Les tensions internationales avec la Russie n’empêchent pas le maintien de relations économiques importantes. Pour son dernier voyage à l’étranger comme président du Medef, Pierre Gattaz va ainsi conduire au Forum économique international de Saint-Pétersbourg (Spief) en Russie, qui se tient les 25 et 26 mai et auquel le président Emmanuel Macron assiste également, une délégation de 170 personnes, dont 50 P-dg et directeurs généraux de 60 entreprises.« La moitié sont de grandes entreprises, mais, pour un plus d’un tiers, ce sont aussi des ETI et des PME, et 15 % sont des startups », s’est félicité le patron des patrons français le 24 mai, lors d’un petit déjeuner de presse organisé juste avant le départ de la délégation, que co-pilote Frédéric Sanchez, président de Medef International.
Trois axes : ville durable, industrie du futur, innovation durable
« Nous voulons encourager les sociétés tricolores à conclure des partenariats de longue durée dans les technologies, à l’image des contrats et accords de coopération, une vingtaine, qui vont être signés à la fin du forum* », a expliqué Philippe Gautier, le directeur général de Medef International, pour lequel « le know how russe n’est plus à démontrer dans toute une série de secteurs, allant de l’industrie spatiale à la médecine ».
D’un commun accord, Français et Russes ont choisi comme thème fédérateur l’innovation, déclinée selon trois axes : la ville durable, l’industrie du futur et l’innovation durable. « Les présidents Macron et Poutine concluront la matinée devant plus de 250 entreprises françaises et russes », précise-t-on au Medef. Le Premier ministre nippon, Shinzo Abe, sera également présent, le Japon étant invité d’honneur du Spief avec la France, qui disposera de la première délégation étrangère.
La France investit beaucoup et progresse à l’export
Face à une concurrence internationale croissante, la France va ainsi avoir l’occasion d’accroître sa présence dans un pays de 130 millions d’habitants. Elle y est déjà le premier employeur étranger avec 170 000 emplois (dont 40 000 chez Auchan) et un des premiers investisseurs, avec 15,2 milliards de dollars en stock, de source russe.
C’est surtout sur le plan commercial que la France doit progresser. « Nous devons améliorer nos performances à l’export », a convenu Pierre Gattaz. Pour autant, « nos chiffres de vente ont progressé depuis deux », selon Philippe Gautier.
D’après la base de données GTA (groupe IHS Markit), la France était le cinquième fournisseur de la Russie au premier trimestre 2018, avec des achats supérieurs à 2 milliards d’euros, dépassant ainsi l’Italie et talonnant la Biélorussie et surtout les États-Unis.
Lors du dernier exercice annuel en 2017, la France n’était que numéro six, derrière l’Italie, avec des ventes de l’ordre de 8,5 milliards d’euros. En l’espace de deux ans, sa part de marché était ainsi passée de 3,24 à 4,23 %, ce qui demeurait, toutefois, faible par rapport à la Chine (21,09 %) et l’Allemagne (10,65 %).
Dans la délégation patronale, figurera la fintech Paytweak, une start-up spécialisée dans le paiement unique par courriel, SMS et messagerie instantanée. Son fondateur et dirigeant, Thierry Meimoun, indiquait, avant le départ de la délégation de France, que le choix de l’Élysée allait aider Paytweak à se développer à l’international, au moment où l’entreprise préparait « une levée de fonds pour financer ses développements techniques et commerciaux ».
Sanctions américaines : le cas Rusal
Malgré les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie et les contre-sanctions russes, « on peut travailler dans ce pays », soulignait Philippe Gautier à Paris. L’environnement est, cependant, compliqué par le fait que les sanctions américaines et européennes à l’égard d’individus ne sont pas les mêmes et qu’elles viennent d’être renforcées côté américain.
L’actualité fournit ainsi un exemple de contrecoup des sanctions américaines sur l’économie européenne, avec le placement, le 6 avril, par l’Administration Trump d’Oleg Deripaska, le patron du géant de l’aluminium Rusal, sur sa liste noire des oligarques réputés proches du Kremlin. Washington a indiqué aux partenaires de Rusal qu’ils avaient jusqu’au 23 octobre pour cesser leurs activité avec ce groupe, qui fournit notamment de l’alumine en France à la fonderie Aluminium Dunkerque. « Aujourd’hui, les bateaux de matières premières sont bloqués à Limerick en Irlande et il faut savoir que si la production est arrêtée à Dunkerque, un délai de six mois sera ensuite nécessaire pour relancer l’activité », s’inquiétait Dorothée Pineau, directrice générale adjointe de Medef.
Pour Pierre Gattaz, qui prendra le 5 juillet la présidence de l’organisation européenne des employeurs Business Europe, la réponse ne peut être qu’européenne et pas seulement française. Pour autant, défendait-il devant les journalistes à Paris, « il est normal que quelques entreprises françaises sur place en Russie touchées indirectement par les sanctions fassent part de leur mécontentement aux autorités nationales ».
En ce qui concerne le Medef, soutenait encore Pierre Gattaz, « on est conscient qu’on est une partie de la solution pour aller vers plus de démocratie, pour avoir un comportement plus éthique, mais nous voulons le faire en nous conformant aux règles et au cadre légal définis par le Quai d’Orsay et Bercy ».
Partenariat renforcé entre Medef et son homologue RSPP
« Ce que nous faisons, c’est créer de la confiance pour travailler dans la durée », ajoutait le numéro un du Medef, en citant la coopération mise en place par le Medef avec son homologue russe RSPP, ayant abouti notamment à la fondation d’un comité France-Russie. Ainsi, à Saint-Pétersbourg, l’organisation russe et Medef International vont signer un mémorandum of understanding (MoU) « pour renforcer les coopérations sur l’industrie du futur ».
Selon le numéro un du patronat français, « le président français a compris que l’économie est fondamentale au développement des relations entre les deux pays, que ce lien économique est essentiel et qu’il faut être fort pour résister aux assauts même d’amis et d’alliés ». Pierre Gattaz faisait ainsi une allusion claire à la politique de Donald Trump en matière commerciale : retrait des États-Unis de l’accord de démantèlement nucléaire en Iran, taxes sur l’acier et l’aluminium, lancement d’une enquête américaine sur les importations automobiles, etc.
« Face à la Chine et les États-Unis, assurait encore le futur patron de Business Europe, seule la France ne peut pas résister, mais l’Europe le peut ». Pour lui, « à l’heure du populisme en Europe, il est important qu’à Paris on est un président pro-business et pro-Europe ».
François Pargny
* Parmi ces partenariats d’entreprises, ont été cités :
– Schneider Electric et le Frid (Fond russe pour les investissements directs). Objectif : réaliser des investissements conjoints en matière d’efficacité énergétique ;
– Safran et United Engine Corporation. Objectif : remotoriser l’avion canadaire amphibie le BERIEV-200, qui sera équipé d’un nouveau moteur franco-russe SaM-146 ;
– SNECI, PME implantée en Russie depuis 2014, et le Cluster Automobile de la région de Samara. Objectif : monter en compétence la filière des équipementiers automobiles russe et créer un centre technique innovant ;
– Poma, ETI basée à Grenoble, et Northern Caucasus Resorts (NCR). Objectif : créer la joint-venture National Ropeways pour le design et l’équipement du complexe touristique Erlbrus dans le sud de la Russie.
D’autres entreprises, grands groupes ou PME, très présents en Russie, comme Renault (actionnaire de référence d’Avtovaz), signeront des mémorandums of understanding (MoU) ou des contrats.
Pour prolonger :
– France / Russie : E. Macron maintient sa visite d’État, Business France s’affaire
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