Le pays le plus peu peuplé du monde s’ouvre de plus en plus aux investisseurs étrangers et tend à faciliter ses importations pour assurer le développement de son économie. Avec une relativement bonne résistance aux crises de ces dernières années, le marché indien, bien que difficile d’accès, offre des perspectives intéressantes aux entreprises tricolores, qui bénéficient d’un environnement favorable créées par le partenariat stratégique noué entre Paris et New Delhi et sa participation au projet de corridor IMEC.
Un accord de libre-échange de plus. Le 10 mars New Dehli a signé avec les quatre pays de l’AELE (Suisse, Norvège, Lichtenstein et Islande) un traité prévoyant l’exemption de droits de douane sur la quasi-totalité des biens importés depuis ces pays et des investissements à hauteur de 100 milliards de dollars dans les quinze prochaines années afin de permettre à l’Inde de poursuivre son développement.
Signe de la volonté croissante des autorités de nouer des partenariats de longue durée avec des pays étrangers, la signature de cet accord, après 16 ans de négociations, suit des accords similaires déjà conclus avec les Emirats arabes unis et l’Australie, et devrait servir de modèle à ceux actuellement en discussion, en l’occurrence avec l’Union européenne et le Royaume-Uni.
En outre, le gouvernement a multiplié les mesures ces 20 dernières années afin de faciliter les investissements directs étrangers (IDE) et alléger les procédures qui pèsent sur les exportateurs. Couvrir besoins en investissements et technologies étrangères restent en effet un des enjeux des prochaines années du gouvernement (lire l’encadré à la fin de cet article).
La réglementation, bête noire des entreprises étrangères
Un rapport d’information du Sénat français soulignait en 2020 que « la réglementation relative aux investissements directs étrangers […] devrait encourager la montée en puissance des investissements français qui ont déjà quadruplé lors des dix dernières années ». Les sénateurs regrettait cependant que « certaines restrictions d’accès perdurent, notamment dans le secteur de la distribution et, dans une moindre mesure, dans celui des services financiers ».
Autre sujet d’effroi pour les entreprises étrangères, la réglementation, d’une complexité proverbiale, y compris pour les sociétés locales, demeure un obstacle non négligeable. En 2017, une taxe sur les biens et services est venue remplacer un grand nombre d’impôts indirects levés par les Etats et l’administration centrale.
Mais parler de simplification serait excessif. « Malgré les efforts de simplification réalisés, la réglementation demeure complexe, ce qui rend la création d’entreprise difficile et force les entreprises à rester en dessous de la taille efficiente pour éviter les contraintes réglementaires », note une étude de l’OCDE.
Des exportations françaises en hausse de 20 %
Par ailleurs, une bureaucratie tatillonne, des droits de douane élevés, des délais particulièrement longs pour obtenir une licence d’importation, des normes sanitaires et phytosanitaires distinctes du cadre international, des normes techniques particulières, des délais excessifs de dédouanement des produits agricoles et alimentaires, des obligations documentaires lourdes ou encore des exigences locales spécifiques pèsent sur le développement du commerce international du pays. Sans parler bien sûr, de la corruption, toujours très présente : l’Inde se classe à la 93e place (sur 180) du classement de Transparency International.
Tout ceci n’empêche pas les exportations et les implantations françaises de se développer ces dernières années. Selon les données des douanes françaises, sur les 10 premiers mois de l’année 2023, les exportations tricolores, tirées par les ventes de l’aéronautique, ont bondi de 19 % à 5,4 milliards d’euros (Md EUR) en glissement annuel, faisant de l’Inde le 14ème client de la France dans le monde et le 3ème en Asie.
Cette bonne performance tient essentiellement au dynamisme retrouvé du secteur aéronautique qui a représenté à lui seul 43 % des livraisons de marchandises entre 2014 et 2021. Les machines et équipements arrivent en seconde position, suivis par les produits chimiques de base et les appareils de mesure, d’essai et de navigation.
Informatique, transports et banques
Du côté des IDE, la France arrive en 7e position avec un stock d’investissements passé de 8,8 Md EUR en 2020 à 25 Md EUR en 2022. Les industries extractives arrivent en première position devant les services informatiques, de transport et financiers. Bnp Paribas, la Société Générale et le Crédit Agricole sont présents sur place. Sopra Steria, Capgemini ou Schneider Electric ont fait du marché indien, terre de sous-traitance informatique, leur base offshore.
De grandes entreprises tricolores s’appuient sur des partenaires locaux via des acquisitions ou des coentreprises dans des secteurs stratégiques pour l’économie indienne tels la défense (Dassault Aviation), les transports (Alstom), les infrastructures (ADP, CMA CGM) ou encore l’énergie (Total). Plus de 700 filiales d’entreprises françaises sont actuellement actives en Inde représentant quelque 450 000 emplois et un chiffre d’affaires de 15,2 Md EUR, selon une note de la DG Trésor.
Un PIB en hausse de 7 %
Ces entreprises profitent actuellement de la conjoncture favorable de l’économie du géant asiatique. Selon les prévisions du ministère indien des Finances, le PIB devrait enregistrer une croissance de 7 % lors de l’année fiscale en cours, qui s’achève fin mars. Estimé actuellement à 3 730 Md USD par le FMI, le PIB devrait atteindre 5 000 Md SUD dans les trois années à venir selon le ministère, ce qui ferait de l’Inde la troisième puissance économique du monde, après les Etats-Unis et la Chine.
Surtout, les entreprises françaises pourraient profiter de l’essor d’une classe moyenne supérieure urbaine pourtant mise à rude éprouve par la pandémie de Covid-19. Pays de forts contrastes sociaux, l’Inde constitue, selon le classement Forbes2023, le troisième réservoir mondial de milliardaires : ils sont 169, contre 166 en 2022 et leurs fortunes cumulées s’élèvent à 675 Md USD. De quoi laisser augurer de belles opportunités pour les entreprises françaises du luxe.
En attendant, dans les années à venir, le commerce international pourrait tirer la croissance du pays. Selon la dernière édition du Global Connectedness Index, publié par DHL, « étant donnée sa croissance rapide, l’Inde dispose d’un important potentiel pour développer ses interactions avec le reste du monde encore plus rapidement que son activité domestique ».
Signe du regain d’intérêt des milieux d’affaires pour ce vaste marché, les Conseillers du commerce extérieur de la France (CCE) ont choisi pour la première fois l’Inde pour organiser leur prochain Forum Asie-Pacifique.
Sophie Creusillet
L’Inde comme alternative à la Chine ?
Alors que la pandémie de Covid-19 a accéléré la mise en place de stratégies « Chine + 1 » par les investisseurs étrangers, de nombreux pays d’Asie souhaitent se positionner comme destinations privilégiées des investissements de production et prendre le relais de « l’atelier du monde ». En décembre dernier, le taïwanais Foxconn, sous-traitant clef d’Apple, a annoncé des investissements à hauteur de 1,54 Md de dollars (Md USD) en Inde « pour ses besoins opérationnels ». La firme à la pomme, qui a commencé à assembler des pièces sur place en 2017 y fait aujourd’hui fabriquer des iPhone15, à l’instar de Google et son Pixel 8 ou de Samsung et son Galaxy S24. Cette montée en gamme de la production indienne fait la fierté du gouvernement indien, bien décidé à se faire une place dans la supply chain mondiale.
Pour ce faire, l’Inde dispose d’arguments solides : une stabilité politique, un environnement des affaires qui s’améliore et une main d’œuvre aussi bon marché que pléthorique. Pour Arvind Virmani, économiste au NITI Aayog, s’ajoute une particularité qui pourrait faire la différence avec les marchés en concurrence dans cette course aux investissements : sa démographie. « L’Inde est le pays qui peut rivaliser avec la Chine si le secteur privé continue à se développer dans les activités BtoB comme c’est le cas actuellement, souligne-t-il. Les statistiques montrent est en effet qu’il est le seul pays émergent dont la part de la population en âge de travailler continue d’augmenter ».
Même tendance dans les services grâce à une population anglophone et bien formée. L’Inde, qui forme 260 000 ingénieurs par an, est devenue une destination de choix pour la délocalisation de la matière grise, des call centers au services informatiques. Selon une étude du cabinet Gartner, elle concentre à elle seule 55 % des 19,5 Md USD délocalisés par les multinationales, en particulier anglo-saxonnes, pour assurer les activités de services dans les TIC et les services informatiques.En 2020, le gouvernement à mis en place des incitations à la production pour 22 Md USD dans 14 secteurs clés dont l’automobile, la téléphonique mobile ou encore les produits de santé. En outre, les infrastructures, souvent sous-dimensionnées dans cet immense pays et primordiales dans les décisions d’investissement, sont une des priorités actuelles du gouvernement. Pour atteindre son objectif d’un PIB nominal de 5 000 Md USD d’ici à 2030, il doit réaliser 4500 MD USD d’investissements dans les infrastructures, estime le ministère des Finances. Un objectif qui semble difficile à réaliser, selon une note publiée l’an dernier par la DG Trésor, qui estime par ailleurs à « 4 à 5 pt le manque à gagner sur la croissance annuelle induit par l’absence d’investissements dans les infrastructures ».
S.C.