Trois semaines après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle du 7 mai, les opérateurs économiques du commerce extérieur, publics et privés, ne cachent pas leur scepticisme, voire leur inquiétude.
Alors même qu’aucun titulaire du commerce extérieur n’a encore été désigné dans le gouvernement d’Édouard Philippe, les deux décrets du 24 mai, portant sur les attributions respectives du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, laissent perplexes. Notamment le dernier. En effet, c’est le même texte qu’en 2014, mot pour mot, à l’exception de l’intitulé du ministère, qui est abandonné par le successeur de Laurent Fabius, puis de Jean-Marc Ayrault, ministres des Affaires étrangères et du développement international (Maedi), respectivement du 16 mai 212 au 11 février 2016 et du 11 février 2016 au 10 mai 2017. « Rien n’a changé, c’est le même décret qu’en 2014, confirme-t-on au Moci du côté du Quai d’Orsay. Il n’y a pas eu de discussion, le report du texte ayant été décidé dans la bonne entente entre les membres du gouvernement concernés et le Premier ministre ».
Business France toujours sans directeur général
De ces différents éléments – pas de nomination au commerce extérieur et renouvellement automatique des attributions – se dégage une impression de vide, alors que le commerce extérieur était déjà quasiment absent du programme et des propos de campagne du président Emmanuel Macron et de ses sherpas. Pour ne rien arranger, Business France, l’agence publique issue de la fusion d’Ubifrance et de l’Afii (Agence française pour les investissements internationaux), a perdu sa directrice générale Muriel Pénicaud, appelée au ministère du Travail : si les candidat (e) s à sa succession ne manquent pas, selon diverses sources, son remplacement ne devrait intervenir qu’après les législatives et pourrait réserver quelques surprises.
« Les équipes au Quai d’Orsay se mettent en place », commente-t-on encore sobrement au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Et de fait, un arrêté du 18 mai informe sur la nomination du cabinet de Jean-Yves Le Drian (voir notre rubrique Nomination).
Aujourd’hui, nombre d’observateurs s’accordent cependant à penser que le développement international de la France ne pourra pas être mené sans un ministre ou un secrétaire d’Etat au commerce extérieur dans le gouvernement pour l’incarner et que celui-ci devrait être désigné, à l’instar d’un secrétaire d’Etat à la Coopération, après les élections législatives des 11 et 18 juin. En attendant, les moins pessimistes trouvent, quand même, dans les décrets du 24 mai, des motifs de satisfaction et des certitudes.
Le ministre de l’Économie « concourt » à « la définition » et à « la mise en œuvre » du commerce extérieur
La diplomatie économique, plébiscitée par les acteurs économiques, est maintenue. Cette doctrine, promue par Laurent Fabius, donne aux ambassadeurs un rôle actif et de coordination au profit des intérêts commerciaux de la France et de ses entreprises, notamment des PME, dans leurs pays d’affectation.
A l’époque, après avoir doté son ministère d’une direction des Entreprises et de l’économie internationale, Laurent Fabius avait dû mener une bataille homérique avant de l’emporter face à la ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq, qui défendait la primauté de Bercy et de la direction générale du Trésor (DGT) en matière de commerce extérieur. La DG Trésor avait, toutefois, gardé la main sur le dispositif public de garanties et financements export, ce qui est à nouveau le cas.
Il en découle que le patron du commerce extérieur est bien Jean-Yves Le Drian. C’est à lui de déterminer la politique de la France dans ce domaine. A cet égard, le décret n°2017-1074 du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre de l’Europe et des affaires étrangères est clair : il « est compétent pour définir et mettre en œuvre la politique du développement international de la France, notamment au titre du commerce extérieur », alors que pour Bruno Le Maire, le décret n° 2017-1078 du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre de l’Économie, stipule juste qu’il « concourt » à « la définition » et à « la mise en œuvre » de la politique du commerce extérieur, tout en étant « compétent pour le financement des exportations ».
Un signe qui ne trompe pas : si au sein du cabinet du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, un des conseillers aura bien en charge le commerce extérieur – Jay Dharmadhikari– rien de tel au cabinet de Bruno Lemaire, dont les membres n’ont pas encore été officialisés. « Le commerce extérieur, ce n’est pas nous, c’est le Quai d’Orsay », a indiqué Dimitri Lucas, le conseiller presse du ministre de l’Économie et des finances, au Moci. Et de préciser que ce ne serait « pas logique », « on ne va pas commencer à se mélanger les services ».
Des interrogations sur un Haut commissaire» au Commerce extérieur
Chacun s’interroge maintenant sur la place qui sera réservée au commerce extérieur dans le gouvernement après les législatives. S’agira-t-il d’un ministre ou d’un secrétaire d’État ? De Fleur Pellerin à Harlem Désir, en passant par Thomas Thévenoud et Matthias Fekl, tous les successeurs de Nicole Bricq ont été des secrétaires d’État. La diplomatie économique semblant aujourd’hui sanctuarisée, on pourrait estimer, qu’après dix ans de déficit commercial continu, Emmanuel Macron opte à nouveau pour un ministre. Il serait alors logique de le rattacher à Jean-Yves Le Drian.
Mais là encore, le nouveau gouvernement, soucieux de contenir le nombre de ministres et de secrétaires d’État en son sein, pourrait avoir envie d’innover. De bonne source, une autre possibilité serait ainsi envisagée : nommer un Haut commissaire au Commerce extérieur, qui pourrait être placé auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, voire du Premier ministre. Le modèle serait celui du Haut commissariat aux Solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse qui, rattaché au Premier ministre (à l’époque François Fillon), avait été confié en 2009 à Martin Hirsch, lequel avait quasiment le rang et l’autonomie d’un secrétaire d’État sans les contraintes d’une tutelle ministérielle particulière.
Ce qui n’est pas sans, là aussi, susciter des interrogations : qui alors représenterait la France aux sommets ministériels européens et multilatéraux (OMC, etc…) relatifs au commerce international ? Sans compter les incessantes missions ministérielles à l’étranger, dans le cadre des relations bilatérales : pas sûr que le système des représentants spéciaux du ministre par pays ou par zone géographique mis en place à l’époque de Laurent Fabius puisse compenser complètement cette absence d’incarnation ministérielle, notamment dans les pays attachés à la portée symbolique de la hiérarchie protocolaire…
Mais les temps changent. Le choix devra, de toute façon, être fait après le 18 juin.
François Pargny et Christine Gilguy
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