Ce n’est pas vraiment une surprise, puisqu’avant même la visite officielle du président Hassan Rohani dans l’Hexagone (27-28 janvier), Téhéran avait annoncé son intention d’acquérir une centaine d’Airbus. Seule véritable inconnue, le nombre d’appareils. Ce sera finalement 118 moyens et longs courriers, dont 12 A 380, soit un contrat de 25 milliards de dollars à répartir entre les actionnaires du consortium européen.
Il faudrait à Airbus entre six à douze mois pour livrer les premiers avions, en particulier les mono-couloirs A 320. Mais surtout, ce contrat, s’il reste encore à confirmer, placerait le constructeur aéronautique dans une position enviable pour la suite, alors que les besoins supplémentaires de l’Iran ont été évalués au total à 300 appareils par la revue professionnelle FlightGlobal.
D’ici quelques semaines, ce seront d’autres Airbus qui voleront vers Téhéran, ceux d’Air France, « qui rejoindront la capitale iranienne en cinq heures, ce qui constitue un signal fort correspondant aux attentes iraniennes », a souligné Pierre Gattaz, avant de recevoir Hassan Rohani (notre photo) au Medef, en présence du Premier ministre Manuel Valls et de plus de 500 entreprises françaises iraniennes.
Le patron des patrons français a également rappelé que Medef International a mené à Téhéran, en septembre dernier, « une des missions les plus importantes jamais organisées », avec 130 responsables d’entreprises et la présence de deux membres du gouvernement : Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, et Matthias Fekl, secrétaire d’État au Commerce extérieur.
Richel et Sanofi s’engagent, le pari régional de PSA
A Paris, Stéphane Le Foll a remis le couvert, signant de nombreux accords avec son homologue Mahmood Hojjati en matière sanitaire et phytosanitaire pour fluidifier les échanges ou en matière de recherche pour rapprocher les instituts sur des thèmes précis, une douzaine comme « la productivité et gestion de l’eau, la production de semences, les questions sanitaires et phytosanitaires, les ressources génétiques, les biotechnologies et l’adaptation aux dérèglements climatiques », précise un communiqué de presse du ministère de l’Agriculture (lire pdf ci-joint).
Stéphane Le Foll s’est aussi félicité de l’adhésion de l’Iran à l’initiative 4 pour 1000 de séquestration du carbone dans les sols et des accords privés ont été également conclus dans des domaines très divers, comme la production d’autovaccins pour l’aviculture et la pisciculture et sur la mise en place de la première écloserie d’œufs de truite en Iran.
Richel, fabricant de serres maraîchères et horticoles, a paraphé un protocole d’accord portant sur la réalisation de serres de haute technologie avec des perspectives de déploiement à très grande échelle sur 5 000 hectares à moyen terme.
François Hollande a reçu son homologue à l’Élysée. Après cette rencontre avec le président iranien, le président français s’est réjoui de la conclusion de nombreux protocoles d’accords « dans la finance, l’agriculture, la santé, l’industrie, les télécommunications, l’aéronautique, les transports ».
Sanofi a, par exemple, indiqué être lié par un mémorandum de coopération avec la Food ans Drug Administration iranienne, rattachée au ministère de la Santé et de l’éducation médicale de la République islamique, portant sur le transfert de savoir-faire en matière de normes de qualité industrielle à ses partenaires actuels, la prévention de certaines maladies chroniques et non transmissibles et les collaborations possibles pour promouvoir la conduite d’études épidémiologiques et améliorer la disponibilité de registres épidémiologiques précis, fiables et utiles.
Dans l’automobile, lors de la réception d’Hassan Rohani au Medef, une série de coopérations a été officialisée, notamment entre PSA et Iran Khodro. Pour le constructeur français, l’enjeu n’est pas seulement national, mais aussi régional. Ce n’est pas seulement un pays de 80 millions d’habitants qui est visé, mais de 600 millions. « Le monde sait que l’Iran est au centre d’un grand marché qui croît », a affirmé Mohsen Jalalpour, président de la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et d’agriculture d’Iran (ICCIMA).
Téhéran met en avant son rôle de transit, à travers le corridor sud-nord l’Inde, puis la Russie et le nord de l’Europe, et le corridor est-ouest vers la Chine, puis l’Europe par rail. Téhéran accueillera ainsi, les 15 et 16 mai, la première Conférence internationale, dédiée à la coopération entre les chemins de fer et l’industrie pétrolière et de gaz ainsi que les principaux ports du Moyen-Orient, d’Asie centrale et des régions voisines.
Produire sur place et entrer dans l’OMC
Dans la foulée de PSA, d’autres sociétés de l’Hexagone ont engagé des partenariats : Total va acheter à l’Iran « entre 150 000 barils par jour et 200 000 barils par jour » de pétrole brut, a indiqué son P-dg Patrick Pouyanné, Suez coopérer dans l’eau et son traitement avec la Compagnie nationale de l’Eau (NWWC), Vinci rénover, étendre et exploiter les aéroports de Machhad et d’Ispahan, Alstom développer des projets potentiels de tramways, métros et trains de grande ligne et étudier la création d’une coentreprise.
Lors du colloque Coface-risques pays 2016, le 26 janvier, Jean-Christophe Victor, fondateur et directeur du Laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques (Lepac), indiquait que la remise à niveau des installations pétrolières en Iran nécessitait un volume d’investissements de l’ordre de 130-140 millions de dollars d’ici à 2020.
Il y a de la part des Iraniens la volonté de produire autant que possible sur leur territoire, par exemple, les gazoducs, de développer des entreprises, des startups. Si certains projets déjà définis feront l’objet de partenariats public-privé (PPP), d’autres pourront être portés totalement par le secteur privé. La modernisation de l’économie locale passera inévitablement par une adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « Nous avons proposé l’assistance de la France pour que l’Iran entre dans l’OMC », a révélé Mathias Fekl. Selon le secrétaire d’État, « nous sommes dans le contexte du jour de la mise en œuvre de l’accord du 14 juillet 2015 sur le démantèlement nucléaire ».
Toutefois, conscient des craintes des banques privées, depuis la forte amende infligée en 2014 à BNP Paribas par les États-Unis, le secrétaire d’État a promis une « clarification du financement public comme privé avec Bercy et le ministère des Affaires étrangères ». Une première réponse vient d’être apportée avec la reprise des garanties publiques sur l’Iran par Coface. Au Medef, Matthias Fekl a aussi conseillé aux hommes d’affaires de consulter le tableau des sanctions internationales et le calendrier de leur levée.
Pour Paris, l’Iran est un enjeu considérable. En dix ans, les échanges bilatéraux ont été divisés par dix. D’après la base de données spécialisée GTA/GTIS, les importations de l’Iran en provenance de France étaient tombées sous la barre des 420 millions d’euros en 2014. Sur les premiers dix premiers mois de 2015, ce montant était proche de 466 millions d’euros. Avant de se déplacer dans l’Hexagone, le président Rohani s’était rendu en Italie, pays devançant la France comme fournisseur (554 millions d’euros d’achats iraniens entre janvier et octobre 2015). Entre les grandes puissances du monde, asiatiques et européennes notamment, la course aux contrats est ainsi lancée.
François Pargny
Pour prolonger :
–France / Iran : Manuel Valls et Hassan Rohani délivrent au Medef un message politique… et économique
–Iran / Crédit export : accord pour la réouverture des garanties publiques par Coface
–Dossier Iran 2015