C’est une situation paradoxale au moment où le gouvernement essaye de relancer le commerce extérieur grâce à un plan de relance export. Car les conteneurs pour transporter les produits manquent, tant pour l’importation que pour l’exportation ! Et la situation risque de perdurer, au risque de plomber la reprise, selon l’enquête menée par Le Moci.
Fin novembre, la pénurie de conteneurs sur les grands ports maritimes français et européens semble atteindre son acmé. Les commissionnaires de transport maritime font face à un grave problème d’accès aux conteneurs depuis deux à trois semaines.
A la pénurie de Reefer (les conteneurs frigorifiques), depuis mars 2020, liée notamment à la crise sanitaire, s’ajoute désormais celle des conteneurs standard « dry » qu’ils ont beaucoup de mal à réserver pour leurs clients industriels ou distributeurs. « Les exportations sont bloquées dans les ports français et européens où les importations ont aussi beaucoup de difficultés à arriver » estime-t-on chez un syndicat de commissionnaires de transport sous couvert de l’anonymat.
Repositionnement des conteneurs sur les routes transpacifiques
En cause : le repositionnement des grandes compagnies maritimes de transport de conteneurs essentiellement sur les routes maritimes transpacifiques entre la Chine et les États-Unis, beaucoup plus rémunératrices que les lignes Asie-Europe.
Maersk, MSC ou CMA-CGM préfèrent en effet massifier leur capacité sur les routes transpacifiques plus lucratives en profitant de la forte demande américaine et de la reprise économique précoce de la Chine, au détriment de l’axe vers l’Europe.
« Les grands armateurs monopolisent voire confisquent quasiment les conteneurs en les mobilisant massivement sur l’axe Chine- États-Unis pour répondre au trafic important généré par la demande américaine prête à y mettre le prix » confirme Jean-Michel Garcia, délégué aux transports internationaux de l’Association des utilisateurs de fret (AUTF).
Anticipation de réservation sans garantie…
Manifestement, la pandémie de la Covid-19 a bouleversé les stratégies des compagnies maritimes dans le repositionnement de leurs conteneurs à travers le monde, avec à la clé un déséquilibre majeur en faveur des zones Asie et Amérique du nord qui se retrouvent avec un excédent de « boites » pleines et vides.
« J’ai l’exemple d’un navire de 17 000 conteneurs pleins parti de Chine pour les décharger aux États-Unis puis de les recharger vides ou pleines en direction retour vers la Chine » illustre Jean-Michel Garcia.
Du coup, les industriels et les grands distributeurs tricolores sont obligés d’anticiper la réservation de conteneurs qui arrivent au compte-goutte d’Asie, entre 45 et 60 jours avant le départ, contre seulement deux semaines en temps normal. Et depuis deux à trois semaines, leurs commissionnaires maritimes réservent leurs conteneurs sans avoir l’assurance de les avoir le jour prévu.
« Certaines compagnies proposent cependant des taux de fret certes élevés mais avec la garantie du départ et d’arrivée » nuance toutefois Arthur Barillas, co-fondateur et président d’Ovrsea, commissionnaire de transport digital.
Explosion des taux de fret
Le manque de conteneurs dans les ports français s’explique aussi par la baisse du nombre de navires opérés par les compagnies maritimes en raison de la chute de la demande du marché mondial pendant le premier semestre de crise sanitaire.
La subite et forte reprise du trafic en Asie les amène à utiliser et massifier un nombre toujours restreint de porte-conteneur dans cette zone. « Du coup, les transporteurs maritimes en profitent pour maintenir les taux de fret à un niveau très élevé issus d’un trafic au départ sous-capacitaire » souligne Arthur Barillas.
A cause de la pénurie, le coût du conteneur sur l’axe Asie-Europe a d’autant plus explosé. « Les taux de fret ont cru de 60 % entre 2019 et 2020. On atteint aujourd’hui un sommet de près de 5 000 dollars US le conteneur de 40 pieds entre Shanghai et Le Havre, contre 1500 dollars US auparavant » s’insurge Henri Le Gouis, directeur général Europe de Bolloré Logistics.
Vent de colère chez les commissionnaires de transport
Les taux qui s’envolent et la qualité de service qui dégringole soulèvent un vent de colère chez les commissionnaires de transport contre les compagnies maritimes !
La hausse des prix du conteneur vers l’Europe ne semble plus pouvoir s’arrêter, sans compter les surcharges et frais additionnels qui plombent les factures. « Le ressentiment est d’autant plus fort que les grands transporteurs de conteneurs Maersk ou CMA-CGM affichent des résultats records. Ils se dirigent vers leur année la plus rentable de la décennie, alors que leur taux de service se détériorent » analyse Arthur Barillas.
La British International Freight Association (BIFA) a ajouté sa voix à celle de l’Association internationale des transitaires et commissionnaires de transports (FIATA), pour dénoncer des charges de surestaries (demurrage charges) et de détention de conteneurs « injustes » et « déraisonnables » appliquées par certaines compagnies.
Ces surcharges et pénalités infligées aux commissionnaires de transport maritime peuvent faire grimper la note à 6 000 ou 7 000 dollars US le conteneur de 40 pieds ! « Les compagnies maritimes contrôlent le marché et les prix de façon abusive semble-t-il. Lorsque le coût de transport augmente autant, atteignant le coût du produit transporté, certains chargeurs réfléchissent à relocaliser à proximité leurs flux de matières première » expose Jean-Michel Garcia.
Les nouvelles routes ferroviaires de la soie, solutions alternatives
Pour pallier la pénurie de conteneurs, les commissionnaires multiplient les solutions alternatives.
« On préempte des conteneurs à l’import pour les utiliser à l’export. On organise ainsi toute la boucle de l’équipement en sécurisant le volet conteneurs » révèle Anne-Sophie Fribourg, directrice du fret maritime de Bolloré Logistics.
D’autres essaient de réorienter les marchandises de leurs clients sur les nouvelles routes ferroviaires de la soie entre la Chine et l’Europe. Problème : ces lignes ferroviaires commencent à être saturées. « Les délais et les prix de ces axes sont plutôt compétitifs, mais le report de marchandises les sature vite en capacité » selon Jean-Michel Garcia.
Pis, l’axe ferroviaire Chine-Europe, en plein essor cette année, souffre également du manque de boîtes. Des interruptions de service sont même à déplorer, ainsi que des congestions dans certains points de transit du réseau, notamment à la frontière Chine-Kazakhstan ou Biélorussie-Pologne.
Entre Extrême-Orient et vieux Continent, une autre liaison ferroviaire semble cependant prometteuse : la voie transsibérienne via la Russie. Le 18 novembre, des marchandises japonaises ont d’ailleurs été chargées sur un train depuis Vladivostok, après une première expédition maritime, à destination de l’Europe occidentale. Par rapport au tout-maritime, le temps de transport affiché est deux fois plus court, selon les chemins de fer russes.
Retour à la normale après le nouvel an chinois ?
En attendant, les compagnies maritimes essaient de calmer le jeu. « Elles assurent que ces tensions ponctuelles et locales de leurs services Asie-Europe s’arrangeront au cours des trois premières semaines de décembre » rapporte un syndicat de commissionnaires maritimes.
Contacté par Le Moci à ce propos, CMA-CGM n’a pas donné suite. Dubitatifs sur l’annonce des compagnies, les commissionnaires tablent plutôt sur un retour à la normale après le nouvel an chinois, en février 2021, « lorsque la fièvre de la demande redescendra pendant quelques semaines avant une reprise progressive des volumes de transport » conclut Arthur Barillas.
Bruno Mouly