre de s’emparer de sujets inconnus -les accords commerciaux, les formalités douanières- lorsque qu’ils sont porteurs d’avantages compétitifs
- Bien installé sur sa niche de marché, oser s’attaquer aux plus grands marchés mondiaux mais se faire accompagner si nécessaire
Christine Gilguy