« African Touch ». A elle seule, cette expression en dit long sur le chemin parcouru par l’Afrique, continent composé de 54 nations. Au moment où la consommation y progresse et la classe moyenne s’élargit, l’industrialisation de l’Afrique est évoquée comme la tendance de fond du moment non seulement par les économistes et les entrepreneurs étrangers, mais, sans doute plus important, par les Africains eux-mêmes, qui veulent s’approprier et participer au développement de leur pays ou de leur région.
D’où le thème choisi cette année pour l’édition 2017 du Forum Afrique, organisé, le 3 février, par Le Moci en partenariat avec le Cian (Conseil français des investisseurs en Afrique) : « African Touch : de la rente à la création de valeur, les nouvelles opportunités africaines ». Malgré le ralentissement conjoncturel du continent, lié à la baisse des cours des matières premières, notamment le pétrole, plus de 1 000 participants – record d’affluence depuis le 1er forum en 2012 – se sont déplacés au siège parisien de la CCI de région Paris Ile-de-France, partenaire de cette 6e édition, qui marquait la publication du Rapport Afrique 2017 du Cian, coréalisé et édité par Le Moci.
Baromètre Cian : 40 % des dirigeants misent sur une hausse de leur chiffre d’affaires
« Certes, reconnaissait d’emblée le président du Cian, Alexandre Vilgrain, la croissance économique en Afrique subsaharienne n’atteindra pas 2 %. Ce n’est pas génial, mais si on ôte l’Afrique du Sud, l’Angola et le Nigeria qui représentent 60 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique, alors la croissance varie entre 5 et 6 % ». D’ailleurs, l’image de l’Afrique demeure généralement positive, si l’on se réfère au baromètre des entreprises présenté dans le Rapport Afrique 2017.
Pour cette édition du Rapport Afrique, plus de 500 dirigeants de 34 pays ont été interrogés par le Cian entre mai et octobre 2016. Et, sur ce total, 40 % ont répondu que leur chiffre d’affaires allait augmenter, les deux tiers ont estimé que leurs résultats seraient en équilibre ou bénéficiaires et 16 pays ont reçu une note supérieure à la moyenne de 2,5 sur 5 pour leur climat d’affaires, dont « la totalité de l’Afrique du Nord, sauf la Mauritanie », a précisé Sandrine Sorieul, directrice du Cian. Le Maroc est arrivé ainsi en tête avec 3,8, devant Maurice, avec 3,7, et l’Afrique du Sud et l’Algérie, avec 2,9.
T. Apoteker : l’investissement est « insuffisant », bien que « substantiel »
En matière d’investissement, en particulier, le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Le verre, en fait, « s’est rempli, mais pas assez par rapport aux autres régions du monde », a répondu Thierry Apoteker, président de la société d’analyse économique indépendante Tac Economics.
De façon concrète, a-t-il détaillé, il y a eu un « effort d’investissement substantiel », puisque le total des investissements, d’après la Banque mondiale, est passé entre 2000 et 2015 d’une centaine de milliards de dollars constants à près de 350 milliards, soit 20 % du PIB africain. « Ce qui est, toutefois, insuffisant », a confirmé l’économiste, selon lequel « il faut dépasser la barre des 25 % pour avoir une croissance durable et même 30 % pour un décollage rapide ». Dans des nations émergentes, comme l’Inde, l’Indonésie et le Pérou, l’investissement aura représenté entre 25 et 35 % du PIB et contribué ainsi à une croissance de 6 %, 7 %, voire 8 % par an pendant une décennie.
Pour autant, on constate, ce qui est très positif, une montée en puissance des investisseurs africains. La Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (Cnuced) a ainsi déterminé qu’en 2015 15 % des investissements hors fusions-acquisitions provenaient d’Afrique. « Ce ne sont donc pas seulement les entreprises internationales, et l’intégration régionale et les infrastructures soutiennent le processus d’industrialisation », a défendu Thierry Apoteker, qui a observé « une ouverture des projets d’infrastructures aux privés, avec des PPP (partenariat public-privé) devenus la clé du rattrapage ». De 15 à 20 milliards de dollars sont ainsi versés dans le développement tous les ans.
L’essor de filières industrielles, nouvelles et anciennes
Troisième idée mise en avant par le président de Tac Economics, le poids croissant des services dans l’industrie mondiale. C’est donc sur l’ensemble du couple industrie-services qu’il faut s’interroger pour décider de la localisation des filières industrielles en Afrique, dont les principales tournent autour de l’urbanisation, les produits décentralisés d’énergie et d’énergie à faible coût, l’eau et l’environnement, la culture, les médias, la communication, qui connaissent par exemple une explosion au Nigeria, l’agro-industrie et l’alimentation.
Nouvelles technologies et filières traditionnelles peuvent cohabiter. Directeur général adjoint groupe et P-dg d’Orange Middle East and Africa, Bruno Mettling a ainsi souligné le rôle du numérique « pour rattraper le retard », avec des utilisations dans la banque, l’énergie, l’agriculture, la santé, l’éducation, le commerce (e-commerce) qui peuvent accélérer les transformations des modèles. Et de citer le cas de 400 000 agriculteurs ou éleveurs maliens qui bénéficient ainsi de conseils sur la météo, d’informations sur la concentration des cheptels ou les prix des matières premières sur les marchés de proximité, « ce qui leur permet d’augmenter leur productivité », s’est réjoui le dirigeant d’Orange.
Pour sa part, Alain Fabre a présenté les nouvelles ambitions de la société dont il administrateur associé, Nouvelle société textile du Sénégal (NSTS), près de Thiès. L’entreprise a été relancée en 2014 avec deux filatures qui ont exporté dans la région. « Nous pouvons aller très vite pour produire dans le tissage dès cette année, également dans la confection de chemises, tee-shirts ou bodies en joint-venture avec un partenaire marocain », a-t-il expliqué. Quelque 33 millions d’euros serait ainsi investis dans le tissage. NSTS devrait encore accroître sa production de fils et réfléchit encore à la réalisation de draps.
Ni la concurrence turque, « qui ramasse du coton de l’autre côté de la frontière en Syrie, malgré Daech, à 50 % de notre coût », ni les habitudes locales surprenantes – « commandes verbales, absence de factures, paiement cash » – ni encore, dans la confection, « la présence de nombreux produits chinois, de la fripe » ne semblent devoir refroidir l’enthousiasme d’Alain Fabre, qui croit notamment à la possibilité de travailler avec de grosses enseignes de distribution en vendant sur le marché régional. « Je pense d’abord à l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine), avec l’avantage des droits de douane », a-t-il précisé.
Le financement et le rôle des fonds d’investissement
Selon Jérémy Hajdenberg, directeur général adjoint Investissement du fonds Investisseurs et Partenaires (I & P), quelques pays africains ont déjà réussi leur insertion internationale. « C’est le cas de l’Éthiopie dans le textile, avec la présence de toute une classe de sous-traitants », a-t-il estimé. Pour les pays enclavés à forte démographie, « il faut s’attendre plutôt, selon lui, à un développement pour le marché local ». « Avec le manque d’infrastructures, l’environnement des affaires imparfait, l’étroitesse des marchés, les entrepreneurs en Afrique sont des héros du quotidien », convenait-il encore. La demande en fonds propres est également importante, de même dans l’accompagnement stratégique et managérial et l’assistance technique.
Le financement est souvent le talon d’Achille. C’est pourquoi le Fonds franco-africain cross border (transfrontalier), le FFA 1, a été lancé lors du dernier Sommet Afrique-France de Bamako. Doté de 77 millions d’euros, il sera géré par Africinvest et soutenu par la banque publique d’investissement Bpifrance. « L’Afrique est sous-capitalisée », concédait Stéphane Colin, senior manager chez Africinvest. Donc, ajoutait-il, « dès que le capital est disponible, il est très productif ».
Au demeurant l’Afrique peut se révéler comme un relais de croissance inespéré. « S’agissant ainsi d’une société espagnole de logistique qui était moribonde, a-t-il dévoilé, nous l’avons aidé à se redéployer ». Aujourd’hui, cette entreprise, qui enregistrait 80 % de son chiffre d’affaires dans son pays et 20 % au Maghreb, « est maintenant à 80 % sur le Maghreb et seulement 20 % en Espagne ».
François Pargny
Pour prolonger :
Lire le dernier Rapport Afrique 2017. pour se le procurer, cliquez sur : Rapport CIAN 2017 : Les entreprises françaises & l’Afrique