Cet article a fait l’objet d’une Alerte confidentielle diffusée le 12 septembre aux abonnés de la Lettre confidentielle du Moci.
Déposer une « déclaration interprétative » spécifique de la France en matière d’environnement et de normes sanitaires en même temps que les instruments de ratification du traité, instaurer un « veto climatique » sur la protection des investissements, appeler Bruxelles à négocier « un accord bilatéral sur le climat » avec le Canada…
À quinze jours à peine de l’entrée en vigueur partielle et provisoire du traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada, telles sont quelques unes des recommandations de choc remise par la Commission d’évaluation de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada – le CETA (Comprehensive Economic and trade agreement) ou AECG en français (Accord économique et commercial global)– au Premier ministre Édouard Philippe, après seulement deux mois quasi jour pour jour de travaux.
Les avoir sorties en ce délai record est d’ailleurs un exploit dans la mesure où le CETA est un document massif et complexe de 2 300 pages, annexes comprises, auxquelles s’ajoutent quelque 38 déclarations et un « instrument interprétatif commun », un document nouveau destiné à préciser l’interprétation qui sera faite, de part et d’autre, de certains articles du traité jugés trop flous. L’objectif général fixé le 5 juillet par le chef du nouveau gouvernement français à la Commission de neuf membres* présidée par l’économiste Katheline Schubert (Paris School of Economics-Université Paris) était très ambitieux : « apporter un éclairage objectif, scientifique et quantitatif quant à l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, dans le cas d’une mise en œuvre de l’intégralité des dispositions de l’accord ».
Laissant de côté les aspects quantitatifs et la réflexion prospective approfondie faute de temps, elle a donc livré le 7 septembre au chef du gouvernement un rapport de 69 pages intitulé Rapport au Premier ministre sur l’impact de l’AECG / CETA sur l’environnement, le climat et la santé que l’on peut considérer comme critique mais réaliste**.
Si elle n’appelle pas à rejeter purement et simplement le CETA en raison de ses insuffisances sur les trois sujets spécifiés, la Commission n’en recommande pas moins la plus grande vigilance sur différents aspects du traité, et sur les modalités concrètes de fonctionnement des organismes de coopération qui seront mis en place pour son application, notamment le mécanisme de règlement des différents investisseurs / État (ICS) et le Forum de coopération réglementaire (FCR) destiné à favoriser la convergence des normes.
Avant de revenir aux recommandations, quels sont ses principaux constats ?
Pas de « principe de précaution », de « transition écologique de l’agriculture », ou de mention « climat »
D’abord un bon point : le traité reconnaît à diverses reprises la légitimité des différences de « préférences collectives » (rejet des OGM ou de la viande aux hormones, par exemple), ce qui implique « la reconnaissance explicite du droit des parties à réglementer pour poursuivre des objectifs légitimes de politique publique, tant que ces mesures ne constituent pas un moyen de discrimination arbitraire ou du protectionnisme déguisé ». Mais le risque d’une dérive future, pour des raisons de protectionnisme ou, à l’inverse, de défense d’intérêts privés, n’est pas écarté par le traité.
Ainsi, même si le CETA édicte « en principe » qu’il ne doit pas mettre en danger les normes environnementales et sanitaires existantes des deux parties, l’absence de citation explicite du « principe de précaution » dans le traité crée « une incertitude sur l’éventualité de contestation par le Canada de dispositifs futurs », souligne le rapport. « Il s’agit de savoir si le CETA aggrave ou non ce risque, en particulier à travers l’ICS et le FCR », poursuit-il.
Sur l’ICS (qui n’a plus rien à voir avec de l’arbitrage privé) et le FCR, préviennent les auteurs, « c’est dans le fonctionnement concret » de ces deux instances que « les risques existent » et qu’il faudra donc être vigilants sur la composition des membres –pas de conflits d’intérêt- et leur champ d’intervention.
L’agriculture pose un problème particulier. Le rapport pointe notamment l’absence de référence du traité « sur les questions du bien-être animal, de l’alimentation animale (farine animale ou non ?), et de l’administration d’antibiotiques comme activateurs de croissance ». Surtout, il constate que « le risque est que le CETA ne fournisse pas des conditions favorables aux objectifs de la transition écologique de l’agriculture ».
En ce qui concerne l’environnement, le rapport pointe « le manque d’ambition de l’accord », qui ne contient « aucun engagement contraignant ». Une occasion manquée alors que le CETA se veut « un modèle pour les accords futurs », regrettent les auteurs.
Quant au climat, c’est pire : c’est « le grand absent de l’accord », en partie pour des raisons de calendrier, puisque les négociations ont été lancées il y a sept ans, bien avant l’Accord de Paris.
Neuf recommandations, avec ou sans ratification
Face à un tel constat, la Commission fait neuf recommandations qui ont le mérite de pouvoir être mise en œuvre avec ou sans ratification du traité :
1/ « Assurer en continu la transparence, notamment vis-à-vis de la société civile, et l’équilibre des instances de coopération réglementaire ». La Commission vise en particulier le FCR.
2/ « Mettre en place un comité de suivi au niveau national », avec des experts scientifiques.
3/ « Compléter l’instrument de ratification » : en d’autres termes, que la France joigne à ses instruments de ratification sa propre « déclaration interprétative » sur les questions sanitaires et environnementales.
4/ « Instaurer un étiquetage informant sur les modes de production des produits d’origine animale ».
5/ « Renforcer les contrôles et les procédures de certification en matière animale et végétale », et notamment à travers l’OAV.
6/ « Insister dans les négociations future sur la nécessaire réciprocité » et notamment en matière de barrières sanitaires et environnementales.
7/ « Introduire un ’veto’ climatique sur la protection des investissements ».
8/ « Compenser les effets négatifs directs du CETA sur le climat par l’introduction éventuelle de dispositifs complémentaires dans le CETA ou par un accord bilatéral spécifique entre l’UE et le Canada » sur le climat.
9/ « Inciter à la limitation de l’extraction des pétroles issus de schistes bitumineux », cette question devant être en tête de l’ordre du jour du FCR.
Que va faire le gouvernement de ces travaux ?
Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, et Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, ont réuni aujourd’hui 13 septembre le comité de suivi national des dossiers de politique commerciale, au Quai d’Orsay. Un plan d’action ministériel devait être annoncé dans la foulée. À suivre**…
Christine Gilguy
*Les autres membres de cette commission sont : Jean-Luc Angot (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux), Geneviève Bastid Burdeau (Université Paris 1), Christophe Bellmann (International Centre for Trade and Sustainable Development), Sophie Devienne (AgroParisTech), Lionel Fontagné (Paris School of Economics-Université Paris 1 et Cepii), Roger Genet (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), Géraud Guibert (La Fabrique écologique), Sabrina Robert-Cuendet (Le Mans Université).
**Le rapport complet est téléchargeable sur notre site Internet au lien suivant : https://www.lemoci.com/etudes-et-rapports/rapport-au-premier-ministre-sur-limpact-de-laecg-ceta-sur-lenvironnement-le-climat-et-la-sante/
***CETA / AECG : Paris promet un plan d’actions sur l’environnement, la santé et le climat
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : UE / Commerce : Juncker confirme les ambitions commerciales de la Commission