Alors que la colère des agriculteurs explose partout en France, à l’instar d’autres pays européens (Allemagne, Belgique…), un premier aperçu du baromètre Prism sur le monde agricole, à paraître le 14 février, place les distorsions de concurrence en haut de la liste de leurs inquiétudes, devant les normes et la nouvelle politique agricole commune (PAC) européennes. De quoi alimenter l’hostilité aux accords de libre-échange.
Hier 25 janvier, entre 12 et 15 d’entre eux ont été déchargés sur un barrage de la nationale 7, au sud de Montélimar. Ciblés, contrôlés et parfois vidés à même la route, les camions étrangers concentrent la colère des agriculteurs contre des marchandises qu’ils considèrent produites dans des conditions plus avantageuses en termes de prix et avec des normes moins exigentes.
Le baromètre Prism, réalisé fin décembre par BVA pour l’e-commerçant Agriconomie et le site d’information Réussir, pointe ainsi que la concurrence étrangère est devenue la bête noire des agriculteurs, dont 40 % jugent la situation « très préoccupante », soit 10 points de plus qu’il y a un an. La crainte de pertes de production en raison d’aléas climatique (stable, à 34 %), arrive en deuxième position devant les difficultés à transmettre les exploitations et les problèmes financiers.
Haro sur l’Union européenne
Certes, les coûts de production et les prix de vente sont plus bas, notamment en Espagne, mais la colère des agricultures cible également les normes réglementaires. Ainsi, 66 % des répondants au baromètre Prism (contre 62 % en 2023) estiment que « l’assouplissement des réglementations serait très pertinent pour aborder l’avenir ».
Sont particulièrement visés les intrants en raison d’une subtilité légale. En dehors de quelques exceptions, les molécules interdites par Bruxelles le sont dans tous les pays de l’Union européenne, mais un pays peut en interdire l’usage sur son sol, alors qu’elles ne figurent pas sur la liste européennes de produits prohibés. La France a ainsi obtenu une dérogation pour les néonicotinoïdes.
Dans un article de France Info, François Veillerette, porte-parle de l’ONG Générations futures, relève que « la France est loin d’être le pays le plus strict sur la question des pesticides. Elle affiche 283 matières actives autorisées. C’est certes moins qu’en Italie, qui en compte 310, ou qu’en Espagne et en Grèce [respectivement 299 et 295 molécules], mais c’est plus qu’au Portugal (270), en Allemagne (262), en Belgique (269), ou aux Pays-Bas, pourtant grand pays agricole ».
La Fnsea préconise un refus des accords de libre-échange
L’UE est également accusée de laisser entrer des produits étrangers, sans droits de douane, dans le cadre des accords de libre-échange qu’elle conclut avec des pays ou régions tiers. Ainsi, selon 92 % des agriculteurs sondés par l’institut BVA, la nouvelle PAC (2023-2027) « ne protège pas davantage les agriculteurs européens de la concurrence hors-Europe ». La synthèse des revendications de la Fnsea préconise « un refus clair des accords de libre-échange » alors que celui avec le Mercosur a été une nouvelle fois repoussé en décembre dernier.
Au niveau européen, 70 % attendent du Parlement européen, qui doit être renouvelé en juin prochain, « qu’il légifère en priorité sur la mise en place de clauses miroirs entre pays adhérents de l’UE ». Les prochaines élections européennes seront donc déterminantes même si 50 % des personnes interrogées estiment que les résultats « n’auront aucune incidence sur leur exploitation » et 40 % anticipent « davantage de pression en matière de normes environnementales ».
Bref, c’est une crise de confiance envers la politique qui explose aujourd’hui en France. Elle n’est certes pas nouvelle mais son ampleur a rarement été atteinte. Neuf agriculteurs sur dix (89 %) s’estiment « mal représentés par les députés européens français ».
Sophie Creusillet