Capital-investissement (private equity en anglais), microcrédit, finance inclusive, partenariats public-privé (PPP), financement participatif (crowdfunding en anglais)… Les modes de financement pour accompagner les transformations économiques du continent africain étaient au cœur des échanges de la troisième table ronde « Financements : quelles solutions innovantes pour accompagner les transformations », du Forum Afrique 2019, organisé le 8 février à Paris par Le Moci en partenariat avec le CIAN (Conseil des investisseurs français en Afrique) et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France.
Le « financement du long terme », un terrain occupé par les acteurs africains
À l’exception notable de Société Générale et, dans une moindre mesure, BNP Paribas, les banques françaises ne sont plus légion en Afrique. Et lorsqu’elles sont présentes, les acteurs africains leur reprochent souvent de ne pas être assez impliquées sur le financement du long terme mais davantage tournées sur les problématiques du financement du commerce international.
Une réalité perçue sur le terrain par le groupe bancaire et financier basé au Gabon BGFIBank. « L’Afrique, aujourd’hui, en particulier l’Afrique subsaharienne, souffre d’une insuffisance de ressources notamment à long terme », a ainsi constaté Francesco De Musso, directeur général de BGFIBank Europe, hub européen du groupe BGFIBank pour ses transactions commerciales et financières.
La transformation du continent dépend essentiellement des financements que le secteur bancaire africain est en mesure d’octroyer. « Il y a une réalité, les banques africaines, aujourd’hui, sont à l’origine du financement des économies [du continent] », a estimé Francesco De Musso. Mais « la durée des financements est un réel sujet et un frein au développement de l’économie africaine ».
Reste que BGFIBank, qui est présent dans dix pays d’Afrique subsaharienne, intervient davantage sur le financement du commerce international que sur le financement de projets sur le long terme. Mais BGFIBank affiche des atouts. Sa connaissance du terrain permet par exemple à la banque gabonaise d’être compétitive sur le coût du crédit documentaire, encore difficile d’accès pour les entreprises africaines. Les banques africaines ont une connaissance du terrain, elles connaissent les portefeuilles de leurs clients, les opportunités et les risques. Dans ce contexte, « elles sont les mieux placées pour pouvoir accompagner le financement de l’économie », a estimé Francesco De Musso.
L’alternative du microcrédit
Pour soutenir des projets d’entreprises à plus long terme, et notamment des PME, des alternatives au financement bancaire se développent de plus en plus. La table ronde en a fourni plusieurs exemples, à commencer par le microcrédit.
Présent dans une dizaine de pays en Afrique et en Chine, le groupe français Baobab propose ainsi aux entreprises du secteur informel – poumon des économies africaines et pépinière d’entrepreneurs– du crédit court/moyen terme et de l’épargne aux particuliers, aux commerçants, aux micro-entreprises et aux PME mal desservis par le système bancaire traditionnel.
« Pour l’instant, nos produits sont essentiellement tournés vers du crédit de 1 à 3 ans », a confié Arnaud Ventura, fondateur et P-dg du groupe Baobab. La moyenne des crédits offerts par Baobab sont d’une durée de 11 mois, avec des montant qui peuvent atteindre 200 000 voire 300 000 euros. Pour se financer, Baobab collecte grâce à ses licences bancaires des dépôts d’épargne. « 60 % de notre financement en Afrique provient des dépôts et 40 % de prêts bancaires de fonds internationaux qui nous financent », a détaillé Arnaud Ventura.
Spécialiste de l’inclusion financière digitale, Baobab propose par ailleurs des solutions numériques et mobiles à ses clients non bancarisés. « L’année dernière, 50 % de nos crédits ont été octroyés via le téléphone mobile », a confirmé Arnaud Ventura.
Le mobile banking : allié ou concurrent ?
Les services de mobile banking sont, à cet égard, un créneau sur lequel se positionnent en masse les opérateurs téléphoniques : à l’instar du Français Orange, par exemple, ces nouveaux concurrents des établissements de crédit traditionnels effectuent des demandes de licence bancaire pour proposer à leurs clients du crédit parfois même de moyen terme sur 5 à 10 ans. Mais pour Arnaud Ventura cette concurrence est positive. Baobab a d’ailleurs signé un partenariat avec Orange pour offrir dans certains pays d’Afrique ses services financiers aux clients de l’opérateur télécoms français.
Les nouvelles solutions de mobile banking proposées par les opérateurs de téléphonie vont « dans l’intérêt du client », juge le fondateur de Baobab. L’objectif, in fine, est d’offrir aux PME un accès aux services financiers, que la solution provienne des opérateurs téléphoniques, des opérateurs de paiement, des opérateurs bancaires ou encore des institutions financières. « Il y a une convergence entre tous les acteurs qui connaissent le client », a soutenu le dirigeant.
Francesco De Musso préfère pour sa part parler de deux marchés « distincts » et donc selon lui non concurrents : D’un côté, le marché du mobile banking investi par les opérateurs de téléphonie mobile, et de l’autre, celui plus traditionnel du global banking, géré par les opérateurs bancaires. « Derrière les banques, il y a quand même un savoir-faire, une connaissance de leur clientèle de particuliers qui permet aujourd’hui d’encadrer et de mieux gérer le risque », a insisté le directeur général de BGFIBank Europe.
Le développement du private equity ou capital-investissement
Pour les projets de développement ou d’investissement à plus long terme, le marché du private equity, ou capital-investissement, monte en puissance lentement mais sûrement.
La société de gestion de fonds de capital-investissement consacrée à l’Afrique AfricInvest, dont le siège est en Tunisie mais qui dispose d’un bureau à Paris depuis qu’elle s’est vue confier la gestion d’un fonds franco-africain, en est un exemple. Elle finance des ETI (entreprises de taille intermédiaire) dans des secteurs clés du développement et gère environ 1,3 milliard d’euros via une dizaine de fonds d’investissement.
Pour Stéphane Collin, président d’AfricInvest Europe, qui intervenait sur cette table ronde, « le private equity joue son rôle » dans la capitalisation du continent. Concrètement, AfricInvest déploie son capital sur des projets « qui justifient, dans leur présentation, du capital à long terme », a relaté Stéphane Collin. Son portefeuille comprend aujourd’hui des sociétés très rentables, « on met de l’equity contre du profit », a résumé Stéphane Collin. Exemple : des écoles privées au Ghana « qui sont fortement rentables », et dont le cashflow dégagé a permis à AfricInvest d’investir dans un troisième campus à Accra.
Mais de manière générale, en Afrique, les sociétés de private equity n’investissent pas assez dans le secteur manufacturier et encore moins dans les projets d’infrastructures de long terme, domaine dans lequel les financements se font majoritairement via le partenariat public-privé (PPP). Pour ces projets, d’autres sources doivent être explorés.
Les PPP pour financer les grands projets d’infrastructure
Le partenariat public-privé (PPP) comme mode de financement des projets de grande ampleur et sur le long terme, traditionnellement assortis de contrat d’exploitation d’une durée de 20, 30 voire 70 ans, est très répandu dans les grandes économies du Continent. « L’Afrique a un énorme besoin d’infrastructures, sans infrastructures, c’est difficile de se développer économiquement donc les PPP apportent beaucoup d’avantages aux États africains », a déclaré Nuno de Ayala Boaventura, associé du cabinet d’avocats Steering Legal, spécialisé sur les PPP.
Outre les grands groupes comme Vinci ou Veolia impliqués dans des gros projets d’infrastructures sur le continent africain, le cabinet Steering Legal appuie également les PME qui hésitent à aller en Afrique. Il y a quelques années, le secteur des télécommunications était porteur, aujourd’hui, les énergies renouvelables –l’éolien et surtout le photovoltaïque–, et les constructions d’infrastructures routières et portuaires ont pris le relais.
Selon cet avocat, le Nigeria, l’Égypte et le Maroc sont très en avance en termes de PPP. « On constate que ce sont les pays qui ont très rapidement intégré dans leur législation nationale le PPP », a commenté Nuno de Ayala Boaventura. À l’inverse, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) essaient pour leur part d’harmoniser les législations de leurs États membres dans ce domaine pour faciliter les investissements. « Le nombre de PPP augmente en Afrique », observe toutefois l’avocat, qui estime que cette formule est perçue par les plus petits pays du Continent comme une facilité de financement.
Le crowdfunding remplacera-t-il les tontines ?
Enfin, s’agissant du crowdfunding ou financement participatif, si ce mode de financement a connu un essor dans les pays occidentaux ces dernières années, il reste minoritaire en Afrique. Mais il pourrait émerger à l’avenir avec le développement des outils numériques.
Pour l’heure, 30 à 50 millions d’euros sont levés annuellement via le crowdfunding. Les plus grosses levées de fonds avoisineraient les 100 ou 150 millions d’euros, a informé Francesco De Musso. Mais selon lui le crowdfunding « reste extrêmement marginal comme phénomène ». Car ce système de financement existe déjà, il s’agit du système des tontines. « L’enjeu maintenant, c’est de voir comment la technologie peut permettre d’augmenter ou d’accroître les montants collectés », a conclu Francesco De Musso.
Venice Affre