Après avoir tenté, en vain semble-t-il, d’obtenir un traitement de faveur auprès de l’administration Trump, le gouvernement britannique semble avoir changé son fusil d’épaule, multipliant les signaux positifs à l’égard de l’Union européenne (UE) à l’approche du prochain Sommet UE-Royaume-Uni, prévu le 19 mai. Le point dans cet article proposé par notre partenaire La Newsletter BLOCS.
« Je comprends pourquoi l’accent est mis sur nos relations commerciales avec les États-Unis, mais en réalité, nos relations commerciales avec l’Europe sont sans doute encore plus importantes, car ce sont nos voisins et partenaires commerciaux les plus proches » a lancé vendredi [25 avril] la Chancelière de l’Échiquier britannique, Rachel Reeves.
Une comparaison à l’avantage de l’UE qui a beaucoup fait réagir outre-Manche, notamment du côté des conservateurs, dans un contexte post-Brexit toujours sensible, et alors que la guerre commerciale a contraint le gouvernement à baisser sa prévision de croissance de 2 à 1 % pour 2025.
Elle est pourtant incontestable sur le fond, comme le note Iain Begg, professeur de la London School of Economics and Political Science. « Il est indéniable que l’UE dans son ensemble est un marché nettement plus important pour les exportations britanniques que les États-Unis, mais aussi un marché qui peut être soutenu si les barrières non-tarifaires résultant du Brexit peuvent être réduites », explique ce chercheur spécialiste de la gouvernance économique européenne et des conséquences du Brexit.
En 2023, l’UE représentait en effet 53 % des importations de biens britanniques et 47 % de ses exportations, contre, respectivement, 9,5 et 16 % pour les États-Unis.
Un tournant dans la stratégie de Londres
Politiquement, la déclaration de la ministre des Finances de Sa Majesté intervient dans une période de négociations intenses avec Washington en vue d’un accord commercial visant notamment à mettre fin aux droits de douane de 10 % imposés par les États-Unis début avril. Mais aussi dans un contexte de discussions avec l’UE, dans la perspective d’un accord de « partenariat stratégique », a priori surtout centré sur la défense, qui pourrait être entériné lors d’un sommet prévu le 19 mai.
En faisant cette comparaison à l’avantage de l’UE, Mme Reeves semble ainsi confirmer un tournant dans la stratégie adoptée par le gouvernement travailliste depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, début janvier.
Jusque-là, en effet, « le gouvernement de Keir Starmer avait tout mis en œuvre pour apaiser Trump et éviter d’être visé par ses droits de douane, rembobine Zach Meyers, chercheur de la division londonienne du Centre for European Reform. Il a notamment promis à Trump une seconde visite d’État au Royaume-Uni, édulcoré les projets britanniques de réglementation de l’IA, s’est rallié aux États-Unis ou en ne signant pas le communiqué du Sommet de Paris sur l’IA […] et a décidé de ne pas riposter aux premiers droits de douane imposés par Trump sur l’acier, l’aluminium et les voitures ».
Un élan de flagornerie en direction de l’idole du clan MAGA qui s’expliquait avant tout par les grands risques que représente le mandat de M. Trump pour le Royaume-Uni, selon Iain Begg. « Le gouvernement a adopté une attitude prudente, non seulement car il veut maintenir une relation, mais aussi qu’il s’inquiète des risques économiques et, plus important encore, des enjeux de sécurité qui émergeraient si les États-Unis revenaient sur leurs engagements envers l’OTAN », analyse le chercheur britannique.
Le gouvernement de M. Starmer avait d’ailleurs tout lieu d’espérer un traitement de faveur de M. Trump. Contrairement à l’UE, le Royaume-Uni présente en effet une balance commerciale plutôt équilibrée avec les États-Unis.
Selon des chiffres de l’Office national des statistiques publiés en janvier 2025, le Royaume-Uni affichait un surplus de seulement 2,5 milliards de livres sterling (3 milliards d’euros) en 2023 pour le commerce des biens avec les États-Unis (mais de 68,9 milliards de livres sterling pour les services).
Londres pouvait donc espérer doubler Bruxelles. Las : le président américain a infligé aux produits britanniques des droits de douane de 10 % début avril – un taux désormais appliqué à la quasi-totalité de la planète.
« Nous n’allons pas modifier nos normes en fonction des demandes des gouvernements étrangers »
Washington a ensuite multiplié les demandes intenables dans les négociations avec Londres, concernant, notamment, une dérégulation dans certains secteurs, qui, si elle était mise en œuvre, aurait comme effet collatéral de compliquer le commerce avec l’UE.
De quoi susciter un changement de ton et de stratégie, bien illustré par la déclaration de Rachel Reeves, qui s’était déjà agacée de ces demandes, quelques jours plus tôt : « Nous n’allons pas modifier nos normes en fonction des demandes des gouvernements étrangers, avait lancé la ministre en conférence de presse. Les discussions et les décisions concernant les normes alimentaires, les services numériques et les normes automobiles relèvent de la compétence du gouvernement britannique ».
Si l’exécutif britannique continue d’espérer à haute voix un accord avec les États-Unis, il semble aussi préparer les esprits à ce qu’il n’arrive pas de sitôt.
« Il semble que le gouvernement commence à reconnaître que les États-Unis ne sont pas un partenaire de négociation crédible, en partie parce que l’administration Trump ne semble pas savoir ce qu’elle veut, et en partie parce que ses politiques semblent évoluer au gré de ses caprices plutôt que de respecter les accords passés des États-Unis, analyse Zach Meyers. En outre, le gouvernement britannique semble enfin accepter que la réparation des relations avec l’UE est susceptible d’être nettement plus bénéfique pour le Royaume-Uni que tout accord commercial réaliste qui pourrait être conclu avec Washington ».
Signaux positifs en vue du prochain Sommet UE-Royaume-Uni
Le Premier ministre, qui a fait campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE en 2016, et prône désormais un « reset » (une réinitialisation) de la relation entre les deux blocs, pourrait ainsi profiter de la situation pour avancer ses pions.
Les responsables britanniques multiplient en tout cas ces derniers jours les déclarations enthousiastes dans la perspective du sommet UE-Royaume-Uni prévu le 19 mai, et ont même commencé à joindre le geste à la parole.
Selon les informations du Financial Times, le Royaume-Uni semble notamment avoir accepté le principe d’une prolongation de deux ans d’un accord sur les quotas de pêche, qui devait expirer en juin 2026. Une concession réclamée notamment par la France, et qui devrait permettre l’inclusion du Royaume-Uni dans le programme européen SAFE, lequel prévoit, dans le cadre du plan « Réarmer l’Europe » présenté par la Commission en mars, 150 milliards d’euros de prêts pour l’achat commun d’équipements de défense fabriqués en Europe.
L’accord entrevu pourrait aussi contenir des dispositions concernant l’interconnexion des marchés carbone de l’UE et du Royaume-Uni, l’équivalence des normes alimentaires et la mobilité des jeunes. Avant un accord commercial plus global et ambitieux, espéré d’ici la fin de l’année.
S’attaquer aux barrières non-tarifaires
Ces mouvements en provenance d’outre-Manche doivent toutefois être accueillis avec prudence, selon Zach Meyers. « Ce sommet du 19 mai pourrait marquer un changement de ton et de contenu significatif dans la coopération UE-Royaume-Uni, pose le chercheur. Cependant, de nombreuses questions difficiles et épineuses resteront probablement en suspens, notamment les droits de pêche, la mobilité des jeunes et les modalités de participation du Royaume-Uni aux programmes et projets de l’UE. Un changement de ton ne suffira pas à générer immédiatement des avantages économiques significatifs pour les deux parties ».
Bruxelles et Londres, qui ne s’infligent pas de droits de douane, n’ont en effet d’autres choix que de s’attaquer aux barrières non-tarifaires qui séparent leurs deux marchés pour améliorer leurs relations commerciales.
Et les Européens semblent moins prompts à s’y attaquer que les Britanniques. Toujours selon le Financial Times, les diplomates des Vingt-Sept et la Commission se sont ainsi opposés, vendredi [25 avril], à la mise en place d’un accord de reconnaissance mutuelle des normes des produits proposée par M. Starmer.