Le verdict était attendu avec impatience des deux côtés de l’Atlantique. Alors que Bruxelles et Washington tentent péniblement d’accélérer les négociations de libre-échange, la décision de la Cour de justice de l’UE (CJUE) d’invalider l’accord Safe Harbour – portant sur le transfert des données personnelles entre les deux blocs – risque de venir encore compliquer la donne en mettant un coup de frein au libre échange numérique. Un mauvais coup, aussi, pour certains géants du web, déjà dans le collimateur de Bruxelles pour leurs pratiques fiscales douteuses.
Dans son jugement la CJUE estime que la protection des données n’est pas suffisamment protégée outre-Atlantique. Une conséquence directe de l’affaire Snowden et de ses révélations sur le système de surveillance massive mis en place par la NSA. Les 4400 compagnies américaines ayant adhéré à l’accord Safe Harbour, devront donc trouver d’autres solutions offertes par le droit européen pour pouvoir transférer les données en toute légalité.
Mais quel impact ce verdict aura-t-il sur les échanges transatlantiques et les entreprises des deux blocs?
Difficile d’y voir clair tant les réponses à cette question sont contrastées. Beaucoup estiment que Facebook, Google et consorts pourront continuer à fonctionner de la même façon qu’aujourd’hui en se fondant juste sur d’autres normes de transfert de données. « Cela ne changera pas grand chose, la décision marque surtout la fin d’un cadre unique », pronostique un responsable proche du dossier à la Commission. D’autres voies sont en effet possible comme la signature de clauses contractuelles ou l’obtention d’une autorisation, en France, de la CNIL, par exemple. « Les activités seront néanmoins ralenties et les entreprises européennes au moins autant pénalisées » que leurs homologues américaines, juge Fabrice Naftalski, avocat spécialisé dans la protection des données personnelles, interrogé par Les Echos.
Le ton est plus alarmant dans la sphère du numérique
Dans la sphère du numérique, le ton est bien plus alarmant. « La décision aura un impact négatif sur les flux internationaux de données », risquant dès lors de porter préjudice « à la création d’un marché unique du numérique en Europe », avertit le lobby Digital Europe qui rassemble 35 organisations professionnelles et 59 entreprises du secteur dont Apple, Google ou Microsoft.
Dans un tribune publiée par l’Opinion, Laurent Baudart, délégué général de Syntec Numérique, estime que les conséquences de la suspension de l’accord seront « dramatiques » pour l’ensemble des entreprises européennes. Selon lui, Safe Harbour aurait permis « une grande fluidité des échanges et l’émergence d’une économie de la donnée forte et dynamique, qui tire la croissance de tous les secteurs d’activité ». Les PME « qui représentent 60 % des utilisateurs », de cet accord, aujourd’hui caduque, en seront aussi les premières victimes, estime ce représentant du premier syndicat patronal du numérique en France. Il cite également un rapport publié en 2013 – et dont les résultats sont difficilement vérifiables. L’étude en question indique qu’une interruption des flux de données transfrontaliers pourrait réduire le PIB de l’UE jusqu’à 1,3 % et que les exportations de services de l’UE vers les États-Unis pourraient baisser de 6,7 % en raison de la perte de compétitivité.
Même son de cloche au sein de la représentation des Etats-Unis auprès de l’UE. Dans un communiqué, ses responsables jugent le verdit de la CJUE erroné soulignant les améliorations récentes et les nouvelles garanties – en terme de protection de la vie privée – apportées à l’accord Safe Harbour. A l’instar des géants du secteur numérique, ils estiment que la suspension de l’accord risque de provoquer un « chaos », pas seulement pour les entreprises certifiées par le programme mais aussi pour les compagnies ayant recours à des fabricants et/ou fournisseurs eux aussi certifiés.
« Plus de 4400 entreprises se basent sur cet accord pour transférer des données nécessaires à la promotion du commerce transatlantique, à l’économie digitale, à la création d’emplois tant aux Etats-Unis qu’en Europe », écrit un haut responsable américain du renseignement national (National Intelligence), dans une Tribune publiée cette fois par le Financial Times. Clairement destiné à rassurer les Européens et à minimiser l’ampleur de la surveillance américaine, il conclut : « L’année dernière nous avions 90 000 cibles de surveillance. Cela peut paraître beaucoup mais c’est une portion minime par rapport aux 3,2 milliards d’utilisateurs d’Internet dans le monde ».
Kattalin Landaburu à Bruxelles