« Il faut une politique commerciale (européenne) robuste, appliquer le principe de réciprocité et mieux contrôler les investissements étrangers, en se dotant d’un organe semblable au CFIUS américain (Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis) », assurait dans une conférence de presse, le 26 mars, Philippe Varin, qui préside France Industrie, l’association qui représente le secteur, à l’occasion du lancement de la Semaine de l’industrie et à la veille de l’inauguration du premier salon Global Industrie* (27-30 mars) par le président de la République.
L’ancien patron de PSA se faisait ainsi l’écho des inquiétudes naturelles des industriels français, plus portés vers le libéralisme économique, au moment où Washington tend à fermer ses frontières. « Le protectionnisme de Trump, c’est un risque majeur. L’acier taxé aux États-Unis risque d’être détourné vers l’Europe », estimait ainsi Philippe Darmayan, vice-président de France Industrie.
Les trois disruptions de la filière automobile
Selon Philippe Darmayan, « si Trump généralise sa politique à d’autres produits, on s’achemine vers un désordre complet sur les marchés mondiaux, obligeant les autres pays à mettre des barrières pour se protéger ». Et, dans le cas de l’acier, ajoutait-il, « c’est l’automobile qui en souffre ». Une industrie planétaire en pleine révolution quant à ses technologies et ses usages et qui connaît une concurrence croissante. Elle va ainsi être frappée par trois disruptions (transformations irréversibles) :
1 « technologique, expliquait Luc Chatel, président de la Plateforme automobile (PFA), car les constructeurs vont devoir à nouveau innover, par exemple, dans la pile à hydrogène, pour lutter dans le cadre du changement climatique, pour baisser les émissions de gaz carbonique » ;
2 « numérique, avec l’arrivée du véhicule connecté, autonome » ;
3 « sociétal, car le rapport à la voiture va changer et on ne sera plus acheteur d’une voiture mais de prestations de mobilité ».
Ces défis vont devoir être pris en compte, notamment par la France qui est parvenue à accompagner jusqu’ici la croissance mondiale du secteur. En 2019, le marché mondial atteindrait ainsi un record symbolique : 100 millions de véhicules, soit en gros un doublement en vingt ans. Une accélération largement due aux économies émergentes, en particulier la Chine, qui compterait aujourd’hui à elle seule pour un tiers du marché.
La PFA travaille à un consortium sur le véhicule autonome
L’automobile française a particulièrement bien tourné, puisque Renault** est passé en tête des constructeurs mondiaux, quand PSA a racheté un fleuron allemand, Opel. « Les constructeurs tirent l’ensemble de la filière », assurait Luc Chatel, et, pour lui, « ça a été rendu possible grâce à l’innovation ». Dans l’Hexagone, l’automobile est la première en matière de dépôt de brevets, avec trois marques dans le Top 5 : Valéo en pole position devant PSA, et Renault au cinquième rang derrière Safran et le CEA. En particulier, cette innovation a déjà permis de réduire de 50 % en 25 ans les émissions de CO2 des véhicules neufs.
C’est pour répondre aux grands défis et à la concurrence mondiale que la profession a décidé de se structurer autour de thèmes :
1 la recherche collaborative – la PFA travaille ainsi à la constitution d’un consortium sur le véhicule autonome, « de façon à l’expérimenter vite », a indiqué le président de la PFA ;
2 l’amélioration de la compétitivité. Avec Bpifrance, « nous allons développer des programmes d’accélérateurs », a annoncé l’ancien ministre de l’Éducation nationale (juin 2009-mai 2012) ;
3 l’humain, car sont concernés 500 000 emplois directs.
« Nous constituons une tête de réseau. Les actionnaires de la plateforme sont les grands constructeurs, les grands équipementiers, les grandes fédérations », expliquait Luc Chatel, en réponse à une question du Moci sur le modèle de structuration de la filière. Selon lui, la volonté de ces acteurs de travailler sur les quelques thèmes cités montrent que la filière est prête à « mutualiser ses ressources » au moment où des perturbations s’annoncent sur le marché international.
La France accroît moins ses exportations que ses voisins
Même si France Industrie a salué le rebond de l’industrie française en 2017 dans le sillage de la reprise mondiale, la question de la compétitivité est souvent revenue dans les discours comme un motif d’inquiétude. Elle « reste pour l’essentiel devant nous », déplorait Philippe Varin. Parmi les « bonnes nouvelles », selon lui, figurent, néanmoins, la baisse prochaine de l’impôt sur les sociétés et le taux unique d’impositions sur les revenus mobiliers (flat tax), et encore le Crédit impôt-compétitivité-emploi (Cice), auquel vont se substituer des allègements de charges sociales en faveur des employeurs.
Pour autant, il faudrait faire encore plus. Par exemple, si la France a accru de façon « très nette » ses exportations – lesquelles ont dépassé la barre des 470 milliards en 2017 – elle « fait toujours moins bien que ses partenaires européens », a indiqué Denis Ferrand, directeur général du cabinet COE-Rexecode.
De même, les prélèvements obligatoires sont quatre fois supérieurs à la moyenne européenne, les taux de marge seraient de « trois points inférieures aux marges allemandes » et le commerce extérieur serait « abyssal à 63 milliards d’euros », a énuméré Philippe Varin.
250 taxes, soit 80 milliards d’euros
France Industrie a renouvelé ses principales demandes : réduction taxes locales pesant sur la production et des charges sociales sur les salaires médians (au-dessus du seuil de 2,5 fois le Smic). « Il faut faire porter l’effort sur les salaires intermédiaires », a exhorté Pierre-André de Chalendar, P-dg de Saint-Gobain et coprésident de La Fabrique de l’Industrie.
Au total, l’industrie française serait soumise à 250 taxes, ce qui représenterait un coût global de « 80 milliards d’euros pénalisant les entreprises exposées à la concurrence internationale », a dénoncé Yves Dubief, à la tête du tisseur vosgien Tenthorey et de l’Union des industries textiles (UIT). Le président de l’UIT a ainsi annoncé que « des propositions opérationnelles » seraient déposées le 28 mai, sur la base notamment d’un benchmark avec l’Allemagne, l’Italie et la Belgique. L’objectif étant de dessiner « une trajectoire systématique de ces prélèvements sur quatre ans ».
François Pargny
* Salon : Global Industrie veut être un “Hannover Messe” à la française
** Renault / Automobile : le groupe français accélère encore à l’international
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui :
États-Unis / Commerce : forces et limites de la politique de D. Trump
Et aussi :
–Conjoncture / Export : les ETI naviguent entre optimisme et crainte du protectionnisme
-Agroalimentaire / Export : l’industrie alimentaire trouve son salut sur les marchés étrangers
-Agroalimentaire / Export : ce qu’il faut savoir de la stratégie de soutien à l’export de la filière
-Lait / Export : les atouts d’une industrie très compétitive
-Spécial commerce extérieur : l’État veut aussi simplifier le millefeuille des filières sectorielles
– France / Industrie : les mots clés de la nouvelle politique industrielle
– CNI : le programme “notre ambition pour l’industrie