C’est une question récurrente qui se pose : faut-il que la France participe à l’initiative chinoise de la Route de la soie ? Le 9 janvier, lors d’une réunion du Réseau XChine (Cercle des exportateurs français en Chine et des chefs d’entreprises chinois implantés en France), Jean-Pierre Raffarin, représentant spécial de la France pour la Chine, engageait les entreprises françaises, y compris les PME, à s’y intéresser.
Pour l’ancien Premier ministre, il vaut mieux être « dedans que dehors ». Toutefois, pour l’heure, on serait loin du compte. Non seulement le secteur privé tricolore est peu associé à ce grand projet lancé en 2013 par le président Xi Jinping, mais l’État français est lui-même très prudent, comme le soutiennent les experts du Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans « La France face aux Nouvelles routes de la soie chinoises » (voir fichier joint), ouvrage collectif paru en octobre 2018 sous la direction d’Alice Ekman, responsable des activités Chine à l’Ifri.
B&R, un caractère « hégémonique », selon E. Macron
Présentée le 17 janvier, à l’occasion du 40e anniversaire de l’Ifri, l’étude montre à quel point les « Nouvelles routes de la soie de la Chine » (ou « Une ceinture, une route », « Ceinture et route », « Belt and Road Initiative » en anglais – désigné « B&R » dans cette étude) ont pris de l’ampleur.
« D’un projet vers l’Europe et concernant des infrastructures essentiellement, on est passé à une initiative impliquant 130 pays et institutions selon les déclarations officielles, et toute une série de secteurs (transports, énergie, télécommunications, finance, tourisme, culture…) et de projets immatériels (coopération juridique, douanière, policière, universitaire…) », a expliqué Alice Ekman, entourée des auteurs de l’étude.
Il y a quelques mois, lors de la conférence des ambassadeurs d’août 2018, Emmanuel Macron déclarait que l’initiative de son homologue revêtait une « vision de mondialisation » à caractère « hégémonique ». Si la France a remis à la Chine un série de projets (restés confidentiels) pouvant être labellisés B&R, il faut souligner que Paris n’a signé aucun mémorandum avec Pékin, pas plus apporté un soutien officiel à une initiative pour laquelle le président français avait demandé « une réciprocité », lors de sa visite d’État de janvier 2018.
Peu de projets français
Selon Emmanuel Macron, B&R ne doit pas profiter uniquement à la Chine, mais aussi à la France et ses entreprises. Or, s’agissant du secteur privé de l’Hexagone, les grands projets sont rares, en dehors de l’exploitation par le français Total, le russe Novatek et le chinois CNPC du gisement Tambey Sud, au nord-est de la péninsule russe de Yamal, visant à servir les marchés européens et asiatiques en gaz, via l’Arctique.
En ce qui concerne de plus petites structures, ce sont surtout des consultants et des avocats qui s’intéressent au B&R, pointent les experts de l’Ifri dans l’étude. Il y aussi des projets émanant des ports de Marseille et du groupement Haropa (Le Havre, Rouen, Paris). Quant aux flux commerciaux, la ligne de fret entre Duisbourg et Lyon a été réactivée dans un premier temps, et aujourd’hui, c’est l’axe entre Wuhan, où nombre d’entreprises françaises sont implantées, et Lyon qui commence à se développer.
La France, un dialogue avec l’Inde et l’Australie
Les Routes de la Soie sont un grand jeu de stratégie. Paris privilégie une réponse européenne. A cet égard, si la Commission européenne est sur la même ligne – n’ayant signé ni mémorandum ni apporté son soutien au B&R – certains États membres affichent clairement leur soutien au grand dessein chinois, comme la Hongrie, la Grèce, la République tchèque et la Roumanie – laquelle assure la présidente tournante de l’Union européenne depuis le 1er janvier.
Parallèlement, la France semble jouer « un axe indopacifique ». Ce qui se traduit par un dialogue trilatéral avec l’Australie et l’Inde. A Canberra, Paris a livré des sous-marins, à New Delhi, des Rafale. L’Inde, grand rival de la Chine en Asie, s’inquiète d’un projet visant à l’isoler dans la région, alors que Pékin y dispose déjà de facilités navales, via des alliances avec des pays riverains de l’océan Indien (Birmanie, Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka).
Deux pays sont susceptibles de s’associer à l’axe indopacifique : le Japon et Singapour. S’agissant de B&R, « Singapour observe. Il a beaucoup à perdre, car la pérennité d’être le hub régional ne serait pas assurée », selon Sophie Boisseau du Rocher, chercheur associé au centre Asie de l’Ifri.
Les Routes de la soie, une « action prédatrice », selon J. Bolton
S’agissant du Japon, lors d’un Sommet Japon-Afrique d’août 2016, Tokyo avait présenté sa « Stratégie pour un espace indopacifique libre et ouvert », une vision « libérale de la coopération régionale, alternative au B&R », soulignait Cécile Pajon, spécialiste du Japon à l’Ifri.
New Delhi s’était rallié à cette vision, notamment pour développer une initiative de croissance Asie-Afrique. Les États-Unis on rejoint le Japon et l’Inde en novembre 2017.
Si la France n’a pas officiellement renoncé à participer au B&R, les États-Unis y sont fermement opposés. Ainsi, John Bolton, conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche, a qualifié les Routes de la soie « d’action prédatrice ». Il a également fustigé la « stratégie de la dette » et « le piège de la dette » par la Chine. La guerre pour la domination économique entre Washington et Pékin ne fait que commencer.
François Pargny