La France et la Grèce sont en passe de renforcer leur partenariat politique économique. Telle était la double ambition du chef du gouvernement grec, Kyriakos Mitsotakis, en visite à Paris, les 29 et 30 janvier. Après avoir été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron, le Premier ministre de droite (Nouvelle Démocratie), successeur d’Aléxis Tsípras le 8 juillet dernier, a pu se montrer satisfait.
D’abord, parce que ce nouveau déplacement en France, après celui d’août dernier, a été ponctué par la mise en place d’un partenariat diplomatique et militaire. Paris a tenu à afficher son soutien à la Grèce alors que s’intensifient les tensions dans les eaux méditerranéennes. Sur fonds d’exploitation d’hydrocarbures dans le bassin levantin, Athènes dénonce l’intrusion de la Turquie dans ses eaux territoriales.
Ensuite, une déclaration commune pour renforcer les relations économiques a été signée par le ministre des Finances, Chrístos Staïkoúras, le ministre français de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, et le ministre grec du Développement et des investissements, Spyrídon-Ádonis Georgiádis (de gauche à droite sur la photo), à l’occasion d’un forum économique, organisé le 29 janvier par la CCI France Grèce et la CCI Paris Ile-de-France.
Naval Group en lice pour livrer deux frégates
Pour Paris comme pour Athènes, les volets politique et économique de ce partenariat sont d’autant plus liés que la Marine grecque s’apprête à renforcer sa flotte. Le champion français, Naval Group lui a déjà proposé deux frégates de défense et d’intervention (FDI). Une lettre d’intention pour deux FDI Belh@rra a ainsi été signée en octobre dernier.
Mais rien n’est joué. Soutenu par son gouvernement, l’américain Lockheed Martin fait le forcing pour que les Grecs préfèrent à l’offre française quatre de ses produits, des frégates Multi-Mission Surface Combatant (MMSC).
Côté français, on fait valoir l’interopérabilité qu’il y aurait entre les deux flottes européennes en raison de relations anciennes entre la Marine grecque et Naval Group. En outre, un échec à Paris serait mal vécu et aurait un coût politique pour Athènes, alors que la France a toujours soutenu la Grèce depuis les débuts de la crise économique en 2008.
Dans la pratique, la Grèce peut encore compter sur la bienveillance du président français. Lors du forum économique de Paris, le P-dg de Naval Group, Hervé Guillou, également président du Comité stratégique de filière (CSF) des industries navales et maritimes et du Groupement des industries et construction navales (Gican), a été on ne peut plus clair, alors qu’une demi-douzaine de ministres grecs et une kyrielle de grandes entreprises françaises participaient ou assistaient au forum de Paris (Alstom, Vinci, Thales, EDF, Suez, Société générale, Véolia, Airbus, Total, Engie, Valorem…).
Un partenariat au nom de la défense européenne
Hervé Guillou a affirmé ainsi qu’il en allait « de la souveraineté de la Grèce, alors que «l’environnement n’est pas si sûr que cela à une extrémité de l’Europe » et, plus encore, de l’avenir de l’industrie de la défense européenne. Dans le domaine maritime, a-t-il rappelé, elle est « trop dispersée » face à une concurrence, qui, elle, est regroupée. L’Europe disposerait ainsi de 13 ou 14 constructeurs, mais chacun serait deux ou trois fois plus petit que les concurrents russes et américains.
De son côté, le Gican va conclure un accord de partenariat avec son homologue grec dans l’idée de créer une filière en Grèce, « comme nous le faisons en ce moment en Australie, en profitant de la vente de sous-marins à la Marine de ce pays », a précisé Hervé Guillou.
Le constructeur français aurait déjà choisi des fournisseurs grecs et s’apprêterait à en enregistrer d’autres pour exporter éventuellement les FDI. Il doit investir sur place 300 millions d’euros dans de la haute technologie, notamment les data centers. Les FDI Belh@rra « sont 100 % digital, avec des data centers pour six à sept générations », argumentait encore Hervé Guillou en présence des ministres grecs.
La Chine, développeur du Port du Pirée
Lors du forum de Paris, les échanges d’amabilité n’ont pas manqué entre les partenaires de la zone euro. Les ministres grecs ont souvent fait allusion aux liens d’amitié entre leur pays et la France. Bruno Le Maire également, qui a rendu un hommage groupé aux autorités grecques, à Kyriakos Mitsotakis, à Aléxis Tsípras et au peuple grec « pour leur courage ».
Reste que la France doit faire mieux sur le plan économique. Si, selon Laurent Thuillier, qui préside CCI France Grèce, « les entreprises françaises sont restées fidèles à la Grèce pendant les années de crise », elles n’y seraient globalement « que le cinquième investisseur » avec un stock évalué à 1,5 milliard d’euros. « La France devrait se trouver dans le Top 3 », a relevé Jean-Paul Agon, P-dg de L’Oréal et président du Conseil d’entreprise France Balkans de Medef International.
Il est souvent question en France de l’entrée fracassante de la Chine et de l’arrivée du groupe Cosco aux commandes du port du Pirée. A cet égard, Costas Hadzidakis, le ministre grec de l’Environnement et de l’énergie, a rappelé que la Chine n’avait pas hésité à investir dans son pays pendant la crise. « La France n’a pas investi », relevait-il, en soulignant que les liens d’amitié naturels ne suffisent pas.
Spyrídon-Ádonis Georgiádis a expliqué ainsi que Cosco avait fait du Port du Pirée le port numéro un de la Méditerranée et l’un des dix premiers au monde. Grâce à de nouveaux investissements, a-t-il assuré, il pourrait même se hisser « de la troisième à la première place en Europe dans cinq ans ». Le ministre du Développement et des investissements s’est ainsi félicité ainsi du choix stratégique de son pays.
La France, 7e fournisseur de marchandises
Aujourd’hui, la France est le septième pays d’importation de la Grèce et la Chine le cinquième. De façon plus détaillée, la France, avec une part de marché de 4,3 % fin novembre 2019, était devancée par l’Allemagne, l’Irak, l’Italie, la Russie, la Chine et les Pays-Bas, d’après la base de données GTA (groupe IHS Markit).
Au cours des onze premiers mois de 2019, elle a ainsi livré pour quelque 2,2 milliards d’euros de biens, notamment des médicaments, de la viande, des véhicules, des parfums et des combustibles (+ 306 % par rapport à la période correspondante de 2018). La France dispose aussi « de 120 filiales, qui emploient 13 000 personnes et avec un chiffre d’affaires de 3,7 milliards d’euros en Grèce », selon Jean-Paul Agon.
Malgré la bonne entente affichée à Paris par le Premier ministre grec et le président français, la déclaration économique commune, certes très ambitieuse, demeure très générale : accroître la coopération économique, les investissements français en Grèce et vice-versa, renforcer la coopération technique dans les secteurs stratégiques, dans le climat et l’environnement, le tourisme.
« Mon pays est revenu à la normalité », a insisté Chrístos Staïkoúras, en rappelant les bons chiffres de la croissance économique : plus de 2 % l’an dernier et 2,8 % attendus en 2020. A Paris, les mots de « normalité » et « renaissance » sont souvent revenus dans la bouche des orateurs pour louer les efforts et la continuité de la politique économique du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis.
Économie libérale et stabilité politique
Le Premier ministre conservateur entend mener une politique économique d’inspiration libérale, favorable notamment à l’investissement étranger, en réduisant l’impôt sur le revenu des entreprises et les dividendes, en s’attaquant à la bureaucratie et en menant privatisations.
Aux investisseurs français de saisir les opportunités, n’ont pas manqué de souligner les responsables grecs. D’autant que « la Grèce dispose aujourd’hui d’une stabilité politique qui nous permet d’avoir une vision tranquille pour les trois ans et demi à venir », a observé Christophe Pélissié du Rausas, directeur du Développement de Vinci.
Très présent dans la défense et l’espace, Thales investit également 50 millions d’euros pour aider le gouvernement hellénique à doter les citoyens grecs d’une version mobile de leurs papiers d’identité. « Nous allons participer à la transformation digitale de l’Administration », s’est félicité ainsi Henri Multon, sont vice-président exécutif Europe et opérations internationales.
La Grèce se modernise ainsi à grands pas. Aux entreprises françaises de l’accompagner.
François Pargny