Depuis la signature, le 31 octobre, de l’Accord économique et commercial global (AECG / CETA en anglais), le processus de ratification est engagé au Canada et dans l’Union européenne (en ce qui concerne l’UE, auprès du Parlement européen et des parlements nationaux). Après avoir présenté dans ses deux précédentes éditions les raisons et les grands principes de cet accord le plus ambitieux du monde* et les bénéfices et les opportunités d’affaires qu’il offre **, la Lettre confidentielle propose ce troisième focus sur la politique commerciale de l’UE en Asie. En effet, l’accord de libre-échange signé en 2011 avec la Corée du Sud est souvent mis en avant par Bruxelles pour justifier le traité conclu avec Ottawa, et l’UE reste offensive dans la principale zone émergente qu’est l’Asie.
La Commission européenne a dû s’employer ces derniers mois à convaincre de la justesse de ses positions : en l’occurrence, maintenir un dialogue, même difficile, avec les Etats-Unis dans les pourparlers concernant le TTIP (Transatlantic Trade an Investment Partnership), et sauver l’Accord économique et commercial global (AECG, CETA en anglais) avec le Canada, qui doit, cependant, encore être ratifié par le Parlement européen et les parlements nationaux, en principe au courant du premier semestre.
Critiquée pour son manque de transparence, le cas échéant, de clairvoyance et son libéralisme à outrance, l’exécutif dirigé par Jean-Claude Juncker met régulièrement en avant les avantages retirés du premier accord de libre-échange (ALE) finalisé en 2011 en Asie avec la Corée du Sud pour illustrer les bénéfices que l’UE pourrait tirer de l’AECG.
A cet égard, selon Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne en France pour les questions commerciales qui présentait l’AECG le 13 décembre dernier chez Business France, l’ALE avec la Corée du Sud, entrée en vigueur le 1er juillet 2011, s’est traduit par un bond de 75 % des exportations européennes, « bien au-delà ce que nous espérions, faisait-il observer, et la part de marché de l’UE en cinq ans est passée de 9 à 13 %, pendant que celles du Japon et des États-Unis sont tombées respectivement de 15 à 10 % et de 9,5 % à 9 % ». Seule, en fait, parmi les grands partenaires de la Corée, la Chine se serait maintenue aux alentours de 20 %.
Des témoignages positifs de PME
La différence majeure entre les deux accords est qu’à l’époque, entre Séoul et Bruxelles, il n’était pas question de protection de l’investissement et que ce volet apparaît, de fait, pour la première fois dans l’histoire de la politique commerciale européenne, dans l’AECG avec le Canada. Appliqué depuis juillet 2011, l’ALE entre Séoul et Bruxelles prévoyait la suppression des droits à l’importation sur pratiquement tous les produits (élimination de 98,7 % des droits exprimés en valeur des échanges en cinq ans) et instaurait une libéralisation poussée des échanges dans les services (y compris les télécommunications, les services de protection de l’environnement, le transport maritime, les services financiers et juridiques). Des dispositions qui ressemblent à s’y méprendre aux mesures centrales du volet commercial de l’AECG qui vient d’être signé cinq ans après.
Plusieurs entreprises françaises, au demeurant, surtout quand elles étaient positionnées dans le haut de gamme, n’ont pas manqué de témoigner de leur réussite depuis l’existence de ce traité bilatéral, à l’instar du spécialiste bordelais du textile technique VSO, du fabricant d’extraits de plantes et d’actifs pour les cosmétiques Soniam ou encore l’ancienne startup angevine Evolis, devenue leader mondial des imprimantes de cartes plastiques, qui ont, toutes, bénéficié de l’accès facilité au marché coréen depuis l’accord de 2011. Principaux avantages pour ces PME : la baisse des droits de douane et la simplification des démarches administratives.
De façon plus spécifique, l’ALE a donné l’occasion au domaine viticole Pascal Jolivet, dans la Vallée de la Loire, de lutter à armes égales avec ses concurrents du Chili et des États-Unis, deux pays bénéficiant, pour le premier, d’un accord sans droit de douane à l’entrée des vins chiliens depuis 2003, et pour le second, d’un accord similaire depuis 2011. Pour sa part, la Confiserie du Roy René, numéro un mondial du calisson d’Aix-en-Provence, a décidé en 2016 de coupler une première mission prévue au Japon avec une autre organisée par le ministère de l’Agriculture en Corée du Sud.
Vers la conclusion d’un accord avec le Japon
Le Japon est également, depuis plusieurs années, une cible de la Commission européenne. Mais force est de constater que, démarrées sur des chapeaux de roue, les négociations ont fini par patiner. Tokyo avait mal vécu le fait d’être doublé par Séoul dans l’accès libre au marché automobile européen. Mais Bruxelles ne s’attendait sans doute pas que l’archipel freine en ce qui concerne les marchés publics ferroviaires. L’argument nippon est imparable – le secteur est privatisé – mais, dans la réalité, fait toujours valoir la Commission européenne, le marché reste ouvert aux seules entreprises locales, c’est-à-dire aux anciennes sociétés d’État. Ce point de blocage serait toutefois résolu, la mécanique des pourparlers tournant plutôt autour de l’automobile et l’agriculture***.
Avec le Japon, Édouard Bourcieu s’est déclaré optimiste. « Nous sommes proches de la conclusion », assurait-il chez Business France, en écho aux propos récents du Premier ministre Shinzo Abe, qui, fin décembre, venait d’émettre le souhait que les discussions entre les deux parties aboutissent avant la fin de l’année. Un souhait non exaucé. Pour l’UE, une conclusion heureuse avec l’archipel est particulièrement importante, alors que Donald Trump, qui succèdera officiellement à Barack Obama le 20 janvier, a décidé que les États-Unis ne ratifieraient pas le traité de Partenariat trans-pacifique (plus connu sous son sigle anglais TTP /Trans-Pacific Partnership) déjà signé, provoquant ainsi la fureur rentrée du chef du gouvernement japonais.
Sans commenter la déclaration de Donald Trump, la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, a, toutefois, estimé que ce pouvait être une opportunité pour l’UE de pousser ses pions en Asie.
De fait, Édouard Bourcieu a précisé à la Lettre confidentielle que l’UE avait « déjà signé avec six des douze membres du TTP (Mexique – par ailleurs en cours de modernisation – Chili – qui sera bientôt revisité et modernisé également – Pérou, Canada, Vietnam, Singapour) », mais aussi que des accords étaient « en négociation avec trois autres (États-Unis, Malaisie, Japon, proche de la conclusion) », et enfin que des négociations étaient également « à venir avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ». Seule exception, Brunei, « avec lequel nous n’avons pas de perspective immédiate ». De quoi alimenter un certain optimisme.
L’espoir d’une vraie relance avec l’Inde
Mais outre le Japon, une cible prioritaire de Bruxelles est l’Association des nations de l’Asie du Sud-est (Asean), composée de dix pays : Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Brunei, Vietnam, Laos, Birmanie (Myanmar) et Cambodge. « Les discussions entamées avec l’Asean en 2007 ont été interrompues pour l’instant du fait des difficultés posées par le manque d’intégration dans la zone, a encore confié à la LC Édouard Bourcieu. Pour autant comme nous négocions maintenant en bilatéral au sein de l’Asean et que nous avons réussi à conclure avec deux pays, Singapour et Vietnam, qui ont des niveaux de développement extrêmes au sein de l’Asean, nous estimons maintenant disposer de deux bons modèles pour négocier avec les autres ».
C’est ainsi, selon « que les négociations sont en cours avec la Malaisie, mais aussi avec la Thaïlande – elles sont, cependant, suspendues pour l’instant pour des raisons politiques – et, depuis quelques mois, avec les Philippines et l’Indonésie ».
Les ambitions de la Commission européenne ne s’arrêtent pas à l’Asean, puisque elle a aussi « un projet » avec l’Inde. Aujourd’hui, reconnaissait, toutefois, le fonctionnaire européen, les négociations sont « suspendues » et l’UE cherche à « relancer » les processus avec ce grand pays d’Asie.
Lors du 13e Sommet Union européenne-Inde, à Bruxelles, le 30 mars 2016, les deux parties ont convenu d’un plan d’action 2020 pour guider leur coopération sur les cinq prochaines années en matière d’échanges commerciaux et d’investissement, mais aussi de coopération économique et de politique étrangère et de sécurité. Un accord sur le commerce et l’investissement est ainsi envisagé par l’Inde, dont l’UE est le premier partenaire commercial (13 % du total de ses échanges) et investisseur étranger. Pour autant, les Européens se heurtent à un certain protectionnisme de la part de leurs interlocuteurs, avec notamment des droits de douane élevés dans l’automobile (60 à 120 %) et les vins et spiritueux (jusqu’à 150 %). Autres projets de la Commission européenne, signer avec la Birmanie et la Chine dans le domaine de l’investissement.
Pékin, maître du jeu en Asie
La Chine sera, sans nul doute, le premier bénéficiaire du retrait des États-Unis du TTP, dont elle était exclue. Et il n’est pas certain que le Vieux Continent soit sa priorité, ni même qu’elle lui facilite la tâche. Profitant du séisme provoqué par l’élection de Donald Trump, Pékin va pouvoir mener à son terme sa propre initiative dans la zone, un partenariat économique régional intégral avec l’Inde, l’Australie et l’Asean. Ce traité de libre-échange, baptisé RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership ou Partenariat économique global régional), qui devient prioritaire, vise à doper le commerce dans la zone, sans imposer des règles en matière de libéralisation économique, de normes sociales ou environnementales.
Si ce grand marché était constitué, alors Bruxelles devra négocier avec un partenaire puissant, dominé par la Chine. De son côté, Pékin ajouterait une nouvelle pierre à la fondation de son initiative d’expansion internationale, la Route de la Soie, qui passe inévitablement par des accords multiples (infrastructures, commerce, investissement, logistique…) avec les capitales voisines. La Route de la Soie pourrait n’être pas douce pour les Européens.
François Pargny
* Lire dans la LC du 15/12/2016 : Focus UE / Canada (1) : ce qu’il faut savoir des principes de l’accord de libre-échange “le plus ambitieux du monde
** Lire dans la LC du 22/12/2016 : Focus UE / Canada (2) : les bénéfices de l’accord de libre-échange et de protection des investissements
*** Lire dans la LC du 22/12/2016 : UE / Japon : un accord de principe possible début 2017 sur le dossier du libre-échange
Pour prolonger :
–Japon, Canada : les accords de libre-échange de l’UE très discutés en marge du G7
–UE / Japon : les négociations de libre-échange s’enlisent, le patronat européen s’impatiente
–Inde / UE : le sommet bilatéral marque le dégel des relations bilatérales entre Bruxelles et New Delhi
–Singapour / International : un modèle alliant libre-échange commercial et innovation industrielle, selon l’OMC
–Guide business Vietnam 2015/Guide business Koweït 2015