Un environnement des affaires stable (évalué A3 par Coface), une croissance économique dynamique (+6,9 % en 2017), une main-d’œuvre hautement qualifiée dans des secteurs aussi variés que l’informatique ou la recherche, un important marché intérieur de 20 millions d’habitants, une consommation des ménages stimulée par les assouplissements fiscaux et les augmentations de salaire : la Roumanie, qui va occuper pour la première fois de son histoire la présidence du conseil de l’Union européenne (UE) pour un mandat de six mois (du 1er janvier au 30 juin 2019), ne manque pas d’atouts pour les investisseurs étrangers. Mais ce pays entré dans l’UE en 2007 doit poursuivre les réformes visant à améliorer son environnement des affaires s’il veut les séduire.
C’est ce qui ressort des échanges entre les milieux d’affaires français et roumains présents le 6 décembre au centre de conférences Pierre Mendès du ministère de l’Économie et des finances pour assister au forum économique France-Roumanie organisé sous le haut patronage du ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire à l’occasion de la « Saison France-Roumanie 2019 », inaugurée le 27 novembre dernier.
Objectif de cette manifestation : attirer les investisseurs français en Roumanie et vice-versa, les dirigeants d’entreprise roumains en France. « Je souhaite que ce forum économique entre nos deux pays permette de consolider un certain nombre de choix économiques, et puis, je l’espère, d’ouvrir de nouvelles perspectives d’investissements de la France en Roumanie et également de la Roumanie en France », a déclaré l’hôte de Bercy, qui a ouvert conjointement avec son homologue Eugen Orlando Teodorovici, le ministre roumain des Finances publiques, ce forum économique (notre photo).
En termes d’investissements directs étrangers (IDE), avec un stock de 4,7 milliards d’euros en 2017, la France est le 5ème plus grand investisseur direct en Roumanie. Elle y compte 2 300 filiales d’entreprises, dont la quasi-totalité des entreprises du CAC 40.
Les échanges commerciaux bilatéraux sont dynamiques : les exportations françaises en Roumanie ont augmenté de 8,27 % en 2017 par rapport à 2016, pour s’établir à 3,94 milliards d’euros, d’après les données de la base de statistiques Global Trade Atlas (GTA) / IHS Markit. La France expédie majoritairement des machines, chaudières, appareils et engins mécaniques, premier poste à l’export, et des voitures. Quant aux importations, elles se sont élevées l’an dernier à 3,86 milliards d’euros, de ce fait, le solde commercial de la France avec ce partenaire est positif.
Une présence française forte dans les secteurs d’excellence
« Orange est présent en Roumanie depuis 1998, et y a investi depuis l’origine 3,5 milliards d’euros », a témoigné Stéphane Richard, P-dg du numéro 1 français des télécommunications. La Roumanie est un marché important car c’est « un pays à la pointe dans le domaine de l’innovation », a souligné le dirigeant, précisant que « la Roumanie est le premier pays où nous avons expérimenté en grandeur réelle la 5G, depuis un peu plus d’un an ». Orange emploie 3 500 personnes localement, dont 500 ingénieurs. C’est aussi dans ce pays latin qui a un grand appétit pour les technologies nouvelles et a rapidement adopté les nouveaux outils d’usage de la digitalisation, que l’opérateur français a lancé cette année des services de paiement mobile.
Dans l’énergie, Engie, qui emploie plus de 4 000 personnes en Roumanie –le sixième pays du groupe en termes de collaborateurs– est un acteur majeur de la distribution et de la fourniture de gaz naturel pour les particuliers et professionnels. « C’est surtout à partir de 2005, lors des grandes privatisations, qu’Engie est devenu un grand investisseur en Roumanie », a relaté Étienne Jacolin, directeur général d’Engie Europe du Sud, du Nord et de l’Est. Aujourd’hui, le groupe compte « 1,8 million de clients en Roumanie ». Encore récemment, le 22 novembre dernier, l’énergéticien, via sa filiale Engie Energy Management Romania, a signé avec la compagnie roumaine Sea Oil & Gas un important contrat pour la distribution d’un milliard de mètres cubes de gaz naturel par an. Le groupe énergétique réalise 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires dans le pays.
Outre les télécommunications et l’énergie, la France est présente dans la distribution avec des investisseurs comme Carrefour qui emploie 17 000 collaborateurs en Roumanie et compte 330 magasins (hypermarchés et supermarchés). « C’est un territoire de croissance, c’est un territoire d’investissement », a insisté Laurent Vallée, secrétaire général du groupe Carrefour.
S’agissant du secteur bancaire roumain, celui-ci s’est développé avec la privatisation par l’État, à partir de 1998, des principales banques nationales et avec l’entrée de grandes banques universelles. « Société Générale s’est implanté en Roumanie en 1999 », a délivré pour sa part Philippe Heim, directeur général délégué de Société Générale. « Nous sommes un acteur majeur, nous finançons 16 % des ménages roumains ». La banque française, via sa filiale roumaine Société Générale BRD (Banque roumaine de développement), dispose de 450 agences dans le pays et revendique 2 millions de clients. Selon Philippe Heim, la croissance du PIB roumain « a été portée par un fort développement de la consommation ». De son côté, « le secteur bancaire roumain s’est drastiquement assaini depuis cinq ans », a encore observé le dirigeant français.
Toutefois, malgré une croissance du PIB dynamique avoisinant les 7 % en 2017, soit la plus élevée de l’UE, la Roumanie doit encore lever certains freins à l’investissement. Sur ce point, le forum économique aura permis de pointer les principaux domaines dans lequel les entreprises françaises attendent des progrès.
Des réformes à poursuivre…
Ainsi, pour Étienne Jacolin, dont le groupe a investi 1 milliard d’euros en Roumanie depuis 2005, « l’équité de la réglementation de l’investissement est essentielle ». Il n’a d’ailleurs pas caché son inquiétude quant à l’évolution de la réglementation fiscale roumaine. « Nous sommes préoccupés par les nouvelles taxes », a confié le dirigeant qui aimerait « une concertation en amont » entre les autorités et les entreprises, avant que les nouvelles taxes soient mises en œuvre. Ce qui pose le plus grand problème aux entreprises comme Engie est la prédictibilité des évolutions réglementaires et fiscales. « Les nouvelles réglementations sont complexes », a renchéri Étienne Jacolin jugeant qu’un certain temps d’adaptation était nécessaire. « Nous appelons à plus de délais de transition, et nous appelons aussi de nos vœux à plus de concertation », a-t-il clamé.
Autre sujet pouvant freiner les décisions d’investissement, la réglementation des marchés publics. « Nous sommes aussi préoccupés lorsque nous avons des entreprises publiques roumaines contrôlées à 100 % par l’État qui déposent leur bilan sans avoir forcément de plan de restructuration ou de redressement à la hauteur de l’enjeu », a regretté le dirigeant. « Ceci-dit, le potentiel de la Roumanie est immense », a-t-il tempéré.
En tant qu’investisseur, Stéphane Richard a évoqué de son côté le manque de stabilité du cadre législatif. « Il y a les règles, les lois, et après il y a l’application des règles et l’application des lois », a-t-il exposé. Exemple : la différence de traitement judiciaire entre les sociétés roumaines et celles étrangères. « Les entreprises étrangères ne sont pas au-dessus des lois, bien entendu, elles peuvent faire des erreurs, par contre, elles s’attendent à être traitées de la même façon que les entreprises roumaines », a lâché le patron d’Orange. Pour lui, les sociétés françaises qui investissent ou s’implantent en Roumanie doivent être sûres qu’elles seront traitées de façon équitable « y compris, a-t-il précisé, quand elles peuvent faire l’objet de sanctions par l’autorité de la concurrence ». Devant les tribunaux roumains, les entreprises tricolores doivent avoir « la certitude » qu’elles ne feront pas l’objet « de sanctions complètement disproportionnées », estime le P-dg de l’entreprise française de télécommunications.
Eugen Orlando Teodorovici, le ministre roumain des Finances publiques, s’est efforcé de calmer cette inquiétude. « Il n’y a pas de différence de traitement entre les entreprises à capitaux étrangers et celles à capitaux nationaux », a assuré le ministre roumain. « Mais il y a, a-t-il reconnu, des différences de traitement entre le secteur privé et le secteur public. Il peut y avoir un traitement inéquitable, injuste entre les entreprises privées et publiques ». « Nous allons proposer des mesures », a-t-il annoncé.
Des besoins en ressources humaines
Autre écueil : la pénurie de ressources humaines dans certains métiers. Un problème qu’a notamment expérimenté le groupe français Gonzales, concepteur et constructeur d’équipements industriels pour de grands clients nationaux et internationaux, arrivé en Roumanie en 2003. « On a mis deux semaines pour mettre en place les statuts de la société, là où au Vietnam ça prend neuf mois », a glissé Damien Gonzales, président du groupe éponyme, qui a également salué une fiscalité « relativement faible » et l’existence d’une population travailleuse et ouverte à l’innovation. Encore faut-il trouver les compétences recherchées. À cet égard, Damien Gonzales a déploré la disparition des écoles de formations professionnelles et des lycées techniques en Roumanie. En outre, « il y a énormément d’expatriés roumains qui sont partis travailler à l’étranger », a-t-il alerté. Pour lui, le gouvernement doit « trouver le moyen de les encourager à revenir travailler en Roumanie ».
Une situation reconnue par le ministre Eugen Orlando Teodorovici, qui se définit lui-même « 100 % pro-business », et qui a estimé à 1 million le nombre de travailleurs manquant actuellement dans son pays. « Les indicateurs économiques sont positifs, nous créons des emplois mais nous sommes confrontés à l’émigration de la main-d’œuvre », a-t-il reconnu. Des réformes doivent encore être menées par les autorités pour lutter contre l’exode.
Enfin, dernier domaine où les milieux d’affaires français espèrent des progrès : les infrastructures. La Roumanie reste le pays membre de l’UE dont les infrastructures sont les moins développées des Vingt-huit États membres, quelles concernent les transports, la santé ou l’éducation. « S’agissant des infrastructures terrestres de transport et de supply chain, il y a des marges d’amélioration complémentaires », a confirmé le secrétaire général de Carrefour, tout en insistant sur le « très grand potentiel » que recèle le pays.
Des attentes entendues côté Roumain : le nouveau gouvernement social-démocrate de la Première ministre Viorica Dăncilă, élue le 29 janvier 2018, a mis en chantier diverses réformes, notamment concernant la réglementation des marchés publics et les partenariats publics-privés (PPP).
Venice Affre