Déjà, le doute n’était pas permis sur la menace de rupture du président américain quand, le 12 octobre au matin, le cabinet d’affaires August Debouzy a invité la presse à débattre sur l’Iran : le soir même, Donald Trump refusait, en effet, de certifier que Téhéran respecte l’accord de démantèlement nucléaire signé avec les leaders européens et son prédécesseur, Barack Obama, le 14 janvier 2015, à Vienne. La ‘décertification’ de l’accord ouvre ainsi la possibilité pour le Congrès américain dans un délai de 60 jours de s’entendre ou non pour la réinstallation des sanctions.
« Le contrat entre les parties prévoyaient que si l’Iran ne respectait pas la règle, alors on reviendrait sur l’ensemble des sanctions levées, selon la procédure dite du snapback, prévue au paragraphe 36 du Programme conjoint d’action global (JCPOA) », expliquait Mahasti Razavi, associé et avocat aux barreaux de Paris et New York. De quoi refroidir un engouement des entreprises françaises qui, jusqu’à présent, ne se démentait pas. Qu’en est-il ?
Le Sénat américain prône le dialogue avec l’Europe
Deux possibilités sont maintenant ouvertes en principe par la décision de l’hôte de la Maison Blanche de ‘décertifier’ l’accord du 14 juillet. D’abord, les parlementaires américains peuvent ne pas suivre l’avis de leur président et le JCPOA reste en vigueur. Cette option serait une surprise, mais, en même temps, elle ne peut être exclue. Les Républicains détiennent une majorité étroite au Sénat et le sénateur Bob Corker a déjà appelé la Maison Blanche à dialoguer avec les Européens pour résoudre « les déficiences » de l’accord.
Deuxième hypothèse, le Congrès suit le président, mais Washington ne parvient pas à démontrer que l’Iran n’a pas respecté la conformité du programme. Cette hypothèse est probable, toutes les grandes puissances européennes ou encore la Chine et la Russie s’opposant à la décision unilatérale des États-Unis revenant sur un engagement international.
Néanmoins, Washington peut très bien ne pas tenir compte de l’avis des autres membres du Conseil de sécurité des Nations Unies et décider de rétablir l’intégralité des sanctions dont une partie sont déjà levées. Ces sanctions sont dites primaires (interdiction de relations pour les entités américaines) ou secondaires (appliquées aux non américaines), mais la Maison Blanche peut aussi créer une troisième catégorie, par exemple en renforçant les pratiques d’extraterritorialité des lois américaines, qui permettent d’imposer de lourdes amendes à des sociétés violant la législation anticorruption ou le régime américain des sanctions internationales en dehors du territoire des États-Unis.
Un effet psychologique fort
« Dans l’immédiat, affirmait Mahasti Razavi, la décision de Donald Trump n’a aucune conséquence sur les investissements passés et qui se profilent. En revanche, l’effet psychologique va être fort pour des entreprises sur le moyen et le long terme ». D’autant que la dénonciation de l’accord de Vienne intervient juste après l’annonce du retrait des États-Unis de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), confirmant ainsi ce que l’on ressent depuis longtemps : l’abandon peu ou prou du multilatéralisme par les États-Unis au profit d’un recentrage national, conformément au slogan présidentiel ‘America First’, sous-entendant aussi une part d’isolationnisme.
Les plus remontés contre Donald Trump sont les Européens, car, outre les arguments politiques – l’accord de démantèlement est, selon eux, respecté à la lettre et supervisé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) – l’économie est un enjeu majeur. Les Européens sont pris de l’avance, alors que l’interdiction d’opérer pour les compagnies des États-Unis n’est pas levée, à l’exception de celles (Coca Cola…) ayant reçu l’autorisation expresse de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), organisme de contrôle financier, dépendant du Trésor.
Les solutions pour se financer
Depuis la levée des sanctions, les investissements directs en Iran auraient doublé. Les programmes d’infrastructure sont conséquents : 17 ports, 80 gares, etc. Or, les banques françaises ne veulent plus accompagner le commerce international par crainte des sanctions américaines. Quand Renault, PSA, Orange ou encore aujourd’hui Total et l’allemand Mercedes-Benz s’engagent, elles peuvent utiliser des fonds propres. Les groupes automobiles français ont créé des joint-ventures et donc s’appuient sur des partenaires.
Dans les biens de consommation, beaucoup font appel à des financements intergroupes, la maison mère acceptant dans ce cas de financer une filiale à 100 %. D’autres encore, pour de petites enveloppes, peuvent recourir deux petites banques françaises, Delubac et Wormser Frères, pour prendre en charge leurs transactions avec l’Iran, mais au-delà de certains montants pour des projets de financement, doivent faire appel à des établissements japonais, suisses, russes ou coréens.
« L’engouement pour l’Iran est réel, et pas seulement des grands groupes, mais aussi des petites entreprises », assurait l’avocate d’August Debouzy, qui travaille pour de grands groupes, mais aussi des PME, des TPE et une banque d’investissement. Ce cabinet n’est pas le seul en France à s’être implanté.
Gide a été le premier cabinet d’avocats international à obtenir une licence afin d’ouvrir une succursale en Iran en septembre dernier. Fidal vient aussi d’annoncer un partenariat avec Ferdowsi Legal, cabinet iranien d’avocats et de conseils juridiques. S’il fallait une preuve du retour de l’Hexagone dans l’ancienne Perse, le nombre d’élèves à l’École française de Téhéran aurait doublé.
Récemment, Bpifrance a promis pour début 2018 la mise en place d’une ligne de crédit à l’export de 500 millions d’euros via un mécanisme ad hoc. Une bonne nouvelle, mais la mise en place demande à la banque publique une attention particulière. Car si l’établissement n’est pas implanté outre-Atlantique, en revanche, elle est tenue de respecter les sanctions et, notamment, de ne pas opérer en dollar. « Toutes les grandes entreprises sont sur la ligne de départ », affirmait le directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq, le 25 septembre dernier. Mais c’était avant la décision de Donald Trump. Qu’en sera-t-il dans quelques mois ?
François Pargny
Pour prolonger :
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