Trois mois après la publication des conclusions de la mission sénatoriale menée en Iran par le sénateur (UMP) Philippe Marini, qui préconisait de confier à la Banque Postale le rétablissement de circuits financiers avec la République islamique, trouver une banque pour les accompagner dans leurs affaires en Iran reste un casse-tête pour les entreprises françaises. Les banques françaises ne veulent pas en entendre parler, et même la FBF (Fédération bancaire française) leur conseillerait de s’abstenir, selon un proche du dossier.
Les solutions passent donc par des banques de pays tiers, qui ne sont pas à la portée de toutes les entreprises, notamment les PME, et alourdissent leurs démarches et leurs coûts. « Je ne regarde même pas de solution franco-française ! » confie à la Lettre Confidentielle Xavier Bertrand, avocat d’affaires indépendant passé par de gros cabinet internationaux et la direction juridique d’Alstom avant de s’installer à son compte. Présent lors de la présentation des conclusions de la mission sénatoriale, le 12 juin, il connaît bien le dossier iranien.
« Il existe des solutions que nous pouvons mettre en place dès aujourd’hui, mais elles passent par des pays tiers, en Europe, au Moyen Orient et en Asie, explique cet expert. Il s’agit plutôt de banques locales, ou à vocation régionale ». Les banques –et pas seulement françaises- sont en fait confrontées à deux types de problèmes, selon lui : « Le premier est un problème corporate, de gestion des risques : les demandes d’autorisation sur l’Iran sont tout simplement bloquées par les services juridiques internes. Le deuxième est un problème de collatéral : le rial n’étant pas convertible, elles doivent trouver une contrepartie qui accepte du rial iranien. Les lettres de crédit, par exemple, obligent à faire appel à des avoirs iraniens à l’extérieur ».
Les pays qui ont des avoirs iraniens sur leur territoire sont avantagés
Dans ce contexte, les pays qui ont sur leur territoire des avoirs iraniens sont avantagés. « Les pays qui ont des avoirs officiels iraniens sont notamment ceux officiellement autorisés, dans le cadre des sanctions internationales, à acheter du pétrole iranien : Chine, Corée du Sud, Japon, Inde…, confirme l’avocat. Mais ils ont tendance à s’en servir pour leurs propres transactions avec l’Iran ».
Mais cela n’explique pas l’avancée prise, aux dires des uns et des autres, y compris des Iraniens eux-mêmes, par les Américains, les Allemands ou encore les Italiens. Xavier Bertrand a sa petite idée. « Les Etats-Unis se permettent des choses qu’ils interdisent aux autres : sur ce point, je suis totalement d’accord avec les conclusions du rapport Marini, souligne l’avocat. Ils essayent de faire peur tout en prenant leurs propres dispositions pour revenir ». Procter & Gamble est souvent citée comme une des grandes multinationales américaines qui auraient repris pied à Téhéran sans même attendre l’allègement des sanctions internationales.
Quant aux Allemands, ils seraient plus imaginatifs et plus souples pour trouver des solutions : « les Allemands sont des pragmatiques : soit ils trouvent un collatéral en Allemagne, soit ils passent des accords avec des banques à l’étranger qui ont des avoirs iraniens. En outre, leur appareil exportateur est composé de plus nombreuses PME que le nôtre : elles sont plus souples et prennent plus de risques que nos grands groupes du CAC 40, qui dominent nos exportations mais sont davantage regardants sur les règles de compliance, de conformité ». Les banques des Länder seraient notamment plus actives.
Problème de culture et de pratique de l’export, aussi : « Les entreprises françaises ont aussi l’habitude de faire appel au soutien de l’Etat à l’exportation : hors, sur des cas comme l’Iran, l’administration française est sans doute excessivement prudente. Il ne faut pas non plus oublier le choc provoqué par les sanctions infligées par la justice américaine à BNP Paribas : c’est la banque étrangère qui a été le plus sanctionnée dans cette affaire de contournement d’embargo ».
En attendant, les entreprises tricolores, qui se pressent pourtant dans les avions en direction de Téhéran, perdent des opportunités : à fin juillet, soit sur les 7 premiers mois de l’année 2014, les importations iraniennes en provenance de France continuaient leur chute (- 10 % par rapport à la même période de 2013) alors que celles en provenance d’Allemagne étaient en hausse de 11,3 %. La France se hissait ainsi au 13ème rang des fournisseurs de l’Iran, alors que l’Allemagne, l’Italie, le Royaume Uni et les Pays-Bas occupaient respectivement la 6ème, 8ème, 9ème et 10ème place. « Or, dans l’hypothèse d’une levée des sanctions sur l’Iran, il y aura une ouverture légale, puis la mise en place de structures financières, avertit l’avocat. Les premiers arrivés seront en position de force car l’Iran est un pays doté de tout un réseau de distributeurs avec lesquels il faut d’ores et déjà nouer des contacts ».
Christine Gilguy
*Relire : France-Iran : la reprise des échanges victime collatérale de l’affaire BNP Paribas