Dans un environnement mondial risqué, les entreprises n’ont d’autre choix que de s’adapter, et vite. Le commerce international continue à croître, la France en profite depuis le début de l’année, mais cette progression va être freinée.
Le protectionnisme donne « des sueurs froides à tout le monde », a expliqué Stéphane Colliac, économiste Senior pour la France chez Euler Hermes, à l’occasion du 10e Forum du Moci « Risques et opportunités à l’international », qui a accueilli 300 dirigeants d’entreprises, représentants de l’écosystème du commerce extérieur et de la sphère économique, le 28 juin à Paris.
Stéphane Colliac faisait notamment référence au conflit commercial entre la Chine et les États-Unis, dont on craint toujours qu’il empire malgré la trêve décrétée par les deux présidents, Xi Jinping et Donald Trump, le 29 juin, en marge du G 20 à Osaka (Japon).
UE : ouverture commerciale confirmée avec le Vietnam et le Mercosur
A contre-courant de la Maison Blanche, la Commission européenne au nom des Vingt-Huit mène une politique d’ouverture internationale, qui doit être favorable aux PME. L’Union européenne (UE) a déjà conclu des accords commerciaux avec 72 pays. « Ils représentent un tiers des échanges mondiaux », s’est félicité Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne en France et en Belgique sur les questions commerciales, lors de la table ronde d’ouverture du forum sur « la stratégie des PME face à la montée des risques politiques à l’export ».
Le 30 juin, deux nouveaux traités avec le Vietnam ont été conclus à Hanoï, à savoir un accord de libre-échange (ALE) et un pacte sur la protection des investissements. Plus symbolique encore a été l’accord intervenu, après 20 ans de discussions, pour un ALE avec les quatre pays du Marché commun du sud (Mercosur) : Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay.
F. Lesponne-Bansard : « un travail d’évangélisation » sur les ALE
« Tous ces accords, pour une PME toulousaine, c’est très lointain », a regretté Frédérique Lesponne-Bansard, responsable du Développement international à la Caisse d’Epargne Midi-Pyrénées, pour qui « un travail d’évangélisation est indispensable ».
Par exemple, s’agissant de l’accord avec le Canada ou CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement ; en français, Accord économique et commercial global / AECG), le taux d’utilisation des préférences commerciales par les Européens n’est que de 36 % (50 % en France).
« Pour nos PME, c’est à la fois lointain et immatériel, a complété Pedro Novo, directeur exécutif en charge de l’Export à Bpifrance. Sans nier l’intérêt des accords européens – « ça aide dans une stratégie », a-t-il reconnu volontiers – il a mis en garde sur le fait que « ça ne devait pas définir cette stratégie, car tout produit n’a pas forcément un avenir dans un pays concerné par un accord ».
Néanmoins, les accords commerciaux apportent de multiples avantages, a évoqué Édouard Bourcieu : avec la Corée du Sud, une baisse élevée des tarifs douaniers ; avec le Japon et le Canada, une large ouverture des marchés publics ; avec le Mercosur, des normes sanitaires strictes.
Les résultats seraient probants pour la France, dont les ventes ont augmenté dans le luxe au Canada, en Corée du Sud, au Japon, ainsi que dans les boissons et l’électronique en Corée. Stéphane Colliac a signalé que globalement, « les exportations françaises ont augmenté de + 400 millions d’euros vers le Japon, + 200 millions vers la Corée » et que « le Canada a généré + 130 millions supplémentaires ».
Le risque pour la France d’une Chine moins en forme
Globalement, a remarqué encore l’économiste, « sur janvier-avril 2019, la croissance des exportations françaises a été de près de + 9 milliards d’euros », et « c’est le meilleur départ depuis 2011 », a-t-il précisé. Selon lui, « la baisse de la croissance européenne et le risque politique n’affectent pas des dynamiques telles que celles de l’aéronautique et la chimie » et « le haut de gamme tire son épingle du jeu », avec la joaillerie, la maroquinerie, les parfums et cosmétiques et les vins et spiritueux.
D’ici la fin de l’année, des exportations additionnelles de l’ordre de 14 milliards d’euros sont à attendre : pour les secteurs, machines et équipements (3,9 milliards), en particulier vers l’Asie ; chimie (2,4 milliards), agroalimentaire, électronique, textile, véhicules (entre 1 et 1,6 milliard). Mais, en même temps, les perspectives se dégradent dans l’automobile, la chimie, l’électronique, la métallurgie.
Par pays, les exportations additionnelles de la France seraient réalisées avec la Chine pour un montant de 2,4 milliards d’euros, puis les États-Unis, pour 1,9 milliard, et l’Espagne, pour 1,6 milliard. Or, ce qui peut être un effet du bras de fer avec les États-Unis, l’indice des défaillances en Chine, avec + 20 %, est élevé, ce qui est mauvais pour la France. Les délais de paiement moyens y sont également de 92 jours et peuvent même y atteindre 135 jours dans des cas de retard.
Jusqu’à présent, a exposé Stéphane Colliac, le commerce international a continué sa progression. Si la Chine, en réponse aux sanctions des États-Unis, a aussi relevé ses tarifs pour les biens américains, elle les a, au contraire, diminué avec ses autres partenaires. Édouard Bourcieu a rappelé que la Cnuced (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) avait observé que le principal bénéficiaire du fer croisé entre Washington et Pékin est jusqu’à présent l’UE.
Autre péril pour la France, un Hard Brexit
Pour autant, la croissance du commerce mondial devait maintenant être significativement affectée, tout en restant positive. Le protectionnisme pourrait être renforcé si l’Administration Trump décidait d’appliquer des taxes douanières de 25 % aux véhicules et équipements automobiles européens le 11 décembre, échéance fixée par l’Administration Trump pour parvenir à un accord commercial avec Bruxelles. L’UE riposterait, créant un nouvel engrenage.
Autre menace, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. En cas de Hard Brexit, « une perte de trois milliards d’euros est envisageable à terme pour les exportateurs français, en raison de la mise en œuvre de tarifs douaniers et de la récession britannique générée par le choc », a indiqué l’économiste d’Euler Hermes. L’indice des défaillances va rester élevé outre-manche : + 9 % cette année, après + 12 % en 2018.
Dans ces conditions, le commerce mondial subirait un trou d’air cette année, avec un maigre + 0,6 %, tranchant sur les + 7,8 % de 2018. On assisterait, cependant, à un rebond en 2020, avec + 3,1 %. De quoi respirer un peu.
François Pargny