L’Iran et les États-Unis seraient tentés par un rapprochement. Difficile de prévoir si et quand les deux nations concluront la paix. Mais plus de quarante ans après la Révolution islamique, les premiers signes sont jugés encourageants par certains experts.
Ainsi, depuis juin, la médiation japonaise, un moment interrompue, est à nouveau active. Et, le 7 décembre, suite à un échange de prisonniers, Donald Trump a tweeté : « Merci à l’Iran pour une négociation très juste » ajoutant « Vous voyez, nous pouvons parvenir à un accord ensemble ». Jusqu’à présent, le président américain n’était pas avare de menaces à l’encontre du régime de l’ayatollah Ali Khamenei.
Mais aujourd’hui les intérêts des deux puissances se rejoignent. A moins d’un an de l’élection présidentielle américaine (3 novembre 2020), le locataire de la Maison Blanche tient sa promesse de la campagne précédente : éviter des guerres qui coûteraient la vie à de nombreux Américains.
Limogé le 10 septembre, le conseiller va-t-en guerre John Bolton en a fait les frais. Pas plus en Corée du Nord qu’en Iran, il n’est parvenu à entraîner Donald Trump sur les chemins de la guerre.
M. Makinsky : « l’Iran est prêt à négocier sur tout. La question est quand »
Présenté comme un homme de « deal », le milliardaire américain serait plutôt tenté par un bon accord, c’est-à-dire bien vu de l’électorat et bénéficiant aux intérêts économiques de la patrie.
Autant dire qu’un accord qui profiterait aux entreprises américaines serait au détriment des Européens. Et ce, en dépit de leur attachement à l’accord nucléaire conclu en 2015, plus connu sous son acronyme anglais JPCOA (Joint Comprehensive Plan of Action), d’où se sont retirés unilatéralement les États-Unis en mai 2018.
Si tel est le cas, pourquoi le président Rohani n’a-t-il pas rencontré son homologue américain, à l’issue du G7 de Biarritz (24-26 août), comme le proposait Emmanuel Macron ? « Le Guide suprême Ali Khamenei ne l’a certainement pas voulu, mais l’Iran est prêt à négocier sur tout. La question est quand », a expliqué, le 9 décembre au Cercle de l’Union Interalliée, Michel Makinsky, directeur général de la société de conseil Ageromys International.
« Pour les Iraniens, le compte n’y est pas encore. Ils ne négocieront qu’en position de force et si on leur assure de libéraliser les circuits bancaires et de pouvoir exporter leur pétrole », a ajouté Michel Makinsky.
Très stricts sur les dossiers de l’enrichissement de l’uranium et des missiles balistiques qui violeraient les résolutions des Nations Unies, les Européens cherchent parallèlement à sauver le JPCOA avec l’Instrument de soutien aux transactions commerciales (Instex), un système de compensation ou barter fondé par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Six pays européens viennent de rejoindre Instex (Belgique, Danemark, Finlande, Norvège, Pays-Bas, Suède). Par ailleurs, la Chine aurait fait un appel du pied aux Européens au cas où le système fonctionnerait.
Pour autant, si, du côté du Vieux continent, le mécanisme est en place, avec son siège à Paris, ce n’est pas le cas en Iran. Téhéran, qui n’a pas proposé de structure miroir à Instex, réfléchit toujours. A priori Instex devrait fonctionner sans dommage pour les produits agricoles ou les médicaments qui ne sont pas sous embargo américain. Mais pour le reste, ce n’est pas encore certain. Or, les Iraniens sont pressés de reprendre leurs livraisons d’or noir vers la Turquie, le Pakistan, l’Inde, la Chine.
L’intérêt d’un accord avec Washington est pour Téhéran de relancer une économie au bord du gouffre. Le Fonds monétaire international (FMI) a estimé à -6 % la récession cette année. Le chômage et l’inflation sont également élevés (avec des taux de 15,4 % et 40 % prévus par le FMI) et 15 à 20 % de la population vivraient sous le seuil de pauvreté.
Un niveau de violence inégalé
« Le moral est très bas, car il n’y a pas de perspective », a estimé pour sa part Michel Makinsky. Les mesures économiques annoncées le 15 novembre par Hassan Rohani (coupure des subventions sur les carburants + contingent jusqu’à 60 litres par véhicule, hausse considérable du prix du gaz) ont mis le feu aux poudres.
Les manifestations, semblables à celles de 2017 par leur ampleur, ont été, cependant, sans équivalent par leur violence. A celle des manifestants a répondu une répression sans précédent du pouvoir, avec usage d’outils létaux, notamment des armes. On parle de 200 à 250 morts et plus de 8 000 arrestations.
Les manifestants ont surtout été des gens modestes. La bourgeoisie de Téhéran a peu bougé, dès lors qu’aux revendications économiques et sociales s’ajoutaient des attaques contre le président et même le Guide suprême.
Des portraits d’Ali Khamenei ont été brûlés, des lieux de culte incendiés, le vide se faisant dans les mosquées. Ce sont dans les provinces les plus délaissées, et souvent avec des ethnies arabes et des minorités sunnites, que la contestation a été la plus forte, à l’instar du Khûzistân, au sud-ouest, pourtant riche en pétrole.
Téhéran discute avec Riyad
Enfin, la population est fatiguée des interventions extérieures au coût élevé pour le budget national. L’Iran vient d’engranger du crédit en bombardant avec des missiles et des drones des installations de son grand rival dans le Golfe, l’Arabie Saoudite. « On s’est focalisé sur les missiles balistiques, mais ce qui compte et panique aujourd’hui jusqu’aux Israéliens, c’est la nouvelle génération de missiles de croisière », a affirmé Michel Makinsky.
Alors que la réaction des États-Unis aux bombardements chez son allié saoudien a été modérée, Téhéran et Riyad auraient aussi commencé à discuter. Le 2 octobre, le président du Parlement iranien, Ali Larijani, a félicité Mohammed ben Salmane, le prince héritier saoudien, de sa volonté de « résoudre les problèmes par des pourparlers avec Téhéran ».
Sur un autre territoire, le Yémen, la stratégie de l’Arabie Saoudite est un échec. Son principal allié sur le terrain, les Émirats arabes unis, a, d’ailleurs, annoncé son retrait progressif du pays. Affaibli, la première puissance pétrolière mondiale serait aussi en train de renouer avec le Qatar, soutenu par la Turquie et l’Iran.
En Syrie, même si la Russie tire les ficelles, l’Iran a des cartes à jouer comme le montre l’obtention de la gestion du port de Lattaquié, berceau des Alaouites et de la famille Assad. En Irak, en revanche, la situation est périlleuse pour tous les acteurs, en raison des mauvaises conditions économiques et sécuritaires, de la persistance de cellules dormantes de Daech, de la corruption et de l’instabilité politique.
Alors que l’environnement régional bouge à la vitesse grand V, la République islamique est confrontée à des échéances politiques majeures. La majorité parlementaire a éclaté, alors que se profilent les prochaines élections législatives, le 21 février. Personne à ce stade ne s’aventurerait à prévoir la forme du nouveau gouvernement. Plus encore 2021 sera l’année d’un nouveau scrutin présidentiel.
François Pargny