Où en est le marché de l’Algérie en ces temps de crise sanitaire ? Comme partout, le pays traverse une situation économique difficile et s’est mis sous une bulle de protection sanitaire. Mais des opportunités se dessinent à moyen et long terme pour les entreprises françaises à la faveur des orientations économiques du gouvernement, en faveur de la production locale. Un webinaire organisé le 26 janvier par la CCI Paris Île de France et la CCI algéro-française (CCIAF) a permis de s’en faire une idée.
Actuellement, comme partout en Europe et au Maghreb, l’économie est contrainte par la Covid-19.
Le pays tourne au ralenti pour tenter d’endiguer la propagation du Coronavirus, qui a, au 26 janvier, selon les sources officielles, infecté près de 106 000 personnes et causé plus de 2800 décès en Algérie. Les frontières sont fermées jusqu’à nouvel ordre, en attendant que la situation sanitaire s’améliore en Europe, et un couvre-feu a été instauré de 20H00 à 5H00 du matin dans 30 wilayas sur les 58 que compte le pays, a rappelé Halim Ammar Khodja, directeur adjoint de la CCIAF.
Une situation macroéconomique dégradée
Le tableau de la situation macroéconomique et du commerce extérieur qui ressort de ce webinaire, où sont également intervenus Romain Keraval, directeur du bureau de Business France en Algérie, et Adel Bensaci, chef d’entreprise (Somemi) qui a pris la tête il y a trois mois du nouveau CNCDPME (Conseil national consultatif pour le développement des PME en Algérie), organisation fédérant des associations professionnelles et chargée de faire des recommandations au gouvernement, est sans surprise, dégradé.
Le pays souffre en outre depuis 2015 de la chute des cours des hydrocarbures et du ralentissement de la demande mondiale. L’économie se remettait à peine de l’impact de la crise politique de 2019, qui a abouti à un changement de régime sous la pression populaire, lorsque la pandémie de Covid-19 est survenue. Résultat, une récession du PIB estimée à -6% en 2020 (après une modeste progression de 0,8 % en 2019, selon le FMI).
Un rebond est attendu en 2021, mais il est freiné par la nouvelle vague pandémique, et ne devrait pas dépasser 3 % en 2021.
La chute de la demande mondiale d’hydrocarbures et de leurs prix, ajoutée aux restrictions sanitaires, a mis les finances publiques à rude épreuve et fait fondre les réserves de change, qui atteignaient toutefois le niveau encore confortable de 42 milliards de dollars fin 2020, soit plus d’un an d’importation.
La France demeure le premier fournisseur européen
Les échanges extérieurs ont continué à se dégrader en 2020 avec une chute de -34 % des exportations, en grande majorité composée d’hydrocarbures (après -14 % en 2019), et un nouveau recul de -18,2 % des importations (après -9,5 % en 2019).
La France, en recul dans ce contexte, demeure néanmoins le premier fournisseur européen du pays et se situe au deuxième rang mondial, derrière la Chine : en 2019, ses exportations y ont atteint 4,9 milliards d’euros et elle a acheté pour 4,2 milliards de produits à l’Algérie.
Bien que le ralentissement économique soit un facteur aggravant, l’évolution des importations algériennes est aussi fortement impactée par les nombreuses restrictions aux importations de biens introduites par les gouvernements successifs ces cinq dernières années pour économiser les réserves de change et inciter au développement de la production locale.
Un marché fortement réglementé
Plus que jamais, en effet, le marché algérien nécessite donc de faire sienne l’approche dite des « trois P », pour « Patience, persévérance et présence », selon Halim Ammar Khodja. Faire du commerce avec l’Algérie est une activité qui implique plus que jamais de suivre rigoureusement les règles, les 8000 entreprises françaises qui exportent chaque année en Algérie le savent bien.
Elles sont drastiques et très restrictives pour les biens destinés à être revendu en l’état, ce qui a d’ailleurs valu au pays des remontrances récentes de la part de l’Union européenne, avec laquelle le pays a un accord commercial privilégié. Halim Ammar Khodja en a rappelé les principales :
-Obligation de domiciliation bancaire pour toute opération d’importations avec une taxe de domiciliation de 4 % pour les importations de services, de 0,5 % pour les biens destinés à la revente en l’état et de 1 % pour les produits en CKD et SKD ;
– Des droit additionnel provisoire de sauvegarde (DAPS), compris entre 30% et 200% de la valeur de la marchandise importée, affectent également 1 095 positions tarifaires.
–Acompte limité à 15 % du montant de la commande, une dérogation de la Banque d’Algérie étant nécessaire pour aller au-delà.
-Pour le négoce (revente des produits en l’état), obligation de provisionner 120 % du montant de l’importation au moins 30 jours avant l’expédition des marchandises.
Pour en rajouter, l’Association des banques et établissements financiers (Abef) a fait passer l’an dernier une note indiquant que ne seront autorisées que des opérations d’importation pour les contrats utilisant, « dans la mesure du possible », l’Incoterms FOB, un conseil rappelé par le représentant de la CCIAF.
La Loi de finance pour 2021 n’a levé aucune de ces restrictions. Elle a même renforcé les contraintes pesant sur le négoce : les sociétés commerciales à participation étrangère devront désormais se soumettre à l’obligation du 49-51, et donner ainsi la majorité au partenaire algérien. Les importateurs de biens destinés à la vente en l’état devront également utiliser un nouvel instrument de paiement à terme payable à 45 jours à compter de la date d’expédition dont les modalités n’ont pas été précisés lors du webinaire.
Si le commerce reste restreint, c’est sur l’investissement et la coopération technologique que se dessinent de nouvelles perspectives.
Les secteurs porteurs d’opportunités à terme
Malgré les restrictions sanitaires, « les affaires se poursuivent » a assuré Romain Kéraval. Le directeur du bureau Algérie de Business France a notamment relevé que malgré les coupes budgétaires et les restrictions aux importations, le gouvernement avait la volonté de maintenir « les transferts sociaux » en direction du logement social, de l’accès aux produits de santé et aux denrées alimentaires de première nécessité.
A moyen et long terme, des opportunités sont attendues dans différents grands secteur.
Dans l’industrie pétrochimique, si la Sonatrach a revu ses ambitions à la baisse, elle maintient un programme d’investissement de 40 milliards de dollars en misant sur des joint-ventures. Ce qui justifie l’organisation par Business France d’une mission de prospection sectorielle en décembre prochain.
A suivre également les retombées possibles de la volonté du gouvernement de relancer l’exploration et la production minière (phosphates, fer).
Dans les domaines liés à la mobilité et au développement urbain durable, la priorité est le secteur de l’eau, et les besoins en eau potable pourraient déboucher sur des projets de désalinisation de l’eau de mer.
Une réflexion est également en cours au niveau gouvernemental sur la question du mix énergétique : il s’agirait de développer davantage les énergies renouvelables (solaire et, dans une moindre mesure, éolien), et d’avancer sur le plan de la performance énergétique des bâtiment. Des chantiers qui pourraient être portés par des société publiques. « Cela peut générer des besoins en ingénierie » a noté Romain Keraval.
Dans l’industrie, Business France suit de près les mouvements de restructuration qui affectent tant les sociétés du secteur publique que les groupes privés. « Des projets nous ont été soumis par des groupes privés concernant l’augmentation des capacités ou la diversification de la production » a confié Romain Kéraval. Dans le secteur agroalimentaire, par exemple, la volonté des autorités algériennes d’augmenter l’autosuffisance pousse les industriels algériens à développer de nouvelles capacités : produits laitiers, fromageries, boissons font partie des filières ciblées. « Ils ont des besoins en outillages, machines, lignes de production et ont des capacités d’investissement » a insisté le responsable.
Dans l’automobile, les autorités mettent la pression sur les constructeurs pour qu’ils augmentent la part locale, ce qui pourraient les conduire à développer de nouveaux partenariats, par exemple dans les pièces détachées. Des négociations sont en cours. D’une manière générale, Romain Keraval, « de nouvelles opportunités vont naître de nouveaux secteurs sur lesquels le gouvernement veut développer la production locale ».
Enfin, si elle n’en est qu’à ses balbutiements, la transition numérique vient de recevoir un coup de pouce avec la publication d’un « Startup Act » en octobre 2020, qui crée un environnement plus favorable au développement des startup. Aidé par le contexte sanitaire, le e-commerce a explosé en 2020 en Algérie, avec une progression de 160 % du chiffre d’affaires.
« En pleine mutation »
Une chose est certaine, « l’Algérie est en pleine mutation » a assuré Adel Bensaci, « de l’ancien régime à une Algérie nouvelle à laquelle nous croyons et sur laquelle nous sommes en train de travailler ». Comparés à d’autres pays qui, dans la région même, se positionnent comme des hubs d’investissement pour la réexportation, l’industriel a mis en avant le fait que l’Algérie offre en plus « un marché intérieur » conséquent (43 millions d’habitants).
Incitant les entreprises françaises à rechercher en Algérie des partenariat « gagnant-gagnants », il a souhaité que les relais dont elles disposent sur place « puissent (leurs) trouver des partenaires adéquats ».
A cet égard, outre Business France, qui, selon Romain Keraval, est « en mesure d’accompagner les entreprises en format digital » durant cette période de restriction sanitaire, la CCIAF est également un interlocuteur utile. Elle est référent Team France Export depuis janvier 2020 sur trois métiers : droits et fiscalité, représentation commerciale (agent, force de vente supplétive) et hébergement domiciliation. Elle est en outre agréée au chèque Relance export.
Christine Gilguy