Le futur Code des Douanes de l’Union (CDU) doit entrer en vigueur le 1er mai 2016. Parmi les aspects qui intéressent directement les entreprises, le CDU consacre l’importance du statut d’opérateur économique agréé (OEA). Qu’en attendre ? Décryptage par Jean-Marie Salva, avocat spécialiste du commerce international.
Après une interminable gestation, la réforme entamée voila près de 7 ans du code des douanes communautaire (CDC) de 1992 devrait enfin voir le jour avec l’entrée en vigueur du Code des Douanes de l’Union (CDU) le 1er mai 2016. Ce texte issu du règlement 952/2013 du 9 octobre 2013 et dont certaines dispositions sont entrées en vigueur dès le 30 octobre 2013, prendra sa pleine mesure avec les actes délégués et d’exécution de la Commission grâce auxquels il abrogera le 1er mai 2016 l’actuel CDC.
Le code des douanes modernisé de 2008 qui constituait la précédente tentative inachevée de rénovation du droit douanier européen a été abrogé dès le 30 octobre 2013. Ce jeu de chaises musicales met enfin un peu d‘ordre dans la maison. Mais à quel prix et avec quels aléas ! Le nouveau code dont les maîtres mots sont la gestion des risques et l’environnement sans support papier sera une réelle source d’opportunités pour les entreprises disposant du statut d’Opérateur économique agréé (OEA). Mais les conditions d’obtention de ce statut sont elles-mêmes par ailleurs renforcées ; en outre, le futur code sera issu d’une nouvelle procédure prévue par le traité de Lisbonne et d’un nouveau type d’actes de la Commission, les actes délégués.
1/ Une nouvelle catégorie de textes européens : les actes délégués
Ce projet est probablement l’un des premiers à illustrer la nouvelle hiérarchie des normes au sein du droit dérivé introduite par le traité de Lisbonne et qui établit une distinction entre :
• les actes législatifs (article 289 TFUE) adoptés selon la procédure législative ordinaire ou spéciale ;
• les actes délégués (article 290 TFUE), actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif. Le pouvoir d’adopter ce type d’acte peut être délégué à la Commission par le Parlement européen ou le Conseil ;
• les actes d’exécution (article 291 TFUE) généralement adoptés par la Commission à laquelle la compétence d’exécution est confiée ; parfois par le Conseil.
La règle est a priori claire : le recours aux actes délégués est de la compétence exclusive du législateur européen qui doit au surplus encadrer l’action de la Commission. À cet effet, il établit les objectifs, le contenu, la portée, la durée de la délégation ainsi que les conditions auxquelles la délégation est soumise. Mais le traité a aussi voulu limiter ces actes délégués qui ne peuvent porter que sur des éléments non essentiels de l’acte législatif concerné. Or, cette notion n’est pas définie dans les traités et très imparfaitement par la jurisprudence.
Selon la Cour de justice (1), la qualification d’élément essentiel doit se fonder sur des « éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel » et ne peut relever de la seule appréciation des législateurs de l’Union. De plus, la Cour a précisé que les dispositions « dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres du législateur de l’Union » doivent être considérées comme des éléments essentiels ne pouvant faire l’objet d’une délégation.
La Cour avait précédemment déjà jugé (2) que les dispositions qui ont pour objet de « traduire les orientations fondamentales de la politique communautaire » devaient être considérées comme essentielles au sens du traité. On voit que ces critères peuvent être sujets à discussion et constituer une source de conflits potentiels entre les institutions sans parler des atteintes au principe de la séparation des pouvoirs, fondateur de toute démocratie. Ce, d’autant que la procédure prévoit un large pouvoir de contrôle du Parlement et du Conseil sur la Commission en la matière : en effet, le projet de la Commission est notifié au Parlement européen et au Conseil, qui disposent d’un délai de deux mois pour étudier le texte.
À leur initiative, le délai peut être prolongé de deux mois. À l’issue de ce délai, le Parlement ou le Conseil peut révoquer purement et simplement la délégation de pouvoir, ou s’opposer à l’entrée en vigueur du projet de la Commission. Pour s’opposer au texte, le Parlement européen doit se prononcer par un vote à la majorité absolue de ses membres, tandis que le Conseil se prononce à la majorité qualifiée. Les deux législateurs peuvent s’opposer à l’acte délégué de la Commission pour tous motifs.
Ce qu’il faut retenir de cette procédure est donc que le projet à paraître d’actes concernent le CDU est donc encore parfaitement « retoquable » par le Parlement et le Conseil et que le passage devant le Parlement, en particulier, ouvre la voie à un dernier combat pour les mécontents.
2/ Renforcer la sécurité et améliorer le fonctionnement d’une Europe douanière à 28
Les objectifs poursuivis par la Commission ont été les suivants :
• l’amélioration d’une union douanière à 28 états membres forts dissemblables en termes de prévention des risques de fraude ;
• et la sécurité de la chaîne logistique internationale mise à mal depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Le CDU y répond notamment avec :
• la mise en place à l’horizon 2020 d’un environnement sans papier qui repose sur l’interopérabilité des systèmes douaniers d’information ; le chemin semble encore long avant d’atteindre ce but ;
• l’amélioration des avantages accordés aux entreprises OEA, statut issu du cadre de normes SAFE de l’OMD de juin 2005 et introduit en Europe avec le CDM (Code des douanes modernisé) de 2008 (3) pour améliorer la sécurité de la chaîne logistique internationale. Ce statut restait jusqu’à présent peu attractif. C’est probablement l’innovation principale du CDU.
3/ L’OEA nouveau sésame de la simplification douanière
Ce dispositif qui reste facultatif devient avec le CDU le sésame de la facilitation douanière. Depuis longtemps, les opérateurs et leurs organisations, dont la Chambre de commerce internationale (CCI/ICC), se plaignaient de l‘absence de contrepartie à un statut lourd et coûteux. Les accords de reconnaissance mutuelle conclus par l’UE avec des pays disposant des mêmes statuts (la Suisse, la Norvège, Andorre, le Japon et les USA ; des négociations sont en cours avec le Canada, la Corée du Sud, la Chine) intéressent les grands groupes multinationaux mais pas les PME PMI.
Ceci explique peut-être le peu d’engouement des entreprises françaises qui ne comptent(4) à ce jour que 1 214 OEA en 2014 plaçant la France au 3e rang de l’UE, loin derrière l’Allemagne (5 603), sur un total européen de 13 029. Le CDU répond à leurs attentes en rendant la certification OEA fortement attractive : en effet, seules les entreprises certifiées OEA pourront accéder à ces bouleversements du dédouanement que constituent le dédouanement centralisé, l’autoévaluation, le guichet unique et la garantie globale :
• le dédouanement centralisé (DC) : C’est probablement la mesure phare du nouveau code en ce qu’elle offre un réel avantage aux entreprises concernées tout en mettant plus que jamais en concurrence les douanes européennes entre elles. Le DC permet une dissociation entre le lieu où la personne déclare ses marchandises et celui où ces marchandises arrivent physiquement en permettant à un opérateur européen de déposer ses déclarations dans un seul bureau librement choisi indépendamment de la localisation des marchandises. Prévu par l’article 179 du CDU, le DC s’inscrit dans la continuité de l‘actuelle Procédure de dédouanement unique communautaire (PDUC) prévue à l’article 76 du Code des Douanes Communautaire (CDC) et encore assez peu utilisée.
En novembre 2014, seules 89 procédures avaient été engagées et une vingtaine d’autres étaient encore en consultation. Dans le cadre du DC, un seul bureau de douane centralise l’ensemble des déclarations (on parle de bureau de supervision ou de domiciliation) alors même que d’autres marchandises arrivent dans d’autres bureaux (bureaux de rattachement). Les deux dispositifs ont en commun de permettre à un opérateur de gérer sa comptabilité et les paiements de ses droits de douanes dans un seul endroit même si des marchandises arrivent dans d’autres bureaux de douanes. Toutefois le DC se veut plus complet et donc plus incitatif que la PDUC : cette dernière ne porte que sur les procédures de dédouanement simplifiées (déclaration simplifiée et dédouanement à domicile).
En outre, elle reste spécifique à chaque utilisateur (chaque autorisation définit son propre champ d’application et le dispositif de dédouanement applicable entre les États membres concernés par les flux) alors que le DC est unique et harmonisé à l’ensemble des États membres. Mais la différence majeure réside dans le fait qu’il sera nécessaire d’avoir le statut d’OEA simplifications douanières pour bénéficier du DC alors qu’il faut simplement en remplir les critères pour bénéficier de la PDUC actuelle.
• l’auto-évaluation permet à un opérateur de déterminer lui-même le montant des droits et taxes exigibles à l‘importation et de réaliser certains contrôles sous surveillance douanière ;
• le principe du guichet unique permet de réaliser tous les contrôles y compris non douaniers en un seul endroit ;
• la garantie globale permet quant à elle de regrouper les diverses garanties exigées pour l’accomplissement des formalités douanières et d’en réduire le coût.
On ne peut que saluer ces avancées tout en faisant les observations suivantes :
• les modalités pratiques de l’auto-évaluation et du guichet unique restent encore à définir ;
• la différence entre l’actuelle PDUC et le futur dédouanement centralisé est difficile à saisir au premier coup d’œil ;
• la garantie globale est assortie d’un renforcement des garanties individuelles ;
• enfin, si les avantages de l’OEA sont considérablement renforcés, les conditions d’octroi du statut sont quant à elles renforcées puisque l’entreprise candidate devra désormais justifier d’une compétence douanière interne. Compte tenu de la rareté des diplômes en France sanctionnant une acquisition de compétences en matière douanière, il faudra définir les critères d’évaluation de cette compétence.
Si la plupart des nouvelles simplifications sont réservées aux OEA il en existe cependant qui profiteront à tous les opérateurs.
4/ De trop rares simplifications erga omnes :
Elles sont pour l’essentiel la simplification du perfectionnement actif et la mise en œuvre de la référence unique de l’envoi.
• La réforme du perfectionnement actif consistera dans l’abandon de l’obligation de réexportation. Cette obligation est aujourd’hui prévue par les articles 114 et suivants du CDC et par l’article 536 des Dispositions d’application du CDC (DAC) : l’autorisation de PA n’est octroyée que si le demandeur a l’intention de réexporter ou d’exporter des produits compensateurs principaux. Par anticipation sur le CDU, le secteur aéronautique bénéficie déjà de cet abandon : l’actuel article 544 DAC dispose en effet : « aux fins de l’apurement du régime ou de la demande de remboursement des droits à l’importation sont assimilées à une réexportation ou à une exportation (…) c) la livraison d’aéronefs civils ». Cette fiction juridique permet de considérer qu’il y a exportation dès lors qu’un produit sous perfectionnement actif est incorporé à un aéronef. Cette fiction est étendue aux engins spatiaux et aux équipements qui s’y rapportent.
Le Règlement d’exécution (UE) n° 1223/2014 de la Commission du 14 novembre 2014 (modifiant le règlement (CEE) n° 2454/93 en ce qui concerne l’apurement simplifié du régime du perfectionnement actif) a enfin étendu ces dispositions aux aéronefs militaires. Le perfectionnement actif est prévu à l’article 256 du Code des douanes de l’Union. Si le perfectionnement actif pour les aéronefs n’est pas directement visé, le projet de dispositions d’applications prévoit sous la section relative au perfectionnement actif (Inward processing, page 174), que « doivent être considérées comme exportés (…) la livraison d’aéronefs » au point c). Le CDU conserve bien l’idée d’un perfectionnement actif aéronautique, inscrit dans ses dispositions d’application.
• La référence unique de l’envoi (RUE). Le RUE est un numéro de référence à usage douanier, introduit par le CDU. Il a pour objectif de faciliter le commerce international, tout en mettant en place des instruments de surveillance et d’audit ininterrompus permettant aux administrations douanières d’effectuer des contrôles loin des frontières. Il permettra de recourir à une utilisation maximale des références existantes concernant le fournisseur, le client et le transport.
Ainsi, le RUE permet aux différentes administrations douanières et aux partenaires commerciaux de travailler ensemble le plus efficacement possible : renforcement de la sécurité aux frontières par un meilleur accès aux informations, meilleure coopération entre les administrations des douanes (pays d’import et d’export), facilitation de la gestion de la chaîne logistique, allégement des données communiquées par le transporteur et l’importateur, amélioration des contacts commerciaux en tout point de la chaîne logistique, menant également à une réduction des frais liés aux contrôles. Tout en saluant le caractère incitatif des avantages offerts aux seuls OEA, on regrettera le caractère discriminatoire du faible nombre de simplifications octroyées aux non OEA. Le futur CDU assortit ces simplifications de mesures plus restrictives motivées par la volonté d’une meilleure défense des intérêts financiers de l’Union européenne.
5/ Un nouveau code plus attentif aux intérêts financiers européens :
Un long débat auquel la Chambre de commerce internationale (CCI/ICC) a largement participé, a animé les débats autour des actes délégués et d’exécution : celui des changements annoncés en matière de valeur en douane dont chacun sait qu’ils sont cruciaux dans tous les business models des entreprises multinationales.
• La disparition de la règle dite de la première vente : introduite en 1992 dans le code des douanes communautaire (article 147.1 des DAC) et mise en œuvre dans divers pays dont les USA, cette règle autorise le recours non pas à la dernière vente en vue de l’exportation à destination du territoire douanier de la communauté européenne mais, dans un schéma de ventes successives devenu très fréquent dans une économie globalisée, à la première vente répondant à cette définition. Ce recours prend la forme d’une autorisation délivrée par la douane sur présentation d’éléments factuels précis attestant de cette destination finale du produit concerné. Il se traduit le plus souvent par une diminution de l’assiette des droits de douane dans la mesure où il permet d’éviter la réintégration d’éléments supportés à un niveau ultérieur dans la chaîne des ventes successives. C’est fréquemment le cas de redevances et de droits de licence dus en aval de la chaîne des ventes et de ce fait exclus de la base taxable. Cette règle certes dérogatoire mais pourtant adaptée à une réalité qui n’existait lors de l’adoption de l’accord de l’OMC sur la valeur en douane, a été supprimée par la Commission pour ne pas pénaliser les PME PMI. Seule concession : leurs titulaires continueront à bénéficier de ces autorisations pendant 2 ans à compter de l’entrée en vigueur du CDU.
• Le renforcement des conditions d‘intégration des redevances de marque à la valeur en douane des marchandises importées. L’actuel article 159 des DAC prévoit que ces redevances ne doivent pas être intégrées si l’une au moins des trois conditions suivantes n’est pas remplie : la revente en l’état, l’apposition de la marque pour laquelle la redevance est payée et l’absence de liberté d’approvisionnement de l’acheteur auprès d’autres fournisseurs non liés au vendeur.
Le futur article des actes d’exécution qui remplacera le précédent ne permettra plus de telles dérogations. Il prévoit que la condition de la vente est remplie dès lors que l’une des conditions suivantes est réunie :
• Le vendeur ou une personne connexe exige que l’acheteur procède à ce paiement,
• Le paiement de l’acheteur satisfait à une obligation contractuelle incombant au vendeur,
• Les biens ne peuvent être vendus ou achetés par l’acheteur sans paiement des redevances ou droits de licence au titulaire de la marque ou licence.
Il deviendra probablement beaucoup plus difficile d’échapper à l’avenir à l’intégration des redevances dans la valeur en douane.
On ne peut que regretter en revanche que le législateur communautaire n’ait pas été plus audacieux sur la question de la valeur en douane et des prix de transfert. En effet, le futur CDU maintient en l’état les dispositions actuelles du CDC selon lesquelles le prix de transfert n’est rejeté au prix des méthodes de substitution habituelles que lorsque la relation entre les parties concernées a influencé le prix. Au-delà, le code est et restera hélas muet sur la question des ajustements à la hausse ou à la baisse post-transaction, sur les recours possibles aux méthodes de l’OCDE et sur la reconnaissance de la documentation de prix de transfert, autant de points vigoureusement demandés par les associations professionnelles et notamment la CCI. (5)
6/ La fin du monopole de la représentation directe pour les commissionnaires en douane agréés
Le CDU met fin au monopole de la représentation directe des commissionnaires selon laquelle il agit en son nom et pour le compte de son client par opposition à la représentation indirecte selon laquelle il agit au nom et pour le compte de son client. En outre, le CDU consacre aussi la fin de l’agrément des commissionnaires en douane en ce sens que le représentant certifié OEA pourra de ce seul fait exercer dans tous les états membres sans devoir en passer par des procédures d’agrément nationales, comme il en existe en France. La concurrence s’annonce rude pour les commissionnaires français face à leurs collègues allemands, néerlandais et belges, notamment. Cette concurrence peut profiter aux chargeurs.
Jean-Marie Salva, Avocat Associé cabinet DS Avocats
1) CJUE, 5 septembre 2012, Parlement européen contre Conseil de l’Union européenne, aff. C-355/10
2) CJCE, 27 octobre 1992, Allemagne c. Commission, aff. C-240/90, Rec. p. I-5383.
3) Règlement 450/2008 du parlement et du Conseil du 23 avril 2008
4) vérification faite sur la base de données OEA de la commission européenne
5) déclaration ICC n°180/103-6-521 de février 2012
Pour info
À l’heure où cet article finit d’être rédigé on s’interroge sur le respect de la date d’entrée en vigueur du CDU. En effet, la demande qui a été faite par le Parlement européen d‘un report de deux mois de l’examen du projet initialement prévu pour le mois de mai 2015 fait naître des doutes. Mais on imagine mal que ce texte tant débattu et tant attendu puisse faire l’objet d’un nouveau retard, sauf à mettre en cause la capacité de l’Union européenne à se doter dans des délais acceptables d’une législation efficace. Au-delà des questions de calendrier, ce texte devrait être la source d’opportunités pour les entreprises. À condition qu’elles sachent les anticiper afin d’être prêtes au jour J, quelle qu’en soit la date.