La France vient de réaffirmer sa nouvelle priorité stratégique qu’est l’axe indopacifique lors d’une séquence asiatique qui devrait intéresser les exportateurs français. Franck Riester vient en effet d’effectuer dans trois pays d’Asie l’un de ses rares déplacements physiques hors de l’Union européenne depuis sa nomination, alors qu’au même moment, la France adhérait officiellement à l’Association des Etats riverains de l’Océan indien (Indian Ocean Rim Association – IORA).
Leur regain d’activité fait pâlir d’envie les pays occidentaux, encore aux prises avec la gestion de la crise sanitaire et de son impact économique. Les pays asiatiques ont le vent en poupe auprès des entreprises à l’affût de relais de croissance à l’international. En particulier ceux de l’Association des nations d’Asie du sud-est (Asean), qui a signé en octobre dernier un très médiatisé accord commercial avec la Chine et quatre autres pays.
C’est dans ce contexte que du 12 au 20 décembre, le ministre français en charge du Commerce extérieur a effectué une tournée dans deux d’entre eux (Singapour, Indonésie) ainsi qu’en Corée du Sud, qui a un accord de libre échange avec l’Union européenne. A chaque fois, des projets commerciaux en cours ont été renforcés.
Agroalimentaire, transports et nouvelles technologies, trois secteurs clefs à Singapour
A Singapour, le ministre français a participé avec Amy Khor, le secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères, à la signature d’un protocole d’accord entre la Singapore Food Agency et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) sur la coopération technique dans le domaine de la sécurité alimentaire. Une prise d’engagement qui suit la récente décision de la Singapore Food Agency d’autoriser à nouveau les importations de viande fraîche de volaille et de porc, ouvrant la voie aux exportations françaises.
Six mois après la signature d’un accord permettant à la société singapourienne SBS Transit (filiale de ComfortDelGro) et Ratp Dev de candidater conjointement pour les lignes 16 et 17 du Grand Paris Express, le ministre a participé à la cérémonie de signature d’un accord similaire concernant cette fois de nouvelles lignes de métro à Singapour.
Cette nouvelle étape dans le rapprochement des deux entreprises s’est concrétisée par la création d’une structure commune qui explorera de nouvelles perspectives commerciales de l’industrie ferroviaire de la cité-Etat. Des prolongations et des créations de lignes dans le système de transport en commun rapide (MRT) sont en effet prévues par le plan directeur des transports terrestres pour 2040.
Frank Riester est également allé à la rencontre de la communauté d’affaires françaises de la French Tech pour évoquer le fort potentiel de Singapour dans les domaines de la digitalisation, de la finance (notamment verte) et du développement durable (smart city, économie circulaire, smart farming).
La Team France Export va sensibiliser PME et startup aux opportunités de l’Asean
C’est également à Singapour, minuscule Etat au PIB par habitant l’un des plus élevés au monde et à l’économie ultra dépendante du commerce international, qu’un travail de sensibilisation des entreprises candidates à l’export dans l’Asean va être mis en place, en lien avec la Team France Export et la Chambre de commerce française de Singapour (FCCS).
Car la bonne santé économique de certains pays de la région et la facilitation des échanges commerciaux que va permettre l’accord de libre-échange RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), comparée à la situation européenne, pourrait intéresser des entreprises en mal de relais de croissance.
L’Indonésie, malgré des dépenses exceptionnelles en raison de la pandémie et sa dépendance à des capitaux volatiles, devrait enregistrer une croissance de 6,1 % en 2021, selon le FMI (contre 5,2 % dans la zone euro), après une contraction de 1,5 % en 2020. La plus grande économie de l’Asean, qui a multiplié par quatre son PIB par habitant après 20 ans de réformes structurelles doit cependant faire face à une crainte de l’accentuation des inégalités sociales. En atteste les récentes manifestations contre une loi qui doit faciliter les investissements.
Une nouvelle loi indonésienne facilite l’investissement
En octobre dernier, le parlement indonésien a en effet voté une loi omnibus (portant sur plusieurs sujets) de 1187 pages, présentée par le gouvernement comme l’une des principales forces motrices pour renforcer la croissance et l’emploi.
Destinée à favoriser l’investissement étranger, elle entend supprimer les lourdeurs bureaucratiques, l’exigence de licences jugées excessives ainsi que des réglementations considérées opaques, dans le but d’améliorer la compétitivité et d’attirer les investisseurs. Au cours de son séjour Franck Riester a déclaré que la loi omnibus allait dans le bon sens en apportant sécurité et clarté aux entreprises en particulier étrangères.
Bien accueillie par les milieux d’affaires, les agences de notations et le secteur financier, cette réforme titanesque modifie au total 79 lois concernant les investissements étrangers mais aussi le travail et l’environnement.
Son vote a toutefois provoqué des manifestations à l’appel de syndicats et d’étudiants qui se sont soldés par de violents affrontements avec les forces de l’ordre. En jeu les coupes sombres dans le droit du travail (abaissement des indemnités de licenciement, réduction à un jour du congé hebdomadaire, fin de la fixation des salaires sectoriels et instauration de normes salariales locales…), la suppression d’importantes réglementations environnementales ainsi que le passage de 300 à 6 du nombre de secteurs interdits aux investissements privés.
Des opportunités dans l’économie bleue
Reste que le marché indonésien offre des opportunités, notamment dans la blue economy à laquelle est naturellement prédisposé le plus grand archipel du monde. Frank Riester a donc rencontré le ministre coordinateur des Affaires maritimes et de l’investissement, Luhut Pandjaitan, pour lui présenter les attraits des entreprises françaises dans les énergies marines renouvelables, les biotechnologies, l’aquaculture et la protection environnementale, autant de secteurs où le potentiel de collaboration est important.
Pour illustrer la coopération entre l’Indonésie et la France, le ministre a visité à Tangerang l’usine de la PME Matière (notre photo) qui y produit, en partenariat avec l’entreprise publique PT Wijaya Karya Industri & Konstruksi (WIKA IKON), des poutres brevetées « Unibridge » destinées à la construction de ponts.
En Corée du sud, commerce électronique et RGPD
Enfin, Franck Riester a conclu sa tournée asiatique par une visite en Corée du Sud davantage consacrées aux problématiques spécifiques des nouvelles technologies.
Il s’est entretenu avec la ministre du Commerce Yoo Myung-hee. Cette dernière a proposé de coopérer étroitement pour les négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur le commerce électronique et pour la standardisation des technologies numériques.
La ministre a également demandé une coopération pour l’adoption rapide de la décision d’adéquation du Règlement général sur la protection des données (GDPR) afin de dynamiser le commerce numérique avec l’Union européenne. Cette démarche pourrait ouvrir la voie à la libre circulation des données à caractère personnel entre deux économies sur la base de garanties fortes quant à leur protection. Les entreprises sud-coréennes dépensent dans l’UE 1,09 milliard de dollars pour respecter le GDPR dans l’UE. Si la décision d’adéquation est adoptée, elles pourront économiser environ 40 % de cette somme.
En Corée du Sud, des perspectives dans les hautes technologies
De son côté, lors de ses diverses rencontres avec des dirigeants coréens, le ministre français a mis en avant les atouts des entreprises tricolores dans des secteurs importants du Korean New Deal, le vaste plan de développement économique sur 5 ans lancé par les autorités. A savoir : l’intelligence artificielle, la 5G voire 6G, le calcul quantique et l’hydrogène. Ce programme doté de 115 milliards d’euros s’articule en effet autour d’un Green New Deal (véhicule électrique, hydrogène, soutien à l’innovation bas-carbone…), d’un Digital New Deal (intelligence artificielle, 5G, économie sans contact…) et du renforcement des filets de protection sociale.
Le pays du matin calme, serait le pays de l’OCDE le moins impacté par la crise et pourrait devenir cette année la 9e économie mondiale, soit un bon de trois places par rapport à 2019. La Banque de Corée estime ainsi que la croissance devrait s’établir à – 1,1 % durant l’année avant d’augmenter de 3 % en 2021 (le FMI et l’OCDE prévoient une chute de l’économie coréenne de respectivement 1,9 % et de 1,1 % puis une croissance de 2,9 % et 3,1 % en 2021). La bonne santé de ce pays et son plan de relance faisant la part belle aux nouvelles technologies devraient aiguiser les appétits des entreprises étrangères.
Hasard du calendrier, c’est pendant la tournée de Franck Riester que la France est devenue le 23e membre de l’Association des Etats riverains de l’Océan indien (Indian Ocean Rim Association – IORA). Signe de l’intérêt grandissant de la France pour cette région, cette adhésion, officialisée le 17 décembre, concrétise l’ambition que porte le gouvernement pour la région indopacifique, exprimée par le président Emmanuel Macron lors du forum Choose La Réunion en octobre 2019. A savoir : le développement par l’économie bleue, la connectivité, la lutte contre les effets du changement climatique, la défense de la biodiversité et la sécurité maritime.
Sophie Creusillet