« On s’attendait à ce que le commerce mondial baisse ou stagne, mais il réaccélère ». C’est par cette bonne nouvelle que Stéphane Colliac, Senior Economist chez Euler Hermes, a ouvert, le 30 juin, le Forum annuel du Moci sur les risques et opportunités à l’international, intitulé, cette année, « protectionnisme et compliance, nouveaux risques majeurs pour les PME et ETI à l’export ? ». « Le commerce mondial reprend de son envol, même si le protectionnisme a augmenté », a précisé l’économiste devant quelque 300 participants réunis à Paris.
De façon concrète, si la croissance mondiale repart, avec + 2,7 % attendus en 2017 et 2018, les exportations de biens et services dans le monde vont durant ces deux années progresser encore plus vite en valeur, de 5,7 % et 5 % exactement. Et cela, malgré les quelque 2 300 mesures protectionnistes prises ces trois dernières années, dont 303 aux États-Unis, ainsi numéro un devant la Russie (169).
Protectionnisme : les promesses pas toujours tenues du candidat Trump
La dimension « mercantiliste, protectionniste, extraterritoriale des États-Unis n’est pas nouvelle », a réagi Corinne Vadcar, analyste spécialiste Commerce international à l’Institut Friedland, ajoutant : « la Chine est perçue comme la plus protectionniste et pourtant ce sont les États-Unis qui le sont». Jusqu’à présent Washington utilisait des barrières non tarifaires, mais, « la nouveauté » depuis l’élection de Donald Trump, est la montée des barrières tarifaires. Bien sûr, « il y avait déjà des pics tarifaires aux États-Unis, en Chine, au Japon, en Inde généralement pour défendre certains secteurs, mais il n’y avait pas, comme le souhaite le chef d’État américain, de droits de douane qui pourraient être appliqués à des secteurs de pays ciblés, comme le Mexique.
Par rapport aux annonces du candidat Trump, Corinne Vadcar différencie trois types de mesures :
- celles mises en place au moins en partie : retrait effectif du TPP (Trans-Pacific Partnership); « reconstruction » de l’Accord de libre-échange nord-américain (plutôt que la « déconstruction » de l’Alena qui a avait été annoncée pendant la campagne du candidat) ; interdiction de délocaliser avec des injections du président aux constructeurs automobiles, accroissement des mesures de défense commerciale, plan commercial de 100 jours et investigations anti-dumping dans certaines sociétés.
- celles qui ne sont pas (encore) en vigueur : exemptions de taxes à l’export ; droits de douane (45 % pour la Chine, 35 % pour le Mexique) ; baisse de l’impôt sur les sociétés de 35 % jusqu’à 15 % ; construction d’un mur avec le Mexique ; sortie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
- Celles qui n’avaient pas été annoncées et pourraient être appliquées : droits de douane sur le bois canadien ; barrières à l’acier et l’aluminium ; relance du TTIP, « mais on n’y croit pas depuis le retrait américain de l’Accord de Paris sur le climat », a lâché Corinne Vadcar.
Selon elle, la sécurité nationale sera sans doute le motif le plus souvent invoqué par l’Oncle Sam pour abattre la carte protectionniste. Le fait que les investigations dans les entreprises aient augmenté dans les entreprises depuis avril semblerait, d’ailleurs, le montrer. « Le danger est donc de passer d’une catégorie de risque modéré à une catégorie de risque élevé, c’est-à-dire à une guerre commerciale avec une réaction de l’Europe ».
Compliance : la loi américaine, force de frappe dans la compétition
La France a réagi, en matière de conformité ou de compliance, avec la loi Sapin II sur la moralisation de la vie économique. Celle-ci est une forme de réponse à la loi américaine sur l’extraterritorialité, qui permet aux autorités de régulations américaines d’imposer des amendes à des entreprises, américaines et étrangères (dès lors qu’elles ont de près ou de loin un lien avec les Etats-Unis), ne respectant pas les règles anti-corruption ou des sanctions (embargo ou autres) décidées par les États-Unis contre certains pays (Iran, Cuba, Soudan…). La loi Sapin II oblige notamment les entreprises de plus de 500 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires à se doter d’un plan de détection de la fraude et de sensibilisation sur la probité.
« Avant la France, d’autres pays -et c’est moins connu-, comme le Brésil, se sont dotés de législations anti-corruption, ce qui paraît on ne peut plus étonnant. C’est l’influence des Etats-Unis, laquelle est très forte, qui se sert de la conformité comme d’un instrument d’impérialisme économique et juridique dans la guerre économique », a estimé Emmanuel Pitron, Senior Vice-President de l’Adit, leader français et européen de l’intelligence stratégique. D’ailleurs, a-t-il pointé, pendant sa campagne électorale, Donald Trump considérait le Foreign Corrupt Pratices Act (FCPA), la loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger, « comme une contrainte ». Or, « je remarque que depuis son élection, il ne ré aborde plus le sujet ».
Voulue par l’ancien gouvernement, la loi Sapin II (du nom du ministre de l’Economie et des finances) a été votée alors que la France n’est pas très bien placée dans les classements mondiaux de la lutte contre la corruption (25e place environ). « Nous sommes très en retard par rapport au FCPA, qui est intégré à une stratégie globale. Peut-être une agence nationale nous permettra de maîtriser la corruption, mais on n’a pas l’expérience et il faut également une réponse européenne », estimait Emmanuel Pitron. Toutefois, pour le dirigeant de l’Adit, « le fait que la Commission européenne ose s’attaquer aux Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) pour l’anti-trust est déjà un bon signe, même si on n’en est pas encore arrivé à la lutte contre la corruption ».
Gains à l’export pour la France : les États-Unis, tout de suite après l’Europe
Cependant, le protectionnisme américain et l’imposition de règles de conformité drastiques par les États-Unis ne signifie pas pour autant que les entreprises françaises doivent fuir ce pays. Bien au contraire, l’économie est plutôt en hausse et les gains pour les sociétés tricolores, selon Euler Hermes, seront réels. Alors que les exportations de biens et services de l’Hexagone devraient augmenter de 5,9 % en valeur cette année, parmi les pays les plus porteurs, se trouve, en deuxième position après l’Allemagne, les États-Unis, avec des gains attendus de + 2,9 milliards et + 2,6 milliards d’euros. L’Espagne se hissant sur le podium avec + 2,5 milliards d’euros. Au total, les gains à l’exportation de biens et services tricolores attendus en 2017 s’élèvera à 29 milliards d’euros.
De même, l’année suivante, les États-Unis seront encore bien placés, avec un gain de 2,6 milliards d’euros, derrière l’Allemagne (+ 4,8 milliards), la Belgique (+ 4,2 milliards) et l’Espagne (3,2 milliards) et devant la Suisse, l’Italie et les Pays-Bas et plus loin encore la Chine et la Russie, malgré les sanctions. En 2018, les ventes mondiales de biens et services de la France devraient ainsi bondir de 6,8 % et les gains, réalisés surtout en Europe, s’élèveraient à + 29 milliards d’euros. Comme en 2017, les biens d’équipement, dont les avions et les trains, avec un gain de + 7,6 milliards d’euros, seraient à la fête. « La bonne nouvelle, soulignait Stéphane Colliac, est le retour de l’agroalimentaire, avec + 5,4 milliards d’euros, après plusieurs années de pertes de parts de marché ». Ce secteur se classera ainsi au deuxième rang par la croissance à l’export, devançant la chimie (+ 4,6 milliards). C’est une bonne nouvelle pour une balance commerciale française, qui a terminé 2016 avec un déficit de plus de 48 milliards d’euros.
François Pargny
Pour prolonger :
Forum Moci 2017 / Risques et opportunités : la Loi Sapin II, une réponse aux normes internationales anti-corruption
Lien vers le storify du Forum sur Twitter : https://storify.com/Le_MOCI/forum-moci-2017