Une part non négligeable du commerce mondial est constituée de flux de marchandises internes aux entreprises, entre maisons mères et filiales ou entre filiales d’un même groupe. Ces flux donnent lieu à une facturation : c’est le prix de transfert, une donnée stratégique pour ces entreprises. Rappel des règles du jeu dans ce domaine sensible.
Un tiers du commerce international est constitué d’échanges intragroupe, activité soumise à la vigilance accrue des administrations. Les prix de transfert sont les prix pratiqués au titre des transactions réalisées entre des sociétés d’un groupe localisées dans des États différents.
En modulant leur prix de transfert, les entreprises peuvent affecter, de manière directe et immédiate, l’assiette taxable revenant aux États : minoration des prix pour les filiales étrangères faiblement taxées ou majoration des prix facturés à des entités fortement taxées.
Ils constituent donc à la fois un excellent outil d’optimisation fiscale pour les entreprises et une source de pertes budgétaires importante pour les États.
1/ Le principe de pleine concurrence
Toutes les entreprises membres d’un groupe international, que ce soient des PME ou des grandes entreprises, doivent respecter le même principe du « prix de pleine concurrence », principe adopté par l’OCDE, selon lequel le prix pratiqué entre des entreprises dépendant du même groupe doit être le même que celui qui aurait été pratiqué sur le marché entre deux entreprises indépendantes.
Ce principe de pleine concurrence constitue la base des traités bilatéraux conclus entre les pays de l’OCDE mais aussi avec de nombreux pays non-membres. Ce principe commun permet aux différentes administrations fiscales d’obtenir une part équitable de l’assiette d’imposition des entreprises multinationales implantées dans leur juridiction, tout en évitant les problèmes de double imposition.
Ainsi, pour s’assurer de la conformité des prix de transfert à ce principe, une analyse fonctionnelle doit précéder la détermination de la méthode de fixation des prix de transfert : elle consiste pour l’entreprise à s’interroger sur sa place et son rôle économique au sein du groupe et à recenser les fonctions exercées (conception, fabrication…), les risques encourus (variation des taux de change, variation des prix des matières premières…), les moyens utilisés.
Afin d’aider au mieux les entreprises à fixer leur prix de transfert, l’OCDE a préconisé des méthodes qui peuvent être librement utilisées par les entreprises :
• méthode comparable sur le marché libre ;
• méthode du prix de revente, méthode du prix de revient major ;
• méthode du partage des bénéfices ;
• méthode transactionnelle de la marge nette.
Malgré la volonté affichée de l’OCDE d’aider au mieux les entreprises à fixer leur prix de transfert, il n’est pas toujours facile ou possible de trouver des transactions comparables sur le marché pour fixer un prix de transfert acceptable.
Ainsi, dans ce contexte, l’administration fiscale française impose le respect d’obligations documentaires.
2/ Les obligations documentaires des entreprises
Afin de lutter contre l’évasion fiscale et de justifier la méthode de détermination des prix de transfert, l’administration fiscale soumet les entreprises à des obligations documentaires.
L’Administration a publié, en début d’année 2011, une instruction commentant une obligation documentaire spécifique à la charge des personnes morales relevant de la direction des grandes entreprises. Cette nouvelle obligation concerne les transactions réalisées depuis le 1er janvier 2010.
Cette obligation doit permettre à l’administration fiscale d’appréhender l’environnement économique, juridique, financier et fiscal du groupe :
• description générale de l’activité déployée et des structures juridiques et opérationnelles du groupe avec identification des entreprises engagées dans la transaction contrôlée ;
• description générale des fonctions exercées et des risques assumés par les entreprises dès lors qu’ils affectent l’entreprise vérifiée ;
• liste des principaux actifs incorporels détenus et description générale de la politique de prix de transfert du groupe.
Elle doit en outre lui permettre de vérifier l’application du principe de pleine concurrence aux transactions effectuées :
• description des opérations réalisées avec d’autres entreprises associées incluant la nature des flux et les montants ;
• liste des accords de répartition de coûts ;
• copie des accords préalables en matière de prix de transfert ;
• présentation des méthodes de détermination des prix de transfert dans le respect du principe de pleine concurrence.
Malgré cette obligation documentaire, l’administration fiscale garde la possibilité de contester la méthode de détermination des prix de transfert. En effet, l’administration peut remettre en cause la méthode retenue si le principe de pleine concurrence n’est pas respecté.
Compte tenu des risques financiers liés aux contrôles fiscaux pouvant être diligentés par l’administration fiscale, cette dernière a mis en place un outil spécifique au profit des entreprises : les accords préalables.
3/ La procédure d’accord préalable
La procédure d’accord préalable en matière de prix de transfert, créée en 1999, permet aux entreprises multinationales d’obtenir des administrations françaises et étrangères un accord bilatéral sur la méthode de détermination de leurs prix de transfert.
La loi de finances rectificative pour 2004 a introduit la possibilité pour l’administration de conclure des accords unilatéraux avec les contribuables (accord conclu avec la seule administration française), permettant de déterminer une méthode de prix de transfert, pour une période déterminée et de manière concertée.
Bien que le déroulement de la procédure soit long (phase préalable à l’initiative du contribuable ; demande officielle accompagnée de la documentation indiquant la méthode de détermination des prix de transfert ; instruction de la demande et organisation de réunions techniques), l’accord préalable a pour effet de garantir au contribuable une sécurité juridique, l’administration ne procédant à aucun redressement des entreprises respectant les termes de l’accord. En effet, cet accord constitue une interprétation formelle ne pouvant être remise en cause. Cette procédure est donc vivement conseillée.
Depuis sa création en 2004, 136 dossiers sont ou ont été étudiés, dont environ 70 ont d’ores et déjà été signés.
Cette procédure d’accord préalable en matière de prix de transfert a également été mise en place au profit des PME afin de sécuriser leur prix de transfert. La documentation requise lors du dépôt de la demande est toutefois allégée.
4/ Deux textes réglementaires de l’OCDE à venir
L’OCDE, dont le but est de promouvoir le commerce international, tente continuellement de régler les problèmes d’insécurité juridique ou de double imposition dans le cadre des transactions intragroupe. C’est dans ce contexte qu’elle a mis en place des méthodes de fixation des prix de transfert.
La sécurisation des échanges internationaux va être renforcée par deux nouveaux textes réglementaires (aspects administratifs, biens incorporels…), en cours d’étude au sein de l’OCDE.
• Dans un premier projet, le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a décidé de définir des règles concernant l’évaluation des actifs incorporels aux fins de détermination des prix de transfert, compte tenu de la complexité de la problématique liée à la valorisation des actifs incorporels.
L’objectif est de définir les biens incorporels, d’élaborer un cadre permettant l’analyse des questions liées au prix de transfert sur ces actifs, d’envisager les problématiques liées à leur valorisation…
• Le second projet, lancé au début de l’année 2011, aura pour objectif de trouver des méthodes adaptées, en fonction de la taille des entreprises et du montant des transactions, pour la fixation des prix de transfert (obligation documentaire, notamment), pour l’organisation des contrôles… À ce stade, l’OCDE organise des échanges d’informations entre les différentes administrations fiscales étrangères.
Ces projets ont pour objectif de donner un cadre réglementaire, de plus en plus précis, aux prix de transfert, auxquels, compte tenu de l’importance des échanges internationaux, les entreprises ont recours de manière de plus en plus fréquente.
Tous ces éléments constituent un panorama de la réglementation fiscale applicable en matière de prix de transfert. Toutefois, compte tenu de la complexité du sujet, l’évolution du cadre législatif et réglementaire n’est pas près de s’arrêter.
Olivier Brisac, associé Baker Tilly France, et Laure Virazels, fiscaliste