Des deux côtés du Rhin, les institutions mettent en place des programmes bi-diplômants ou bi-nationaux. Conformément à l’Agenda franco-allemand adopté par le Conseil des ministres franco-allemands en février 2010, il s’agit de former des managers biculturels.
La coopération franco-allemande se renforce dans plusieurs domaines, dont l’enseignement supérieur. Ceci, conformément à l’Agenda franco-allemand 2020 que le 12e Conseil des ministres franco-allemands a adopté le 4 février 2010.
À terme, il s’agit de satisfaire la demande des entreprises qui, des deux côtés du Rhin, souhaitent recruter des collaborateurs biculturels afin de pénétrer le marché voisin. Or pour l’heure, de nombreux emplois restent vacants, faute de candidats disposant des compétences nécessaires, y compris linguistiques.
En 2011, notamment, le budget de l’université franco-allemande (UFA) a été augmenté de 10 % pour le porter à 11 millions d’euros. Instrument privilégié de la coopération universitaire franco-allemande, cette institution « sans murs », basée à Sarrebrück (Allemagne), réunit un réseau d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche français et allemands. Elle a cofinancé en 2009-2010 la mobilité de plus de 4 700 étudiants dans 169 établissements partenaires. Dans un entretien du 30 mars, paru conjointement dans les hebdomadaires français L’Usine nouvelle et allemand Wirtschaftwoche, le Premier ministre français, François Fillon, a rappelé l’objectif fixé dans le cadre de l’Agenda : doubler le nombre de diplômés de cursus binationaux labellisés par l’UFA. À ce jour, ce dernier labellise environ 145 cursus intégrés bi- voire tridiplômants, de niveau L (bac + 3) et M (bac + 5), ce qui représente plus du tiers des échanges au niveau de l’enseignement supérieur entre la France et l’Allemagne. Ses programmes couvrent l’ensemble du spectre de l’enseignement supérieur. La grande enquête consacrée par l’Institut der deutschen Wirtschaft au placement des diplômés de l’UFA sur les différents marchés du travail, actualisée chaque année, montre que le taux d’emploi des double-diplômés de l’UFA est de 96 % dans les trois mois suivant l’obtention de leur diplôme, pour un salaire moyen supérieur de 15 % à profil et qualification comparables.
De leur côté, les institutions françaises – déjà liées par des accords de partenariat avec leurs homologues allemandes – mettent en place de nouveaux doubles diplômes. Ainsi l’EM Strasbourg et Hochschule Reutlingen ont lancé en octobre 2010 un master universitaire sanctionné par un double diplôme. La première année de programme en deux ans (niveau bac + 5) se déroule chez le partenaire allemand (un semestre de cours, suivi d’un semestre de stage) et la seconde année à l’École de management Strasbourg.
Autre exemple, l’ENA lance en octobre 2011 un master européen de gouvernance et d’administration, en collaboration avec l’Académie allemande d’administration publique, l’université de Paris 1 et l’université de Potsdam. Ce programme binational vise de jeunes fonctionnaires ou de contractuels qui maîtrisent l’allemand et souhaitent s’investir sur des sujets de coopération européenne en général et franco-allemands en particulier. Il se déroulera à Paris et à Berlin.
Pour la France, l’enjeu est double. Il lui faut valoriser son enseignement supérieur afin d’attirer davantage d’étudiants allemands sur ses campus. Mais également préparer les étudiants français à répondre à la demande des entreprises d’outre-Rhin. Confrontées au vieillissement de la population allemande, celles-ci manquent d’ingénieurs, et plus encore d’ingénieurs formés au management, sur le modèle du programme MBA de l’ESMT.
Elle aura l’occasion de présenter son offre lors du salon « StudyWorld » dont elle sera l’invité d’honneur et qui se déroulera à Berlin les 20 et 21 mai prochain. À cette occasion, l’Agence CampusFrance s’est associée avec l’ambassade de France en Allemagne et l’université franco-allemande (UFA) pour organiser un pavillon. La mobilité des étudiants français et allemands sera le thème central des conférences. Chaque année, plus de 5 000 étudiants français traversent le Rhin pour étudier en Allemagne, selon les données 2008 de l’Unesco. Et près de 7 000 Allemands font le chemin inverse. Mais la France, avec 8 358 étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur en France en 2009-2010 (source Campus France) n’est que le 6e pays d’accueil des étudiants allemands, loin derrière l’Autriche, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
Depuis 2005, le nombre des étudiants allemands en France a carrément décru de 7,5 %. Les étudiants français en Allemagne, quant à eux, n’arrivent qu’en 10e position, avec seulement 2,5 % des effectifs d’étudiants étrangers présents en 2009-2010, loin derrière les Chinois (10 %).
Sylvette Figari
Témoignage : Clément Luton, étudiant MBA temps plein de l’ESMT
« Mon mentor travaille chez Daimler »
Sa formation d’ingénieur ? Trop spécifique pour briguer des responsabilités et mener des missions de dimension stratégique, comme il le souhaiterait. C’est pourquoi après avoir travaillé pour un laboratoire pharmaceutique au Vietnam puis fait pendant 6 ans de la gestion de projet chez Axa, Clément Luton a opté pour un MBA. « Ma femme, allemande, est consultante et nous avons fait ensemble un vrai brainstorming : je voulais partir à l’étranger, il ne lui déplaisait pas de retourner dans son pays. L’Allemagne est un pays qui enregistre de belles performances économiques et fait beaucoup de business avec la France, je trouvais donc intéressant d’y suivre mon MBA. En plus j’adore Berlin », souligne-t-il. Clément Luton postule donc à l’ESMT, une école internationale créée par des entreprises, ce qui lui octroie à ses yeux une certaine crédibilité. « C’est sans doute un pari de choisir ce programme récent et donc pas encore reconnu sur le marché, mais j’apprécie beaucoup le côté start-up de l’école. »
En plus du cursus très intense de MBA, Clément Luton suit des cours d’allemand. « Contrairement à l’idée souvent répandue en France des Allemands bilingues anglais, maîtriser la langue est indispensable pour trouver un emploi. Je travaille également, avec le coach qui suit les participants du MBA, à comment étendre mon réseau en Allemagne, notamment via les réseaux sociaux. Comme mes autres camarades de promotion, je devrais bénéficier de l’accompagnement d’un mentor, dans mon cas un diplômé de l’Executive MBA travaillant chez Daimler. »
G. G.
Trois questions à Nick Barniville, directeur des programmes MBA de l’ESMT (European School of Management and Technology) à Berlin.
« Les programmes reflètent la façon de faire du business en Allemagne »
Le Moci. Comment expliquer qu’une puissance économique telle que l’Allemagne compte peu de MBA reconnus internationalement ?
Nick Barniville. Historiquement, le moyen d’accéder à un poste à responsabilités en Allemagne était d’obtenir un doctorat, que les étudiants pouvaient préparer tout en travaillant en entreprise. Les accords européens de Bologne qui ont divisé les études supérieures en cycle bachelor (ou licence), master, puis doctorat ont permis au système éducatif allemand de se rapprocher de ce qui existe dans le reste du monde. En Allemagne, les MBA sont donc apparus depuis dix ans seulement – plusieurs ont été lancés ses cinq dernières années – et peu existent depuis suffisamment longtemps pour être accrédités ou classés dans les classements internationaux.
Le Moci. C’est le cas des deux programmes MBA que propose l’ESMT ?
Nick Barniville. L’école dispense depuis 2006 un MBA à temps plein, ainsi qu’un Executive MBA lancé un an plus tard. L’ESMT a été fondé en 2002 par 25 entreprises qui voulaient proposer à leurs cadres dirigeants des programmes de formation continue de haut niveau, qui surtout reflètent la façon de faire du business en Allemagne. C’est-à-dire un modèle des affaires moins ancré dans le management anglo-saxon – très centré sur la valeur financière et la place des actionnaires – mais qui se veut davantage orienté vers le business durable et valorise l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.
Le Moci. Vos programmes MBA enseignent-ils un mode de management à l’allemande ?
Nick Barniville. Nous nous présentons comme une école internationale de management basée en Allemagne. Notre MBA à temps plein est très international : la promotion 2011 comprend 18 nationalités et seulement deux étudiants allemands. C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, de l’Executive MBA où sont inscrits 50 % d’étudiants étrangers et sont représentées selon les promotions entre 10 et 13 nationalités. Nos professeurs sont également très internationaux. Il ne s’agit donc par pour nous d’enseigner une approche allemande du management. En revanche, nos MBA développent deux spécificités liées à notre background. La première est le management de l’innovation car les entreprises fondatrices de l’ESMT ont toujours été à la tête de leur secteur grâce à l’innovation et aux nouvelles technologies. La seconde concerne l’approche du business sous l’angle « durable » : développement durable, prise en compte de l’environnement, façon de faire du business dans les pays émergents.
Gaëlle Ginibrière