Le Gabon est peu peuplé (2 millions d’habitants), mais riche. En pétrole et minerai notamment. A cet égard, les français Total et Comilog (Eramet) font figure de fer de lance de l’économie gabonaise. Le géant des hydrocarbures, selon le directeur général de Total Gabon, Henri-Max Ndong-Nzue, a investi sur place 260 millions de dollars en moyenne pendant cinq années. Il y produit aussi environ un quart du pétrole brut gabonais, soit 36 100 barils par jour en 2018.
Quant à la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), elle « faisait quatre millions de tonnes de manganèse l’an dernier sur cinq millions au total. Deux autres usines* font un million de tonne chaque année », expliquait aussi Bruno Faour, vice-président Développement en Afrique d’Eramet, lors d’un colloque sur l’économie du Gabon, organisé par le Sénat et Business France au Palais du Luxembourg, le 29 mars.
La France, 28 à 30 % de marché
Dans le commerce aussi, la France se taille la part du lion, tenant à distance la Chine, qui est même devancée par la Belgique. Le géant asiatique serait à 10 % de part de marché, indiquait Christophe-André Frassa, sénateur des Français établis hors de France et président du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique centrale, quand la France caracolerait à 28-30 %.
D’après les Douanes françaises, tous les grands postes de vente tricolore ont progressé l’an dernier : machines et produits mécaniques, pharmacie, matériel électrique notamment, qui ont représenté à eux trois 38 % du total ; mais aussi céréales, + 32 %, ou encore ouvrages en fonte, fer et acier : + 19,22 %.
Au total, les exportations françaises ont bondi de 6,25 % à 458,8 millions d’euros en 2018, « une hausse de nos exportations que nous n’avions pas connue depuis 2011 », se réjouissait Christophe-André Frassa.
Et c’est peut-être là que le bât blesse. Il y a une présence ancienne de la France, ses grandes ou moyennes entreprises y investissent – Total et Comilog notamment – mais il est plus difficile de faire venir les PME. « Nous n’avons pas à Libreville de Chambre de commerce franco-gabonaise et donc il y a un manque de communication avec la France », regrettait Didier Lespinas, qui préside le Comité Gabon des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF).
Les projets du patronat gabonais
Bonne nouvelle pour les PME françaises et locales, sous l’impulsion de son président depuis mars 2017, Alain Ba Oumar, la Confédération patronale gabonaise (CPG) va reprendre en mains la Chambre de commerce gabonaise. « Nous avons obtenu l’accord de principe du gouvernement pour redynamiser cette chambre », a annoncé au Sénat le patron des patrons gabonais.
Deux objectifs seront poursuivis : encourager les partenariats, notamment entre PME étrangères et locales. Et développer la formation. Alain Ba Oumar a ainsi dévoilé que « des discussions sont entamées avec HEC pour la création d’un master qui pourrait être logé dans la chambre de commerce ».
« La France est le seul pays à offrir une aide budgétaire bilatérale », rappelait l’ambassadeur de France, Philippe Autié. L’Agence française de développement (AFD) a ainsi octroyé 225 millions d’euros. Mais l’AFD est aussi présente dans d’autres domaines comme l’éducation. Outre un projet de 100 à 120 millions d’euros dans la construction de dispensaires, un programme de rénovation et de construction de salles de classe va bénéficier d’une aide de 150 millions d’euros.
« La formation est un élément important de la présence française », remarquait Didier Lespinas, qui citait l’Institut du pétrole et du gaz (IPG), localisé à Port-Gentil, fruit d’un partenariat privé-public avec les groupes Total, Addax, Eni, Perenco ou encore Shell ; l’École des mines et de la métallurgie de Moanda, née aussi d’un partenariat public-privé, cette fois-ci avec Eramet ; et le Centre de métiers Jean-Violas, structure de formation des agents de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) certifiée par l’Académie de Paris.
De nouveaux codes d’investissement à venir
Le manque de communication avec la France que déplorait Didier Lespinas se reflète aussi en matière d’investissement. D’après la Banque de France, les investissements de l’Hexagone ont reculé de 14 % entre 2012 et 2017 pour tomber à 736 millions d’euros. Il est vrai que l’environnement des affaires n’est pas très favorable, au regard du classement du Doing Business 2919 de la Banque mondiale, qui place le Gabon au 169e rang sur 190 pays classés. La Chine impose sa marque dans les routes. Côté français, seul Colas tirerait son épingle du jeu. La concurrence asiatique s’intensifie, faisait remarquer Christophe-André Frassa. Ainsi, la compagnie singapourienne Olam International s’est-elle étendue en quelques années à toute une série de domaines, allant de la forêt et l’agriculture à la santé, en passant par les transports et la logistique. C’est elle, en particulier, qui a ravi la concession de l’aéroport actuel de Libreville, qui était jusqu’alors assurée par le consortium Egis-Aéroport de Marseille Provence.
« Nous avons besoin d’être accompagné pour relancer nos investissements. La visibilité pour un champ pétrolier, c’est 20 ans », rappelait Henri-Max Ndong-Nzue. Le directeur général de Total Gabon faisait ainsi allusion au projet de Code pétrolier, à l’heure actuelle en première lecture au Parlement, qui, espère-t-il, comprendra « des incitations ».
Aujourd’hui, les exportations gabonaises sont réalisées à hauteur de 80 % avec les hydrocarbures et de 5 % avec les minerais. Un Code minier est aussi en négociation. « Nous réalisons des opérations à long terme et avons besoin de visibilité et de stabilité », insistait aussi Bruno Faour, qui rappelait qu’Eramet était « à la veille » d’engager 600 millions d’euros pour que la Comilog porte sa production de manganèse de 4 à 7 millions de tonnes à l’horizon 2023 « pour être numéro deux, voire numéro un mondial ».
Eranove, Meridiam, partenaires du FGIS
Hormis les groupes historiquement implantés, il y a évidemment d’autres investisseurs tricolores. Ainsi, grâce à un partenariat avec le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS), Eranove, groupe de gestion et de production d’eau et d’électricité, développe trois projets : Orelo (unité de production d’eau d’une capacité de 140 000 m3 par jour), Ngoulmendjim (centrale électrique de 73 MW portée par la société Asokh Energy) et Dibwangui (centrale électrique de 15 MW portée par la société Louetsi Energy).
Dans l’eau et l’énergie notamment, le FGIS aurait 800 millions d’euros d’engagement. « Parmi nos cibles, soulignait son directeur général, Serge Mickoto, il y a les maisons mère qui ont des filiales au Gabon, mais aussi les PME détentrices d’un savoir-faire et d’une technologie particulière correspondant à la stratégie de diversification nationale, par exemple dans le numérique et la production de bois ».
Lors du colloque au Sénat, Serge Mickoto rappelait que la loi gabonaise sur les partenariats public-privé (PPP) « est applicable », ce qui avait permis des partenariats avec Eranove ou le fonds Meridiam qui a investi dans le port minéralier d’Owendo.
Ensemble, Meridiam, la Seeg et le FGIS se sont également mobilisés pour développer un projet d’énergie. « Il s’agit du financement, de la conception, la construction et l’exploitation de la centrale hydroélectrique de Kinguélé Ava, d’une capacité de 35 MW », précisait Mathieu Peller, chief operating officer de Meridiam pour l’Afrique.
L’Inde investit dans le bois
Serge Mickoto incitait aussi les entreprises françaises à investir dans le bois. Avec le fonds Okoumé, la FGIS prend des participations minoritaires sur cinq ans dans les PME-PMI. Le Gabon était en 2017 le premier producteur africain dans la transformation du bois, avec plus de 1 400 000 m3 exportés.
Or, 600 000 m3 provenaient de la Zone économique spéciale (ZES) de Nkok, prés de Libreville, où les entreprises françaises sont absentes. Fruit d’un partenariat public-privé avec Olam, la société gestionnaire de la ZES a attiré 74 entreprises, dont 56 en production, principalement dans la transformation du bois.
Century Ply, le leader indien du contreplaqué, mais aussi ses compatriotes Otim Veneer, Gabon Wood Industries, Evergreen Gabon, Akachi Woods ou Touchwood, y sont établis. L’Inde a traçé le Gabon pour son sourcing. Un nouveau concurrent ? A méditer.
* Il s’agit de la Compagnie Industrielle et la Commerciale des Mines de Huazhou (CICMHZ) et de la Nouvelle Gabon Mining
François Pargny