C’est avec beaucoup de circonspection, voire de prudence, que les représentants du monde politique et économique présents au 4e Forum économique France-Brésil, le 21 novembre au siège du Medef à Paris, ont abordé – quand ils l’ont fait – l’accord que l’Union européenne (UE) négocie avec le Marché commun du sud (en espagnol, Mercosur / Mercado Comun del Sur ). Pour autant, le sujet n’aura été évoqué, côté français, que par Matthias Fekl, le secrétaire d’État français au Commerce extérieur, alors que plusieurs dirigeants politiques et économiques brésiliens ont appelé de leurs vœux un compromis entre les deux rives de l’Atlantique.
« Nous sommes vraiment déterminés à avancer avec nos partenaires argentins, uruguayens et paraguayens », a ainsi assuré le ministre brésilien de l’Industrie, du commerce extérieur et des services, Marcos Pereira. Le président de la Confédération nationale de l’industrie du Brésil (CNI), Robson Braga de Andrade, a également jugé « très important d’améliorer la fluidité du commerce », tout en rappelant que ce qui était en cause n’était « pas seulement le commerce, mais aussi les investissements actuels et futurs ». Il a ainsi appelé à dépasser « les positions délicates et les questions sensibles ».
M. Fekl veut une révision du mandat de négociation de la Commission européenne
Pour le secrétaire d’État français au Commerce extérieur, il y a plusieurs secteurs « sensibles : textile, services, agriculture, agroalimentaire, notamment viande ». Et comme le mandat de négociation accordé à la Commission européenne est aujourd’hui « ancien », il devrait être revu, car « la situation du Brésil n’est plus la même aujourd’hui ». « Nous sommes pour un accord mutuellement bénéfique » et « pour plus d’investissements brésiliens en France », a-t-il ajouté.
De son côté, Marcos Pereira pense que c’est « le moment propice » pour avancer. La fin des tarifs douaniers dans le Mercosur permettrait à l’UE d’économiser « 4,5 milliards d’euros » et le Brésil « veut être plus intégré », ses exportations dans le monde (191 milliards de dollars) ne représentant que « 10,8 % de son produit intérieur brut (PIB) », alors que, d’après la Banque mondiale, « la moyenne mondiale est de 25 % ».
Pour Roberto Jaguaribe, qui préside l’Agence brésilienne de promotion des exportations et des investissements du Brésil (ApexBrasil), les Européens doivent profiter du fait que si « l’Amérique latine est dans son ensemble attirée par les États-Unis », « le sud de l’Amérique latine a une vocation européenne ». Encore faut-il que l’Union européenne, notamment dans l’agroalimentaire, ait une « vision moins conservatrice ».
Il n’est pas certain que ce soit à Paris que le Brésil trouve l’appui le plus fort pour cet accord. A Bruxelles, en revanche, la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, a clairement affiché sa volonté d’aller de l’avant, malgré les réticences sur le volet agricole. Les ambitions de l’UE comme du Mercosur sont tout aussi fortes que pour l’Accord économique et commercial global (en anglais, Comprehensive Economic and Trade Agreement/Ceta), conclu par l’Union européenne avec le Canada, puisque l’objectif est non seulement un volet commercial complet, mais aussi l’ouverture aux services, des marchés publics, l’amélioration des règles de propriété intellectuelle, les douanes ou encore les entraves techniques au commerce.
Toutefois, les deux parties, qui ont commencé leurs négociations en 2000, les ont interrompues, faute de s’entendre, entre 2004 et 2010, et ce n’est que le 11 mai dernier que la Commission européenne a déposé de nouvelles propositions (*). Principal point de blocage côté européen, l’agriculture, notamment la viande bovine. Mais aussi les biocarburants, dont le Brésil est le premier exportateur mondial (**). Les Européens dénonçant, pour leur part, le protectionnisme de leurs partenaires sud-américains.
Quel avenir pour le libre-échange avec Donald Trump
En définitive, à Paris, des deux côtés, on a s’est efforcé de ne pas froisser ses vis-à-vis. Dans un Sommet qui visait à renforcer les liens économiques entre la France et le Brésil, on a évité de trop approfondir l’accord de libre-échange (ALE) en discussion, alors que la reprise des discussions entre l’UE et le Mercosur est aujourd’hui contrainte par une actualité pesante. En effet, après la catastrophe évitée de justesse par l’UE s’agissant de la signature du Ceta (***), l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche fait peser une épée de Damoclès sur le libre-échange.
Le successeur de Barack Obama, pendant la campagne à la présidence des États-Unis, a marqué son opposition aux ALE, comme le Traité trans-pacifique (en anglais, Trans-Pacific Partnership/TPP) et le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (en anglais, Transatlantic Trade and Investment Partnership/TTIP) avec l’Union européenne. Le nouveau round de discussions entre Européens et Sud-Américains s’annonce ainsi incertain. Les négociateurs se réuniront en mars prochain.
François Pargny
* UE / Mercosur : les premières offres tarifaires excluent la viande bovine et l’éthanol
** UE / Mercosur : l’offre européenne de libre-échange rejetée par le bloc sud-américain
*** UE / Canada : après l’accord sur le CETA, le chemin vers la ratification reste semé d’embûches
Pour prolonger :
–France / Brésil : M. Peireira promet aux entreprises françaises de s’attaquer à la bureaucratie
– UE / Amérique latine : l’Équateur rejoint le traité commercial UE – Pays andins
– Chine / France : la réciprocité, sujet explosif évoqué avec diplomatie lors du dialogue économique bilatéral