Face aux mesures de rétorsions commerciales exercées par Pékin à l’encontre de la Lituanie, la Commission européenne a saisi l’OMC le 31 janvier. Si les échanges entre les deux pays sont anecdotiques, ce contentieux pourrait fragiliser les chaînes d’approvisionnement européennes.
Les Vingt-Sept ont décidé de faire front. Selon des informations de nos confrères des Echos, ils ont soutenu à l’unanimité la décision de la Commission européenne de saisir l’OMC. Plus précisément de demander « l’ouverture de consultations avec la Chine dans le cadre de l’OMC au sujet des restrictions alléguées imposées par la Chine à l’importation et à l’exportation de marchandises, ainsi qu’à la fourniture de services, à destination et en provenance de la Lituanie ou ayant un lien avec la Lituanie », selon les termes d’un communiqué de l’organisation.
Pékin a en effet multiplié les mesures de rétorsion contre la Lituanie après l’ouverture à Vilnius, le 18 novembre dernier, d’un « Bureau de représentation de Taïwan », île que la république populaire ne reconnait pas comme Etat. Pékin s’était déjà agacé en mars 2021, lorsque le pays balte s’était retiré du forum d’investissements « 17+1 », maillon essentiel de la construction des Nouvelles routes de la Soie.
Un conflit qui couvait depuis des mois
Cette initiative née en 2012, et regroupant la Chine ainsi que 17 pays d’Europe centrale et de l’Est (dont 12 membres de l’UE), doit permettre d’instaurer un cadre permettant à Pékin de financer des infrastructures de logistique et de transport. Par crainte de voir ce forum apporter plus de divisions qu’autre chose au sein de l’UE, la Lituanie avait finalement préféré prendre le large en mars 2021.
L’escalade des mesures chinoises a commencé par la suspension des licences d’exportation de céréales qui constituent, avec le bois et ses produits dérivés, l’essentiel des ventes de marchandises lituaniennes à la Chine. L’assurance-crédit est par ailleurs indisponible entre les deux pays depuis le printemps 2021 a déclaré à Euractiv le président de la Confédération des industriels lituaniens, Vidmantas Janulevičius. « A partir de septembre, certains biens industriels que les entreprises lituaniennes avaient prépayés n’ont pas été livrés, créant un casse-tête pour l’économie lituanienne qui importe cinq fois plus de biens de Chine qu’elle n’en exporte », relate le site d’informations.
Les multinationales européennes sont également impactées
A première vue, pas de quoi fouetter un chat. Avec 1% des exportations (320 millions d’euros en 2020) et 3 % des importations, la part de la Chine dans les échanges internationaux lituaniens est anecdotique.
Le contentieux entre l’Empire du milieu et le petit État balte d’à peine 3 millions d’habitants pourrait cependant impacter les entreprises étrangères comme s’en est inquiété le commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis. « Apparemment, les douanes chinoises n’enregistrent pas les biens venus d’autres pays européens s’ils contiennent des éléments venus de Lituanie », a-t-il déclaré.
Même si elles se sont pour l’instant refusées à tout commentaire, les multinationales européennes risquent d’être impactées par cette brouille sino-balte. Dans le secteur du meuble, très important en Lituanie, de nombreuses entreprises fournissent le géant suédois Ikéa, qui a engagé en 2019 une politique de développement de son marché chinois grâce à un investissement de 1,4 milliard de dollars. L’inquiétude monte également dans le secteur automobile.
Un test pour la nouvelle stratégie commerciale de l’UE
Une enquête de lagence Reuters révèle ainsi que la Première ministre lituanienne Ingrida Simonyte a rencontré les équipementiers allemands, très présents dans le pays, dont le géant Continental. Du côté des constructeurs, BMW a déclaré que sa production n’était pas affectée, tandis que Volkswagen n’a pour l’instant fait aucune déclaration. Les dommages pour ces entreprises pourraient s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros, selon une source de l’agence de presse.
Concrètement, la résolution de ce contentieux n’est pas prête de voir le jour. La procédure lancée par la Commission européenne auprès de l’OMC devrait prendre des années. Pendant ce temps, l’UE tente de se doter d’un instrument anti-coercition qui permettrait de lutter efficacement contre les mesures de coercition économique prises par les pays tiers à l’encontre de l’Union ou de ses membres.
Présenté par la Commission européenne au Conseil et au Parlement européens le 8 décembre dernier, ce nouvel instrument juridique permettrait en place des mesures de rétorsion incluant l’institution de droits de douane, la limitation des importations en provenance du pays en question, des restrictions applicables aux services ou aux investissements ou encore des mesures limitant l’accès de ce pays au marché intérieur de l’UE.
Ce conflit entre la Lituanie et la Chine intervient à un moment clef dans l’histoire de la politique commerciale européenne et va lui servir de test dans les prochains mois. En attendant, Taïwan a annoncé le 5 janvier son intention de créer un fonds de 200 millions de dollars pour investir en Lituanie.
Sophie Creusillet