Pour un homme parlant fort sérieusement de « saucisson », Antoine d’Espous ne mâche pas ses mots. Le vice-président de la FICT (Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes), lors du séminaire du Jetro et de EU-Japon Centre for Industrial Cooperation, le 10 février, sur l’accord de libre échange (ALE) en négociation entre Bruxelles et Tokyo, en a apporté la preuve, en s’attaquant très directement à la « fonction publique » et à l’Union européenne (UE), d’une part, et au Japon, d’autre part, qu’il a accusé de «maltraitance industrielle ». Et ce, en présence du négociateur en chef adjoint de l’ALE entre l’UE et le Japon, Marco Chirullo, et du vice-ministre nippon des Affaires internationales au ministère de l’Économie, du commerce et de l’industrie (Meti), Takayudi Ueda. Ambiance !
Charcuterie : France 0,2 % de part de marché, États-Unis 22 %
Prenant la parole après ses interlocuteurs de la Commission européenne et du Meti, qui ont chacun présenté leur vision de l’ALE en négociation, Antoine d’Espous a commencé mezzo voce, en rappelant que le premier client de la France est la Belgique, qui a consommé pour 100 millions d’euros de charcuterie bleu-blanc-rouge en 2014 et où elle disposait ainsi d’une part de marché (PDM) de 28,3 %. En comparaison, « nous avons fait 60 tonnes pour 824 000 euros de résultat au Japon, où notre PDM a plafonné à 0,2 % », a, ensuite, lâché un vice-président de la FICT, à la fois furieux et dépité.
Une situation qu’il ne comprend pas. « Au Japon, le pouvoir d’achat est fort, l’image de la France est bonne et la mode du bistrot y a pris », mais ce ne sont pas « nos produits culturels » qui sont achetés, mais « les viandes protéinées ou produits de masse américains », les États-Unis, constatait-il y disposant d’une PDM de 22 % correspondant à 119 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. « On n’est pas très très bien traité par la fonction publique qui ne fait pas son travail, qui n’est pas au service des entreprises, derrière elles », a affirmé le représentant des charcutiers français pour expliquer le retard de la France au pays du Soleil levant. Quant « à prêcher nos normes qualitatives, c’est très mal fait », a-t-il encore asséné.
Les contradictions de l’UE et du Japon en matière de sécurité
Enfin, selon lui, « l’UE constitue un marché libre, avec des normes pour l’industrie, mais pas pour les produits alimentaires ». Face à cette « non règlementation », chaque pays, a-t-il observé, « a établi ses propres règles, avec un arbitrage de la grande distribution. Il y a, pourtant, la certification International Food Standard (IFS), un référentiel international qui permet d’uniformiser les caractéristiques des produits en matière de qualité et sécurité alimentaire et « je ne comprends pas que l’UE ne s’attribue pas ce haut niveau de standard et de traçabilité », a ajouté le vice-président de la FICT, avant de s’attaquer au thon rouge de Méditerranée, acheté en grande quantité par le Japon.
« Avez-vous fait des analyses ? Je vois bien que non », a-t-il répondu de suite à sa propre question. Or, « il mange des petits poissons à la surface victimes de la pollution. C’est ainsi une viande rouge avec des métaux lourds, mais là, on ne se pose pas de questions ». Et d’enfoncer le clou : « On permet au thon rouge d’aller au Japon sans discernement ».
Les Européens ne s’inquiètent pas, pas plus que les Japonais qui, pourtant, appliquent des normes telles à la charcuterie française que « c’est de la maltraitance industrielle ». « Comment voulez-vous que je fasse tourner une usine de saucissons que l’on m’a demandé de spécialiser sur le Japon à raison de 30 tonnes par an ? En plus, les Services japonais doivent accréditer les cochons, doivent aussi accéder à mes entrepôts. C’est donc le parcours du combattant pour faire évaluer des normes qui n’en sont pas », s’est encore plaint Antoine d’Espous, jugeant « stupide » le fait que l’on exige que le produit ait une durée de consommation de 180 jours !
Naissance d’un label dans l’archipel, équivalent de l’IG européenne
Si Marco Chirullo n’a pas répondu aux attaques virulentes d’Antoine d’Espous, en revanche, Takayudi Ueda, l’a fait à fleurets mouchetés, avec une certaine finesse. « Vous savez, a-t-il exposé à l’attention de son interlocuteur de l’Hexagone, les normes de sécurité reflètent souvent les traditions. Voyez l’histoire du katsobushi, un ingrédient de poisson fumé pour la soupe. Chez nous, des PME en fabriquent depuis plus de 1 000 ans. Mais si elles veulent exporter chez vous en Europe, elles doivent acquitter d’énormes sommes en raison des règlementations de sécurité ».
Réagissant aux propos du vice-ministre nippon, Marco Chirullo a convenu de la nécessité de « se pencher sur les mesures sanitaires et phytosanitaires et les adjuvants alimentaires ». « On est au cœur du problème, a poursuivi le représentant de la Commission européenne, car il nous faut harmoniser autant que possible ces mesures règlementaires et ce n’est pas facile ». Et ce aussi, peut-être parce que le négociateur à la Direction générale du commerce a rappelé à son interlocuteur du pays du Soleil levant que la défense des indications géographiques (IG) étaient devenue en Europe « un mot d’ordre » afin de « prendre en compte la qualité ».
Le 22 décembre dernier, Tokyo a, toutefois, annoncé la création d’un label, équivalent de l’IG européenne, pour valoriser ses produits et doper ses exportations. Sept produits en bénéficient depuis : le bœuf de Kobe, les melons de Yubari, le thé vert Yamecha de la préfecture de Fukuoka, le cassis d’Aomori, le bétail « tajima-gyu » d’Hyogo, les potirons d’Ibaraki et le vinaigre noir de Kagoshima. Peut-être un premier pas vers une reconnaissance mutuelle.
François Pargny
Pour en savoir plus :
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