Le compte à rebours a commencé pour Osaka Expo 2025, la prochaine exposition universelle prévue au Japon du 13 avril au 13 octobre 2025. Le Pavillon France, dont le projet a été présenté le 10 janvier dans les salons d’honneur du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sera le mieux placé aux côté de celui du pays hôte. Il promet un « hymne à l’amour » célébrant à la fois l’art de vivre à la française, l’amour de la nature et les savoir-faire industriels et technologiques, bref une vitrine de la France. L’agenda de Jacques Maire, président de la Cofrex et commissaire général du pavillon France, devient un casse-tête mais il a dégagé ce qu’il fallait de temps pour accorder un entretien exclusif au Moci. Il y fait le point sur les ambitions du projet tricolore et sa stratégie, les enjeux pour les entreprises, son souhait de parvenir à convaincre de grands noms de l’industrie de participer, les améliorations apportées, en terme d’efficacité, par la Cofrex, structure dédiée à l’organisation des Pavillons France sur ces grands événements depuis 2018.

Le Moci. Vous avez présenté le projet de pavillon France à l’Expo universelle d’Osaka le 10 janvier dernier. La Cofrex que vous dirigez a aussi été l’organisateur du pavillon à la précédente Expo de Dubaï. Est-il possible de chiffer les enjeux et les retombées d’un tel projet en termes de business pour les entreprises ?
Jacques Maire. Concernant Dubaï, nous avons des success stories qui appartiennent aux entreprises et que nous ne sommes pas habilités à dévoiler. En revanche, nous avons des chiffres précis concernant le bilan de l’activité économique du pavillon. A Dubaï, nous avons accueilli 250 événements B to B qui ont accueilli un total de 13 000 visiteurs économiques et d’entreprises. Dans le détail, Business France a organisé plusieurs événements collectifs sur le pavillon qui ont rassemblé 1600 personnes liées à des opérateurs économiques. Nous avons également eu la visite de 12 délégations d’entreprises venues pour des salons professionnels ou dans le cadre de missions de prospection aux Emirats, avec à chaque fois un événement dédié sur le pavillon. Nous avons aussi reçu neuf délégations d’entreprises régionales, dont une portée par Bpifrance, venues à l’occasion d’un événement organisé sur le pavillon.
Il faut également prendre en considération les aspects institutionnels, qui peuvent aussi avoir des impacts en termes de business. Durant Expo Dubaï, nous avons reçu sur le pavillon France 440 délégations internationales et 110 délégations françaises, soit 550 délégations au total qui ont amené 4 200 personnalités originaires de 90 pays…
« Nous nous attendons à ce que les visiteurs économiques soient beaucoup mieux préparés »

Le Moci. Vous avez dit que l’expérience d’Expo 2020 Dubaï est spécifique par rapport à celle qui aura lieu au Japon. Pouvez-vous préciser ?
Jacques Maire. Dubaï a été spécifique car c’est un lieu où se déroulent beaucoup de salons et événements professionnels toute l’année. Beaucoup sont allés à Dubaï pour participer à un de ces événements, dans le cadre d’une mission Emirats-Golfe, et à cette occasion, en ont profité pour visiter le Pavillon France à l’Exposition universelle. Pour Osaka ce sera différent : il faudra s’y rendre pour l’Exposition universelle et non pas à l’occasion d’une visite à un salon ou à un autre événement. Les flux business seront moins nombreux qu’à Dubaï car c’est plus coûteux, plus loin et que cela demande beaucoup plus de temps.
Mais il ne faut pas opposer quantitatif et qualitatif : moins de flux, cela signifie aussi que les opérations devront être plus ciblées. Nous nous attendons à ce que les visiteurs économiques d’Osaka soient beaucoup mieux préparés, avec des objectifs précis, et viennent à l’occasion d’événements avec des thématiques davantage sectorielles que généralistes.
« Un écosystème s’est créé autour du pavillon France, avec une continuité d’acteurs »

Le Moci. Intéresser les entreprises, et notamment trouver des partenaires, a-t-il été plus compliqué pour Osaka que pour Dubaï, cette dernière ayant en plus été reportée d’un an (1er octobre 2021 – 31 mars 2022) en raison de la Covid-19 ?
Jacques Maire. Je ne dirais pas cela, je dirais même le contraire. Le premier élément, c’est que le succès amène le succès. Pour beaucoup de partenaires, nous avons transformé l’essai à Dubaï et ils ont souhaité nous suivre à Osaka, même si l’enjeu business n’est pas aussi évident pour eux. Je peux vous donner plusieurs exemples comme Bureau Veritas, Mazars mais aussi, par exemple, des ETI comme Memorist, Igieniair, ou des groupes comme Bel. Les interlocuteurs professionnels ont pris goût à cette expérience de l’Exposition universelle et ils veulent la reproduire sur d’autres éditions. C’est intéressant car cela signifie qu’un écosystème s’est créé autour du Pavillon France, avec une continuité d’acteurs.
Le Moci. Est-ce aussi lié à l’existence d’un organisateur unique et pérenne depuis la création de la Cofrex en 2018 ?
Jacques Maire. Avant la création de la Cofrex, il était beaucoup plus complexe d’embarquer cet écosystème et de pérenniser la relation. A présent, nous voyons se développer une qualité relationnelle, se créer une expérience. Et ce sont des partenaires qui s’engagent très tôt parce qu’ils savent désormais comment ça marche et à qui s’adresser.
Un autre aspect intéressant est l’existence d’une spécificité marché. Pour Dubaï, l’un des principaux partenaires du pavillon était Engie, pour Osaka, à ce stade nous n’avons pas de partenaire du secteur de l’énergie parce que ce n’est pas le même enjeu qu’à Dubaï. En revanche, nous avons cette fois-ci deux partenaires qui n’étaient pas à Dubaï, LVMH, qui s’est positionné très en amont, et Axa, qui s’est engagé assez facilement, car le Japon est un marché considéré comme stratégique pour ces deux groupes.
J’observe aussi l’émergence d’ETI performantes : je vous ai déjà cité Igieniair, Memorist, on peut ajouter Ninapharm. Ce sont des partenaires importants, qui s’investissent dans le Pavillon France de façon conséquente, de 100 000 euros jusqu’à plus d’un million. C’est intéressant de voir arriver cette nouvelle génération d’entreprises. Pour nous, travailler avec elles est plus aisé car leur gouvernance est plus simple, nous n’avons pas à discuter des mois et des mois car le dirigeant sait s’il veut y aller ou pas.
« A ce stade, nous n’avons pas réussi à intéresser de grands partenaires industriels »

Le Moci. Il y a peu de grands industriels dans vos partenaires…
Jacques Maire. A ce stade, nous n’avons pas réussi à intéresser de grands partenaires industriels alors que ces entreprises existent au Japon. J’en cite trois : Air Liquide, Veolia, et Renault qui n’est certes pas présent sous sa marque mais qui a tout un track record dans ce pays. Fives non plus n’a pas souhaité nous rejoindre à ce stade. Pour moi c’est un peu un mystère, comme si l’on estimait qu’il n’y avait pas besoin de porter l’image France quand on est un industriel. Nous avons un autre point de vue. Le pavillon ne va pas seulement porter l’art de vivre à la française avec le luxe ou la gastronomie, nous souhaitons qu’il porte aussi la dynamique engagée en France d’une réindustrialisation bas carbone. Evidemment, ce serait encore plus simple si nous avions de grands partenaires industriels : Veolia c’est l’économie circulaire, Air liquide c’est l’hydrogène, Renault avec Ampère, ce sont les batteries électriques. Les Allemands, par exemple, avec leurs industriels, ont cette volonté de porter une identité collective. Nous n’arrivons pas encore à la faire éclore en France et je le déplore. Mitsubishi, Cisco et d’autres tiendront, eux, le haut du pavé à Osaka.
Le Moci. Y-a-t-il encore de la place ?
Jacques Maire. Il y a plein de place, au contraire, et nous sommes persuadés qu’il y a encore une histoire à écrire. Il y a mille façons, pour une entreprise, de faire briller sa marque. Cela peut être sous la forme d’un sponsoring dans la programmation événementielle, ou en s’associant à la présence d’un objet emblématique du patrimoine sur place – je pense à une statue de Rodin ou une gargouille de Notre Dame -, d’un partenariat autour du parvis du pavillon virtuel, ou tout simplement en louant un espace sur le pavillon. Ce n’est pas une question de moyens : si vous êtes mécène sur le pavillon pour 100 000 euros, cela vous coûte 40 000 après déduction. Pour une entreprise qui veut être visible au Japon auprès du grand public, c’est hyper compétitif.
« Au fur et à mesure que Cofrex gagnera en maturité (…) un principe de continuité pourra être développé »

Le Moci. Comment un tel projet se prépare-t-il, combien de temps à l’avance, et quel rôle joue Cofrex ?
Jacques Maire. Historiquement, la France a toujours été présente à très haut niveau dans les Expositions universelles mais pendant longtemps, une structure ad hoc, et donc par essence éphémère était créée pour chaque exposition. Pour Shanghai en 2010, c’était la Cofres, pour Milan en 2015, le projet, dont j’étais un des administrateurs, avait été confié à FranceAgrimer. Mais face à la complexité de l’évènement, avec des délais assez courts et des contraintes budgétaires fortes, l’Etat, qui est notre actionnaire, s’est rendu compte à Milan que nous ne partions pas à armes égales vis à vis des autres nations. Avant Dubaï, à chaque nouvelle exposition universelle nous devions repartir de zéro : il fallait recréer une structure, le cadre juridique, des process et l’écosystème de partenaires que j’évoquais précédemment. L’équipe passait alors plus de temps à savoir comment être conforme aux exigences de la Cour des comptes que de travailler au contenu du projet. Au vu de ce bilan, l’option prise en 2018 a été de considérer que la bonne gestion des deniers publics nécessite d’avoir une équipe dédiée et pérenne. Cette approche a été proposée par Alain Berger, à l’époque commissaire général du Pavillon France à l’Exposition de Milan et qui préside aujourd’hui le Bureau International des Expositions (BIE).
Le gouvernement a souhaité privilégier ce modèle et Cofrex a été créée. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase intermédiaire : nous fonctionnons par mandat, projet par projet. Cofrex n’a pas de fonds propres, elle reçoit des financements liés à un projet. Autrement dit, la dotation budgétaire de Cofrex est liée à une opération qui lui est confiée, ce qui signifie une exposition universelle tous les cinq ans, avec un pavillon à créer pour une durée de six mois, et une exposition internationale intermédiaire, avec une scénographie sur une période de trois mois. Nous avons commencé à percevoir des financements pour Osaka depuis 2022. Mais nous n’avons pas encore reçu le mandat pour l’Exposition internationale suivante à Belgrade, en 2027. Je pense qu’au fur et à mesure que Cofrex gagnera en expérience, que la qualité des pavillons sera assurée, un principe de continuité pourra être développé.
Cofrex est une société par action simplifiée et une entreprise à mission gérée comme une entreprise privée. Mais au-dessus de ses organes de gouvernance interne, où est présent un représentant de l’Etat, la gouvernance est interministérielle, et elle est contrôlée par les organes de l’Etat compétents : Contrôle général économique et financier, Cour des comptes, Inspection générale des finances, etc. Comme nous sommes une petite structure, nous fonctionnons comme un comité de direction : nous avons les compétences clés en matière de finances, de construction, de gestion du pavillon, de partenariats, de programmation et de communication. Et nous passons des marchés, une vingtaine au moins pour un pavillon, qu’il s’agisse de concession, de marché classique, d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou encore de marchés de droit local. C’est une autre spécificité de Cofrex : pour chaque exposition, nous créons une filiale locale, dans le pays d’accueil, pour simplifier les opérations avec les prestataires sur place. Nous passons d’une petite équipe d’une dizaine de personnes en phase de préparation, à plusieurs dizaines dans la phase de réalisation et d’opération.
« Nous sommes un porte avion et l’argent sert vraiment à développer la visibilité du pavillon »

Le Moci. Pour Osaka, vous avez créé une équipe France dédiée aux aspects export et attractivité, avec Business France, Bpifrance, les CCEF, la CCI France Japon. Comment cela se passe-t-il concrètement ?
Jacques Maire. Il y a deux aspects un peu différents. D’une part, il y a la relation inter-individuelle avec chaque organisme pour construire un programme avec eux dans le cadre de la programmation que nous avons prévue pour 2025 : Business France et la CCI France Japon sont en train de le préparer, et avec les CCEF, nous avons déjà identifié quelques événements. Chacun a fait son marché dans l’offre que nous avons proposée. Et d’autre part il y a une nécessaire coordination entre les différents acteurs. Une première initiative de coordination a été lancée par Medef international en juin 2023, et la présidente des CCEF, Sophie Sidos, va faire de même prochainement.
Indépendamment de cela, nous avons des relations avec différentes filières professionnelles et nous avons organisé des séminaires à leur intention. Nous aurons prochainement une réunion avec les représentants des filières à la DGE (direction générale des entreprises).
Nous démarchons systématiquement les acteurs économiques mais nous ne faisons pas les questions et les réponses : nous présentons notre offre et il faut que les différents écosystèmes s’organisent pour être présents. S’ils ont envie, ils savent quel est le mode d’emploi.
Le Moci. Le Japon a fait un honneur à la France en localisant son pavillon près de l’entrée principale, à proximité du pavillon japonais. Vous avez indiqué que votre budget était de 53 millions d’euros, dont 40 millions apportés par l’Etat et le reste par les partenaires. Pensez-vous que vous bouclerez ce budget et surtout, que la France sera à la hauteur de l’accueil qui lui est fait par le pays hôte ?
Jacques Maire. Le chiffre que j’annonce est quasi certain, même s’il y a toujours besoin de moyens supplémentaires. Car plus nous avons de moyens, plus nous pouvons déployer de la programmation, concevoir des événements, créer du spectaculaire afin pour seul objectif de valoriser les atouts de notre pays et amplifier son attractivité. Fait-on un événement tous les deux jours, tous les trois jours ? Combien associe-t-on de régions françaises dans notre programmation, combien de secteurs économiques ? Nous sommes un porte avion et les financements servent vraiment à développer la visibilité du pavillon, je pense par exemple au pavillon virtuel ou encore à la mise en lumière du pavillon, qui est d’autant plus un sujet que celui-ci est très bien placé. Or, c’est un coût certain et les partenaires sont les bienvenus pour soutenir cet investissement.
Sera-t-on à la hauteur ? C’est un challenge pour tout le monde. Les conditions de construction sont extrêmement difficiles, elles ne l’ont jamais été autant. Cela s’explique par le fait que la Covid a retardé le démarrage du projet, que c’est une île, qu’il y a une pénurie énorme de matériel et de main d’œuvre, qu’il y a des normes au Japon interdisant l’importation de produits aussi basiques que le sprinkler, qui manque pourtant dans le pays. En réalité, tous les pavillons nationaux sont confrontés aux mêmes problèmes que le nôtre et sont dans une gymnastique permanente pour trouver des solutions. Cela va être extrêmement sportif. Mais comme nous sommes parmi les pays qui nous donnons les moyens, même s’il y aura encore des ajustements, il ne fait aucun doute que nous serons spectaculaires.
Le Moci. Cet événement est-il vraiment désiré et attendu par les Japonais ?
Jacques Maire. Les organisateurs prévoient 30 % de visiteurs en plus qu’à Dubaï. D’une manière générale, les Japonais ont un intérêt pour ce type d’évènements. Mais c’est vrai qu’il y a actuellement un certain nombre de polémiques au Japon sur l’opportunité d’avoir une Expo universelle juste après des jeux olympiques qui, en plein Covid, n’ont pas été un succès du point de vue de la présence du public. Et ce au vu également des conditions de construction particulièrement compliquées. S’y ajoute un problème de politique intérieure avec une rivalité notoire entre Osaka et Tokyo. Tout cela a généré une atmosphère médiatique assez négative autour de cette exposition universelle. Néanmoins, quand on interroge les Japonais, et particulièrement les jeunes générations, pour savoir si elles souhaitent venir ou pas, l’inquiétude tombe : entre autres, un tiers des jeunes souhaitent venir et un autre tiers a déjà décidé de venir. C’est pourquoi nous n’avons aucun doute sur le fait que le public, japonais et international, sera au rendez-vous.
Propos recueillis par
Christine Gilguy