C’est un peu un pavé dans la mare que jette le Haut-Commissariat au Plan dirigé par François Bayrou, avec sa dernière note sur le thème « Reconquête de l’appareil productif : la bataille du commerce extérieur »*. Non pas pour critiquer ouvertement les stratégies industrielles menées depuis 2017 par son allié Emmanuel Macron, mais pour appeler à ne pas oublier, à côté de la Startup Nation et des « produits de très hautes technologies », les secteurs traditionnels qui plombent au quotidien le déficit commercial de la France et où pourraient être relancées des productions.
« La France est le premier exportateur mondial de pommes de terre, mais nous sommes gravement déficitaires en chips, en flocons de purée, et sur d’autres produits transformés du même secteur agroalimentaire », s’indigne François Bayrou, ancien ministre de la Justice du gouvernement Philippe et patron du Modem, parti allié à la République en Marche, en ouverture de la note.
C’est le genre de situation caricaturale à laquelle a mené, selon lui, « une sorte de désintérêt progressif et croissant pour ces champs de production » ces quatre dernières décennies.
Résultat : un « déclassement sans cause liée à notre capacité (qui) est purement et simplement inacceptable » dont le déficit est une « photographie cruelle » avec – 75 milliards d’euros (Md EUR) en moyenne sur les dernières années « alors que le commerce extérieur allemand est excédentaire de plus de 200 milliards d’euros » et que celui de l’Italie est excédentaire depuis 2012.
D’autres exemples caricaturaux sont mis en exergue dans cette note, comme ce succulent passage sur « la ratatouille exprimée en chiffres du commerce extérieur » : on y découvre que pour le pays où est né cette recette fameuse, les légumes qui la composent – tomates, courgettes, poivrons ou piments doux, aubergines, oignons – représentent un déficit cumulé de -648 millions d’euros en 2019 et -650 millions en 2020.
914 postes représentent 80 % du déficit
La note fourmille de ces exemples de « faiblesses françaises », car pour arriver à ce constat et établir un diagnostic, le HCP est parti d’une matière première indispensable : les données détaillées du commerce extérieur des Douanes. Au total, il a analysé ligne à ligne les soldes commerciaux de 9 304 postes/produits.
Les résultats sont sans appel : 6 449 postes en 2019 (6 426 en 2020), soit plus des deux tiers (un peu plus de 69 % pour ces deux années), sont en déficit commercial, pour un total de -266 Md EUR (-235 Md EUR en 2020). De quoi nourrir un déficit commercial devenu chronique, qui a atteint -80 Md EUR en 2020.
« Ces déficits signalent une consommation intérieure non satisfaite par la production nationale, souligne le HCP. Cette consommation intérieure non satisfaite pourrait précisément constituer le socle de la reconquête et orienter nos axes d’effort. Après un examen approfondi de nos avantages comparatifs en la matière, ces produits en déficit pourraient correspondre aux champs potentiels d’une stratégie de reconquête de l’appareil productif »
Pour cette étude, le HCP s’est toutefois concentré sur 914 produits dont le déficit commercial est supérieur à -50 M EUR en 2019 et qui génèrent à eux seuls 80 % du déficit commercial global de la France.
Huit grandes catégories de produits
Si la pomme de terre ou la ratatouille sont des exemples parlants et que certains secteurs resteront des sources structurelles de déficit liées à l’absence de ressources sur le territoire (typiquement les hydrocarbures), il y en a d’autres dans des secteurs moins connus ou plus sensibles, à l’instar de la santé et des dispositifs médicaux, que la crise sanitaire a mis en exergue (aiguilles, canules, etc.).
Huit grandes catégories de produits se dégagent au total, affichant des déficits commerciaux parfois impressionnants :
–Produits agricoles et alimentaires : 143 postes, pour -22 Md EUR (fruits, légumes mais aussi produits transformés comme le ketchup, chips, biscuits, gaufrettes, etc.)
–Véhicules et équipements de transport : 75 postes pour -33 Md EUR (voitures d’une certaine cylindré, vélos, jeux de fils pour bougies d’allumage, etc.)
–Equipements et objets de la maison et du bureau et outils domestiques : 183 postes pour – 42 Md EUR (aspirateurs, brosses à dents, électroménager divers, linge et jouets pour enfants, etc.)
– Machines, outils, équipements professionnels : 101 postes pour -13 Md EUR (fibre optique, machines à traire, moissonneuses batteuses, groupes électrogènes à énergie éolienne, et.)
–Matériaux, matières 1eres et produits chimiques : 243 postes pour 34 Md EUR (antibiotiques, types d’objets en plastique, types de bois, alliages d’aluminium, etc.)
–Textile, vêtements et accessoires : 108 postes pour – 7 Md EUR (t-shirt, anorak, chaussures de sport, pulls, chemises, casquettes, etc.)
–Produits pharmaceutiques et dispositifs médicaux : 31 postes pour – 7 Md EUR (aiguilles, cathéters, canules, stimulateurs cardiaques, bandes pansement, matériels d’anesthésie, prothèses auditives, etc.)
–Hydrocarbures : 30 postes pour – 50 Md EUR (huiles, gaz, etc.)
Le HCP n’est pas naïf, tout ne pourra être relancé en France à l’instar du café que nous importons en masse ou des matières premières que ne recèle pas le sous-sol hexagonal. Sa note suggère d’utiliser trois paramètres pour identifier les produits sur lesquels un potentiel de réindustrialisation existe : l’existence d’une demande nationale, les débouchés à l’export et l’existence d’atouts de production et d’innovation.
Parmi les atouts de production, le HCP estime que si le taux d’auto-approvisionnement atteint 25 % et plus sur un produit, c’est un indicateur qu’il existe une capacité d’augmentation de sa production. Et de donner l’exemple du kiwi, pour lequel le taux d’approvisionnement est de 40 % : pourquoi ne pas augmenter la production plutôt que de les faire venir de Nouvelle Zélande ?
Le HCP annonce son intention d’engager dans les prochaines semaines « avec les acteurs des filières un travail approfondi, en concertation, sur la manière dont les productions nationales pourraient être renforcées ou constituées ». A commencer par le secteur de la santé, en raison des urgences révélées par la crise sanitaire.
A suivre…
Christine Gilguy
*La note du HCP est téléchargeable ci-après