Le forum d’affaires France-Nigeria organisé par Medef International a fait salle comble le 15 septembre, dans l’auditorium de 292 places de son siège parisien. Il est vrai qu’il se tenait en marge de la visite d’État du président du Nigeria Muhammadu Buhari –la première en Europe depuis son élection au printemps 2015– et en présence d’une importante délégation officielle du gouvernement du Nigeria accompagnée de chefs d’entreprises. Quelque 350 participants, hommes d’affaires et dirigeants d’entreprise français et nigérians, ont assisté à cette rencontre, dont plusieurs dizaines debout. Plusieurs accords de partenariat et de coopération économiques ont été signés*.
Le pays, il est vrai, est un géant africain, au potentiel énorme. En termes de PIB, le Nigeria « devance l’Afrique du Sud », n’a pas manqué de rappeler le président du Medef Pierre Gattaz qui introduisait ce forum d’affaires franco-nigérian. Première puissance économique du continent avec un PIB de 521 milliards d’euros, le Nigeria est aussi la première puissance démographique d’Afrique avec une population avoisinant les 180 millions d’habitants. Il pourrait même devenir la troisième puissance démographique mondiale à horizon 2050 derrière l’Inde et la Chine et devant les États-Unis. Bien que le pays tire 80 % de ses revenus du pétrole, secteur qui compte pour 90 % des exportations nigérianes, l’agriculture devient une nouvelle locomotive de croissance économique.
« Il y a plus au Nigeria que le pétrole », a lancé le président Muhammadu Buhari. Et de dérouler les atouts de son pays. Une main d’œuvre à faible coût, des minerais, des terres cultivables, une industrie du textile… « Le Nigeria est le premier producteur mondial de manioc », a-t-il rappelé. Et il a plus à offrir à la France que son pétrole : c’est en somme le message qu’a délivré le président Buhari aux hommes d’affaires français, après avoir été accueilli la veille à l’Élysée où il s’est entretenu avec son homologue François Hollande sur la coopération économique et la relation commerciale bilatérale. « Or, zinc, charbon, manganèse, pierres semi-précieuses, argile, graphite », le président a ensuite énuméré les richesses abondantes de son pays.
Le sol nigérian regorge de ressources naturelles. Et ça les entreprises françaises l’ont bien compris à l’instar de Lafarge, le roi du ciment. Fort d’une présence de 56 années dans le pays, via son ancienne filiale Wapco Operations, le groupe de BTP français accompagne aujourd’hui le pays dans sa route vers l’urbanisation à travers sa nouvelle entité Lafarge Africa Plc, cotée à la Bourse de Lagos qui regroupe ses actifs nigérians et sud-africains. L’industriel français, désormais concurrencé par le puissant groupe nigérian Dangote, se positionne pour construire des habitations pour les 17 millions de foyers au Nigeria qui souhaitent accéder au logement.
« Les opportunités sont vastes et les entreprises françaises sont les bienvenues pour en profiter pleinement », a conclu le président nigérian qui s’est livré à une vraie opération séduction auprès des entrepreneurs français présents dans l’audience.
Le Nigeria n’est que le 45ème client de la France
De fait, le Nigeria n’a été que le 45e client de la France à l’export en 2014, ce qui laisse de belles marges de progression. L’an dernier, les exportations françaises vers le Nigeria se sont élevées à 1,5 milliard d’euros en léger recul (- 0,31 %) par rapport à 2013. Les achats nigérians à la France ont porté essentiellement sur les combustibles minéraux-huiles (733 millions d’euros) et les produits pharmaceutiques (167 millions d’euros). La tendance est à la baisse encore cette année. Sur les six premiers mois de 2015, les exportations de produits tricolores vers le Nigeria se sont élevées à 740,5 millions d’euros accusant une baisse de 3,69 % par rapport à la même période en 2014, situant le géant africain au 46e rang.
Vu du Nigeria, la France était en 2013 (dernière année pour laquelle les chiffres de la base de données GTA-GTIS sont disponibles) le 11e fournisseur du Nigeria, derrière le Brésil. Cette année là, le Nigeria avait importé pour 891 millions d’euros de biens originaires de l’Hexagone, soit des achats en hausse de 55,9 % par rapport à 2012. Deux grands secteurs arrivaient en tête les combustibles minéraux-huiles (302 millions d’euros) et les machines-chaudières, appareils et engins mécaniques (110 millions).
Énergie : des opportunités dans le solaire et l’éolien
D’autres exemples que Lafarge ont été fournis. Le fabricant français d’éoliennes Vergnet va ainsi construire une centrale solaire au Nigeria. Des discussions entre Vergnet et le ministre de l’Industrie nigérian ont été amorcées, a informé Jérôme Douat, président du directoire de Vergnet, lors de la première table ronde de la matinée dédiée au vaste secteur de la ville durable et l’énergie. L’industriel, qui connaît les risques puisqu’il a été victime en 2012 de l’enlèvement d’un collaborateur, va former sur place à sa technologie les ingénieurs locaux qui travailleront sur sa future centrale solaire. Vergnet est présent dans le nord du pays, à Katsina, où il a installé un parc éolien de 37 éoliennes.
Alstom fournira pour sa part des turbo-alternateurs hydroélectriques à la plus grande centrale hydroélectrique du Nigeria. Le groupe se positionne également sur la transmission d’énergie, clé du développement dans la ville.
Des opportunités dans l’agriculture et l’agro-industrie
Mais Sani Dangote, président de Nigeria AGRIbusiness Group (NABG), qui rassemble des associations, coopératives, agences, institutions financières, universités et centres de recherche représentant toute l’industrie agricole et agroalimentaire, a rappelé l’importance de l’agriculture dans l’économie nigériane, lors de la deuxième table ronde consacrée à l’agriculture et l’agro-industrie.
Alors que l’activité pétrolière stagne, affectée par les vols et le sabotage des installations, le Nigeria mise sur l’agriculture pour diversifier son économie. L’exportation de cacao a rapporté 1,5 milliard d’euros en 2013 (source : GTA-GTIS), troisième poste à l’export derrière les « combustibles minéraux » et le « caoutchouc ». Mais le Nigeria a encore des progrès à faire en la matière. «Nous souhaitons améliorer notre technologie et notre process, en vue d’augmenter le rendement », a affirmé Sani Dangoté, rappelant le savoir-faire ancestral de la France dans le domaine agricole. « Nous avons de la main-d’œuvre mais nous avons besoin d’améliorer notre technologie, notre savoir-faire pour améliorer notre procédé de production ».
« L’agriculture est une composante du développement économique », a indiqué Marie-Hélène Le Henaff, sous directrice des échanges internationaux au ministère de l’Agriculture. « Nous sommes tous confronté au même défis : nourrir 9,5 milliards d’hommes à horizon 2050 », a-t-elle poursuivi. Alain Réocreux, président de la filière élevage/Livestock au sein de l’Adepta (Association pour le développement des échanges internationaux de produits et techniques agroalimentaires), a, lui, rappelé que l’Adepta, qui dispose d’un bureau de représentation à Dakar, était active au Nigeria depuis 30 ans en apportant des biens et des technologies.
L’Adepta fait partie du dispositif public d’appui au commerce extérieur de la France. « Nous souhaitons apporter de nouvelles technologies, comme les nanotechnologies pour que vous puissiez développer rapidement votre agriculture », a signalé Alain Réocreux. Dans le domaine de la transformation des produits laitiers, l’Adepta peut notamment fournir son savoir-faire technique aux agriculteurs nigérians. « Nous avons la technologie pour mettre du lait en bouteille », a illustré le dirigeant de l’Adepta. A l’avenir le savoir-faire français servirait pour accompagner le Nigeria tout au long du process de transformation, « de la ferme à la table ».
Mais des obstacles
Quelques ombres au tableau. La croissance de 6,4 % l’an dernier, a décéléré à 5 % cette année et la chute des cours du pétrole n’arrange pas les finances publics. Ce pays d’Afrique de l’Ouest a tout pour séduire les investisseurs français sauf un niveau de corruption perçu parmi les plus élevé (136/175 Transparency International) au monde. La corruption généralisée, l’instabilité politique, le manque de transparence et la mauvaise qualité des infrastructures freinent les investisseurs.
La lutte contre le mouvement terroriste Boko Haram a été évoquée brièvement par le président du Nigeria à la fin de son allocution. La situation sécuritaire toujours tendue dans la zone de production pétrolière du delta du Niger, s’est par ailleurs fortement détériorée dans le nord avec l’intensification des actions de ce mouvement islamiste radical. L’insécurité et la corruption contraignent l’environnement des affaires qui continue de reculer année après année. En 2015, le Nigeria se classe au 170e rang parmi les 189 pays listés par la Banque mondiale dans son classement Doing Business qui mesure la facilité à faire des affaires.
Autrement dit, si ce vaste marché est un de ceux qu’il ne faut pas négliger en Afrique, il faudra l’aborder avec prudence, en s’appuyant, notamment, sur tous les dispositifs d’accompagnement français.
Venice Affre
*Pour prolonger
Lire dans notre Lettre confidentielle d’aujourd’hui : France-Nigeria : les accords de partenariats et de coopération économiques signés pendant la visite du président Buhari