Le secteur du luxe est en plein essor en Afrique du Sud, poussé par l´appétit de la classe moyenne et des élites émergentes. Le pays devient une cible pour les grandes marques.
« Quand je me suis installée à Johannesburg, il y a quinze ans, le luxe était encore presque inconnu dans la société sud-africaine, en dehors d´une petite élite blanche. Aujourd´hui, c´est un marché qui se développe », affirme Catheryne D´Almeida. Cette Française est propriétaire d´un showroom de 600 m2, où une clientèle très aisée vient s´approvisionner en vêtements et accessoires Dior, Kenzo, Sonia Rykiel…
Depuis plusieurs années, les grandes marques européennes surveillent attentivement le marché sud-africain. En 2004, Louis Vuitton s´est implanté, en précurseur, à Johannesburg, dans le centre commercial haut de gamme de Sandton City. Avec succès. Une nouvelle boutique a ouvert ses portes au Cap en 2007 et une troisième devrait suivre prochainement à Durban.
« La distribution des produits de luxe dans le pays s´organise et s´intensifie », affirme Xavier Chatte-Ruols, de la Mission économique (ME) à Johannesburg. « La capitale économique sud-africaine compte plusieurs centres commerciaux haut de gamme, où des grandes marques françaises et européennes sont déjà présentes. Par ailleurs, le principal centre commercial du Cap, le V&A Waterfront, vient d´ouvrir une aile réservée aux enseignes de luxe, et deux nouveaux « malls » haut de gamme sont en cours de construction à Pretoria et à Durban. » Ces immenses centres commerciaux constituent les principaux lieux de distribution.
Le nombre de marques de luxe y possédant leur propre réseau de distribution (filiales ou magasins franchisés), bien qu´en augmentation, est encore restreint. Parmi celles-ci, Louis Vuitton, Cartier, Mont Blanc, Fendi, Gucci, Jimmy Choo (qui a ouvert sa seule boutique dans le pays au Cap, en 2008)… Selon la Southern Africa Luxury Association (Association du luxe pour l´Afrique australe), d´autres seraient actuellement en prospection : la française Chanel, l´espagnole Loewe, la chinoise Shanghai Tang ou encore l´italienne Loro Piana.
Par ailleurs, plusieurs grands groupes de luxe européens travaillent avec un importateur-distributeur ou un importateur-revendeur et sont présents dans des magasins multimarques, des showrooms exclusifs ou les boutiques des hôtels de luxe. Leur cible ? Les 20 % de ménages qui réalisent à eux seuls près de deux tiers du total des dépenses de consommation. Parmi eux, la population blanche, mais aussi la classe moyenne et l´élite noire qui a vu le jour après la fin de l´apartheid. La consommation, en forte croissance, de ces « Black Diamonds » représente environ 40 % des dépenses totales des ménages sud-africains. Et ces nouveaux consommateurs sont très attirés par les marques de luxe internationales, reflet de leur ascension sociale. Il y aurait ainsi « 12 à 15 millions de Sud-Africains disposant d´un pouvoir d´achat similaire à celui des pays occidentaux », estime Xavier Chatte-Ruols. « Hors de ce groupe, on estime qu´environ 5 millions de personnes sont susceptibles de consommer des produits de luxe », précise-t-il.
S´y ajoutent les touristes et voyageurs d´affaires. En 2009, l´Afrique du Sud a accueilli 2,3 millions de visiteurs. Et ce chiffre devrait augmenter au cours des prochaines années, notamment grâce l´effet Coupe du monde de football qui s´est tenue en juin et juillet dans le pays. « L´Afrique du Sud constitue également une excellente plate-forme pour attirer des clients aisés d´autres pays africains, constate Valérie Chesneau, de la ME à Johannesburg. Avant, ceux-ci se rendaient à Dubaï ou en Europe pour leur shopping. Aujourd´hui, ils sont de plus en plus nombreux à venir en Afrique du Sud. » L´impact de la crise mondiale a été réel, mais pourrait être temporaire. « Les produits de luxe en ont particulièrement souffert », affirme Bernard Vinson, directeur export de Ligne Roset, seule société française dans le domaine de l´ameublement à être implantée en Afrique du Sud (voir « Trois questions à » ci-dessus). « Mais les affaires devraient reprendre rapidement. Au cours des dix années précédentes, notre société avait enregistré une croissance annuelle d´environ 10 % sur le marché sud-africain. » « On sent qu´il y a un appétit pour le luxe », constate Hugues Witvoet, directeur des magasins sud-africains Edgars et conseiller du commerce extérieur de la France. « Les cosmétiques marchent bien, les vins et spiritueux aussi, les accessoires de luxe – montres, sacs, chaussures – ont commencé à s´implanter. Les autres produits vont suivre, mais il faudra encore quelques années pour que le marché soit vraiment mûr. »
Au cours des quatre dernières années, le marché sud-africain des cosmétiques et parfums a enregistré une croissance annuelle proche des 11 %. Et la France est le premier fournisseur du pays dans ce domaine. « Mais les mentalités doivent encore évoluer, ajoute Hugues Witvoet.
En Afrique du Sud, les gens n´ont pas d´”éducation aux marques”, qui passe par la presse et la publicité. Cela prendra encore quelques années. Actuellement, il y a surtout une attirance pour le luxe « bling bling ». Et beaucoup de consommateurs ne font pas nettement la différence entre les vraies marques de luxe et le milieu de gamme venu d´Europe. »
Une affirmation que confirme Catheryne D´Almeida. « Des clientes se demandent pourquoi payer un tel prix pour une robe Dior alors qu´elles peuvent avoir une jolie robe Guess pour beaucoup moins cher. Pour implanter une marque de luxe dans le pays, il faut une machine financière capable d´assurer la campagne de communication qui fera que cette marque deviendra “indispensable”. Vuitton, par exemple, y a très bien réussi, en associant son image à celle de stars internationales. »
La marque de montres Michel Herbelin incarne une autre réussite française dans le pays (voir encadré page précédente). Considérée comme « milieu de gamme » en France, elle se positionne clairement sur le haut de gamme en Afrique du Sud. À ce niveau, les marques françaises et italiennes ont un avantage. Selon Valérie Chesneau, « le label “made in Paris” offre toujours une image de raffinement et de savoir-faire ».
Patricia Huon, à Johannesburg
Les montres Michel Herbelin présentes depuis 1977
Considéré comme un des leaders sur le marché du luxe en Afrique du Sud, le fabriquant de montres Michel Herbelin y est présent de longue date, ce qui représente un certain avantage, comme en témoigne son président, Jean-Claude Herbelin, au Moci : « Nous sommes présents dans le pays depuis 1977. Notre distributeur sur place voulait que la marque se positionne sur le marché du luxe et a déployé les moyens nécessaires pour cela. Dès le départ, nous avons été vendus dans des magasins haut de gamme, et la communication – via la télévision et les magazines – a été très importante. Notre image auprès des consommateurs est très bonne : en 2009, le Sunday Times nous a décerné le titre de “meilleure marque de luxe de l´année”, devant Rolex. Le fait d´être arrivé sur ce marché avant les autres nous a donné un réel avantage ».
P. H.
Trois questions à Bernard Vinson : Le Moci. Quand vous êtes-vous implantés en Afrique du Sud ?
Bernard Vinson. En 1998. Ligne Roset fait les deux tiers de son chiffre d´affaire à l´exportation. Nous sommes donc toujours attentifs aux nouveaux marchés potentiels. Nous surveillions déjà l´Afrique du Sud depuis plusieurs années. Mais, étant donné que nous privilégions les franchises, nous devions trouver le partenaire qui comprenait notre philosophie.
Le Moci. Où se trouve ce magasin franchisé ?
Bernard Vinson. À Johannesburg. Il comprend un espace d´exposition de 450 m2. Nous avions aussi ouvert un magasin au Cap en 2004, mais nous l´avons fermé trois ans plus tard. Nous nous positionnons clairement sur le marché du luxe : notre clientèle a donc les moyens de voyager d´une ville à l´autre. Par ailleurs, en étant présents en Afrique du Sud, nous visons toute l´Afrique australe, et même au-delà.
Le Moci. Les produits proposés sont-ils les mêmes qu´en France ?
Bernard Vinson. Pas exactement. Parmi les nombreux produits que nous proposons pour l´ensemble du monde, notre distributeur choisit ceux qui sont les mieux adaptés à son marché. En Afrique du Sud, par exemple, les clients veulent des tables de repas très larges, ainsi que des canapés beaucoup plus grands que ce que l´on propose habituellement en France.
Propos recueillis par P. H.
Droits de douane préférentiels
Les droits de douane qui s´appliquent aux produits de luxe ont pour conséquences d´en augmenter le prix.
Un accord sur le commerce, le développement et la coopération (ACDC) a néanmoins été conclu, en 1999, entre l´Union européenne et l´Afrique du Sud. Entré en vigueur en 2004, il doit aboutir, à terme, à la libéralisation des échanges. En attendant, dans le cadre de ce processus, certains produits ont déjà bénéficié de réduction de taux de droits de douane.
Quelques exemples :
• les textiles, 20 %
(au lieu de 45 %) ;
• la bijouterie, 5 %
(au lieu de 20 %) ;
• l´ameublement et la décoration, 4 %
(au lieu de 20 %) ;
• la bagagerie, 20 %.