La Commission européenne a présenté le 18 février les grandes lignes de sa nouvelle stratégie commerciale. Cette mise à jour « rendue nécessaire par les défis auxquels nous sommes confrontés », selon Valdis Dombrovskis, le vice-président de l’exécutif en charge du Commerce, vise à rétablir l’équilibre entre ouverture et fermeté, alors que l’Union européenne (UE) a trop souvent pêché par naïveté face aux pratiques déloyales de certains de ses grands partenaires comme la Chine ou les États-Unis.
Le nouveau logiciel commercial devra également soutenir les transitions numérique et climatique, « premièrement, en contribuant à la réalisation des objectifs du pacte vert pour l’Europe. Deuxièmement, en supprimant les obstacles injustifiés au commerce dans l’économie numérique afin de tirer parti des avantages des technologies numériques dans les échanges commerciaux », indique le communiqué publié par la Commission.
Libre-échange et multilatéralisme au cœur de l’approche
Le libre-échange et l’attachement au cadre multilatéral restent toutefois au cœur de cette approche. « 85 % de la croissance mondiale se fera en dehors de l’Europe au cours de la prochaine décennie, donc même si la crise actuelle encourage la tentation de se replier sur soi-même, ce n’est pas la solution », a justifié le Commissaire letton.
Et pour garantir ces exigences en matière de coopération et d’ouverture, Bruxelles continue à miser sur le multilatéralisme. La stratégie donne donc la priorité à une réforme en profondeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Parmi les objectifs inscrits dans le texte, figurent des engagements mondiaux en matière de commerce et de climat, de nouvelles règles pour le commerce numérique, des règles renforcées pour lutter contre les distorsions de concurrence, ainsi que le rétablissement du système de règlement des différends, véritable pilier de l’organisation internationale basée à Genève.
Si jusqu’ici les efforts de la Commission pour entreprendre une révision en profondeur du fonctionnement de l’OMC s’étaient heurté « à l’immobilisme chinois et aux manœuvres de sape orchestrées par Washington », rappelle un haut fonctionnaire de la DG Commerce à Bruxelles, l’alignement des planètes semble aujourd’hui plus favorable.
La récente nomination de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala comme nouvelle directrice générale de l’OMC et, surtout, le changement politique à Washington, où Joe Biden a remplacé Donald Trump, farouche opposant au multilatéralisme, « laissent entrevoir de nouvelles opportunités », pronostique cette même source qui espère qu’à l’avenir « les États-Unis seront un partenaire commercial plus mobilisé ».
Diversification des partenariats
Mais plus question de mettre tous ses œufs dans le même panier. La nouvelle stratégie commerciale mise donc, aussi, sur la diversification des partenariats noués par Bruxelles.
Si l’UE vise, bien sûr, à maintenir une coopération étroite avec Washington et Pékin, d’autres pays sont également jugés stratégiques comme l’Inde ou les états africains, nouveaux viviers de la croissance mondiale.
« La Malaisie, l’Indonésie figurent aussi dans le viseur de la Commission », confirme l’eurodéputée française, membre du groupe Renew (LREM), Marie-Pierre Vedrenne. Vice-présidente de la Commission du commerce international (INTA) au Parlement européen et rapporteur sur le texte, elle estime toutefois que ces pays asiatiques risquent à l’avenir « de nous donner du fil à retordre ».
La diversification des partenariats impose donc une vigilance particulière. Selon l’élue, « il serait peu judicieux de focaliser seulement sur la Chine lorsque nous déploierons les nouveaux outils de notre arsenal de défense commerciale ».
Fermeté nouvelle et renforcement de l’arsenal
Car ouverture ne doit plus rimer avec naïveté. Et c’est bien là l’autre élément central de la nouvelle stratégie commerciale qui doit « nous donner les moyens de nous défendre lorsque nous sommes confrontés à des pratiques commerciales déloyales. Nous suivons une démarche ouverte, stratégique et ferme », a martelé Valdis Dombrovskis lors de la présentation de cette feuille de route à Bruxelles. Une fermeté nouvelle qui vise avant tout à mieux protéger les entreprises européennes contre des concurrents soumis à des règles moins strictes.
D’où le renforcement de la boîte à outils dont dispose les Vingt-sept, en particulier la création d’un instrument anti-coercition. Si un partenaire tentait à nouveau de faire pression sur l’UE, en imposant des mesures coercitives aux sociétés du bloc, Bruxelles pourrait ainsi répliquer via des mesures de dissuasion visant le commerce et l’investissement.
En ligne de mire : les lois extraterritoriales américaines qui ont sanctionné les entreprises européennes engagées en Iran ou sur le projet de gazoduc Nord Stream 2, auquel s’oppose les États-Unis. Les représailles menées par la Chine contre l’Australie, pour avoir demandé une enquête indépendante sur l’origine de la Covid-19, ont aussi alerté la Commission sur la nécessité de s’adapter à un monde dans lequel les rapports de force priment, de plus en plus souvent, sur les solutions négociées.
Lutter à armes égales sur le terrain des financements export
D’autres mesures viseront plus particulièrement à lutter à armes égales contre les entreprises de pays tiers bénéficiant de subventions publiques.
L’exécutif européen a ainsi évoqué de nouveaux outils de financement à l’export pour mieux se prémunir contre une concurrence déloyale ou faussée.
Dans ce même but, les mesures anti-dumping seront renforcées. En 2016, l’UE s’est dotée du premier règlement anti-dumping maintes fois retouché depuis. La durée des enquêtes a ainsi été raccourcie et les taxes imposées aux produits litigieux ont été augmentées. Mais il « demeure complexe à actionner et peu protecteur sur le plan social et environnemental. Il faut tout d’abord qu’une entreprise européenne porte plainte contre une concurrence externe jugée déloyale », rappelle l’économiste Stéphane Madaule, dans une tribune publiée par La Croix.
Bon accueil du patronat européen
Reposant sur une consultation « large et inclusive, comprenant plus de 400 contributions émanant d’un large éventail de parties prenantes », aux dires de la Commission, ce nouveau logiciel commercial – oscillant entre ouverture et fermeté – a été plutôt bien accueilli par le lobby patronal européen.
Rappelant que le commerce jouera « un rôle clé dans la reprise économique », l’organisation BusinessEurope reconnaît ainsi que « l’UE doit s’affirmer dans la défense de ses droits et intérêts légitimes » tout en créant « de nouveaux débouchés commerciaux et d’investissement pour les entreprises sur les marchés tiers ».
Même son de cloche du côté des armateurs européens. Également partisans d’une réforme en profondeur de l’OMC, ils se félicitent de « l’accent renouvelé sur la mise en œuvre et l’application des accords commerciaux de l’UE qui sont très appréciés par l’industrie maritime européenne », indique un communiqué de l’ESCA, l’association européenne des armateurs.
Doute sur la capacité à faire respecter les règles
Mais l’absence de mesures concrètes et la priorité donnée à la conclusion de nouveaux accords commerciaux ont semé le trouble au sein de l’hémicycle européen. « L’enfer est pavé de bonne intentions », ironise Marie-Pierre Vedrenne.
Selon cette experte, ce ne sont pas les règles envisagées qui posent un problème mais la capacité de les faire respecter. « C’est notre principale faiblesse », estime l’élue européenne.
Elle cite, à titre d’exemple, la Corée du Sud qui n’a toujours pas adopté les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), comme stipulé dans l’accord de libre-échange entrée en vigueur en 2011. Idem pour le chapitre consacré au développement durable qui n’est, selon elle, pas à la mesure des ambitions européennes en la matière et risque de pâtir de l’absence de mécanismes contraignants…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles