Paradoxalement, c’est au paradis du sourcing, la Chine, que le Made in France pourrait frapper un grand coup. Avec une première « French City » à Tianjin, projet de village dédié au commerce des produits de l’artisanat et des terroirs français porté par un homme d’affaires chinois. Plusieurs organisations professionnelles et la région picarde sont prêts à relever le pari. La Lettre confidentielle a enquêté.
En février prochain, les autorités de Tianjin, mégalopole portuaire située à 180 kilomètres de Pékin, seront ainsi reçues à Bercy et au Sénat. « Une visite très officielle ponctuée par des visites organisées en région », s’enthousiasme un connaisseur du dossier. Ce voyage dans l’Hexagone suivra de peu une mission française menée en décembre dernier (16-20) à Tianjin par l’Institut social de France et de l’Union européenne (ISF Europe), centre de réflexion peu connu du microcosme du commerce extérieur français, avec la Fédération des très petites entreprises (FTPE).
Un immense village de 500 000 m2 dans le district de Binhai
Lors de ce déplacement, le 18 décembre, la plaque inaugurale d’une « French City » appelée « Centre de développement de l’artisanat des PME-PMI et TPE françaises en Chine », avait été dévoilée dans le district de Binhai, près de la Zone économique de l’aéroport et la Zone portuaire de libre-échange Tianjin Dongjiang. Il s’agirait d’un immense village de 500 000 m2 aux couleurs des 22 régions de l’Hexagone, comprenant rues, boutiques, cafés-restaurants, bureaux et entrepôts sous douane, et mettant à l’honneur des produits de l’artisanat français : mobilier, poterie, faïence, coutellerie, épicerie fine (miel, vins, huiles d’olive de diverses variétés, etc.).
Certains bâtiments existent déjà et il serait question d’installer un espace de e-commerce dans des locaux du port. Si le voyage en Chine de la délégation française a été financé par le promoteur chinois du projet, Bai Shao Liang, l’initiateur en est un homme d’affaires richissime, R-James Huang, président du groupe Wanshun Business Management, qui a clairement indiqué, selon un participant, que la French City était conçue pour alimenter le marché chinois, plus particulièrement la zone de chalandise des régions de Tianjin et Pékin.
Promouvoir des produits régionaux et de qualité
« L’objectif de ce projet est de promouvoir les produits régionaux et de qualité car la clientèle est exigeante », explique de son côté à la LC Dominique Calace de Ferluc, président de l’ISF Europe. Il existe selon lui une très forte demande chinoise sur ces produits. Et d’insister sur le fait qu’un tel projet vise aussi à « éviter les mésaventures d’un Français en Chine » en permettant « aux artisans d’être accompagnés techniquement et juridiquement ». Des bureaux permettront, selon lui, de fournir aux entreprises une aide logistique et des conseils en matière de formalités de dédouanement et d’import/export. Une zone d’entrepôts sous-douane assurera, elle, la distribution rapide des produits artisanaux de terroirs français.
Quelques mois avant la mission tricolore, l’ISF Europe avait remporté l’appel d’offres lancé par le patron chinois, à la barbe de concurrents occidentaux, notamment européens (italiens, allemands…). Il doit sonner le réveil de l’artisanat à l’export. « Le but est de convaincre les artisans français qu’ils peuvent réussir à être les premiers exportateurs de France », s’enthousiasme Dominique Calace de Ferluc. « Les Allemands, relève-t-il, s’en sortent mieux que nous aujourd’hui mais beaucoup d’entreprises allemandes qui exportent sont des entreprises familiales et des petites entreprises ! ».
Les promoteurs veulent lancer le projet en novembre 2014
« On est bien loin de la Chine atelier du monde, commente notre participant à la mission à Tianjin. Ce projet s’inscrit dans la nouvelle politique d’ouverture, voulue par le ministre des Finances Lou Jiwei, un économiste partisan des réformes de marché et ancien dirigeant du fonds souverain China Investment Corporation, qui prône une nouvelle voie, différente des chemins de l’économie occidentale », observe une source proche du dossier. Une politique qui s’est jusqu’à présent concrétisée par la construction de villes ou de quartiers pouvant accueillir PME, TPE et artisans étrangers, grâce, notamment, à l’obtention d’avantages non tarifaires et tarifaires (exemption totale de taxe et de droits douane pendant deux ans, réduite à 70 % pendant les deux années suivantes).
Les autorités locales et les promoteurs de la French City voudraient, eux, lancer le projet avant la fin de l’année, plus précisément « en novembre 2014 », affirme Dominique Calace de Ferluc. « La structure existe, elle est fonctionnelle, ajoute-t-il. Il reste à installer les aménagements des boutiques et à avoir les produits en nombre suffisant. Il y a une clientèle à satisfaire ! »
Pour la France, le développement aussi rapide de ce projet novateur, aurait l’avantage de lui donner une longueur d’avance sur des projets concurrents. Déjà, des hommes d’affaires suisses, avec l’appui de leur ambassade en Chine, cherchent à implanter une ville suisse non loin de Shanghai. Ils veulent surfer sur le fait que la Suisse est le seul pays européen, avec l’Islande, à disposer depuis mai 2013 d’un accord de libre-échange (ALE) avec la Chine.
Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin soutiennent le projet
Côté pouvoirs publics français, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, qui soutient le projet français est en pointe. Son directeur de cabinet, Boris Vallaud, a reçu Dominique Calace de Ferluc, et sa ministre déléguée aux PME, à l’innovation et l’économie numérique, Fleur Pellerin, suivrait aussi le dossier. De même, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, élu à plusieurs reprises député de Seine maritime, soutiendrait le projet, alors que Le Havre et jumelé à la cité chinoise de Dalian.
Organisée en un temps record, selon notre participant, la mission française à Tianjin était présidée par Jeanny Lorgeoux, sénateur du Loir-et-Cher. Y participaient encore Laurence Mahot, directrice Asie à la Chambre de commerce et de l’industrie de Haute Normandie, Pascale Sébille, Conseillère du commerce extétieur de la France (CCEF) au Comité régional de Picardie, Gérard Pourtet, président des CCEF du Languedoc Roussillon, Philippe Champemond, directeur général adjoint et Nancy Yang, directrice de projets en charge des Relations avec les clusters et pôles, représentant la Région Rhône-Alpes, et enfin Christian Valéry, CCEF au Comité Nice Côte d’Azur.
Depuis, la FTPE aurait sélectionné quelque 120 artisans et la région Picardie une cinquantaine de sociétés. Des contacts auraient aussi été noués avec Prodarom, le syndicat national des fabricants de produits aromatiques. Reste à convaincre d’autres régions de se joindre au projet de Cité française. Et ce, rapidement.
François Pargny et Venice Affre