Coupée du monde par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, la Polynésie française s’attache en priorité à préserver la santé de la population ainsi qu’à l’urgence sociale provoquée par l’arrêt de sa principale ressource propre, le tourisme. Envisager une économie de rebond tenant compte des contraintes et des atouts de l’insularité exige de s’appuyer sur une base solide. Ce socle, un territoire vaste comme l’Europe, devrait être avant tout consolidé par une gestion et une autorité des espaces maritimes, insuffisamment structurées, conditions nécessaires à une croissance partagée et à la préservation des modes de vies des populations.
Sa première ressource propre, le tourisme international porté par une quête de ses eaux translucides et d’une culture océanienne vivante et originale, a été mécaniquement suspendu à la suite des fermetures de frontières et de l’arrêt des vols et des croisières ; la perle de Tahiti, dite noire bien qu’iridescente, comme le thon « qualité sashimi », premier et deuxième produits d’exportations en valeur, ont subi le même choc.
Mais après six ans de croissance positive et supérieure à celle de l’Hexagone, la Polynésie française n’est pas encore en mesure d’estimer l’impact de la crise sanitaire mondiale sur son territoire. L’heure est encore à l’urgence sociale.
Un plan de sauvegarde de 30 milliards XPF
Priorité du gouvernement de la collectivité d’outre-mer avant les volets « Economie » et « Modernisation », le plan « Social et Santé » poursuivi depuis la réélection d’Edouard Fritch en 2018 s’adresse à la part la plus défavorisée de la population, « l’envers de la carte postale » : celles et ceux qui logent dans des conditions précaires, en particulier au fond des vallées de Tahiti, l’île qui regroupe 75 % des 280 000 habitants du Fenua.
La croissance continue du tourisme et son dernier record de fréquentation, lié à l’ouverture du ciel au low-cost et au boom des croisiéristes, soutenait cet effort en employant 18 % des effectifs salariés en 2018, contribuant aussi bien au développement humain qu’au maintien stratégique de l’emploi dans les cinq archipels.
Le plan de sauvegarde de l’économie annoncé le 28 mars, deux semaines après l’annonce d’un « patient zéro » et une semaine après le début du confinement, consacre un tiers de ses 30 milliards XPF (250 millions d’euros)* au soutien à l’emploi et aux minimas sociaux.
Début avril, ce dispositif a été décliné en procédures numérisées afin d’être diffusé dans les 78 îles habitées d’une surface maritime vaste comme l’Europe. Avec ses 5 millions de kilomètres carrés, la Polynésie française compte pour presque 50 % de la Zone économique exclusive (ZEE) nationale et confère ainsi pour moitié à la France son rang de deuxième puissance maritime mondiale.
Contraintes et modernisation d’une économie insulaire
A l’heure forcée de l’économie relocalisée, le pays compte les faiblesses et les atouts de sa nature maritime et insulaire.
L’éloignement, des coûts élevés, des marchés restreints d’un côté ; de l’autre, l’accès aux ressources primaires et un potentiel de développement multisectoriel important, pouvant s’appuyer sur les récents progrès techniques et technologiques. A commencer par la connexion des archipels des Tuamotu et des Marquises au haut-débit depuis fin 2018 par l’Office des postes et des télécommunications en partenariat avec l’Agence française de développement et complétée, en janvier 2020, par la pose du câble sous-marin entre Samoa et Tahiti, qui permet enfin à la Polynésie française d’être reliée au monde par deux réseaux.
Citons encore la montée en productivité, en équipements et en compétences de la pêche hauturière, pratiquée de manière durable : interdisant la senne, n’autorisant la palangre qu’aux seuls Polynésiens, respectant la sanctuarisation des mammifères marins, des requins, des raies et des tortues depuis 2002, le secteur prélève aujourd’hui 8700 tonnes, dont 15% est exporté.
Le grand secteur du tourisme, dont la reprise dépendra essentiellement des facteurs extérieurs, pourra tirer parti d’atouts opérationnels au premier rang desquels sa structuration efficiente.
Sur l’ensemble, la gestion budgétaire et financière du Pays a été approuvée par Moody’s qui lui a attribué la note A3 en 2018, la plus haute jamais obtenue. Cette notation reconnaît aussi les réformes structurelles mises en place dans un secteur privé marqué par la prédominance du tertiaire et des très petites entreprises.
Les plus affaiblies parmi ces dernières pourront bénéficier prochainement du Fonds de solidarité national, auquel s’ajoute le dispositif du Prêt garanti par l’Etat, opéré pour la Fédération bancaire française par Bpifrance dans le Pacifique à hauteur de 60 milliards XPF (250 millions d’euros). Un soutien qui apporte une première réponse significative à la demande officielle, le 17 mars, de l’application des mesures d’urgence économique nationales à la collectivité d’outre-mer.
Condition nécessaire pour amortir la violence du choc économique, la solidarité doit jouer à tous les niveaux, entre tous les acteurs d’une filière. Ainsi le secteur du tourisme a-t-il pris soin de prendre en compte, dans sa gestion de la crise, l’ensemble de ses composantes, depuis l’hôtellerie et la croisière jusqu’aux prestataires d’activités et agents, en passant par les segments particuliers du tourisme nautique et des pensions de famille.
L’objectif d’un développement plus autonome
Si l’après-crise ne remet pas en cause les leviers de l’investissement déployés tant au niveau local que national, notamment à travers une double défiscalisation, la Polynésie française devrait poursuivre son orientation vers un développement plus autonome économiquement et énergétiquement, et simultanément plus résilient au changement climatique et à son impact sur les écosystèmes fragiles des archipels.
Certes, les échelles sont incomparables entre des marchés de services, de biens et de ressources alimentés par un nombre de touristes annuel équivalent à la population dans les meilleures années, et la contraction soudaine sur le seul marché intérieur.
Néanmoins, la stratégie touristique pré-Covid19 raisonnait déjà en termes de résilience, depuis le marketing de destination orienté sur l’échange et la culture jusqu’à la gestion des flux de paquebots en fonction de leur taille. Et rien n’interdit, alors qu’on ne pourrait que spéculer sur la réouverture des frontières, d’évaluer les marges de progression vers la durabilité que vient révéler la crise sanitaire.
Les parts relocalisables de l’économie concernent les filières agricoles, le tourisme de résidents (qui représentait ces dernières années seulement 10 % du secteur) et les projets liés à l’économie circulaire.
Pour ce qui est de l’énergie, le code adopté en juillet 2019 ambitionne 75 % d’énergies renouvelables dans son mix électrique en 2030, objectif déjà soutenu par l’augmentation de la part hydroélectrique.
L’innovation, accompagnée par la French Tech Polynésie et sa dynamique Tech4Islands, qui vise à faire de Tahiti le leader des Smart Islands dans le Pacifique, porte des solutions infotech et biotech axées autant sur l’emploi et les connaissances que sur la limitation de leur empreinte écologique.
La gestion de l’espace maritime, condition d’un développement résilient
Toutefois, aucune stratégie de développement durable, à même d’élever le niveau de vie des populations dans les archipels éloignés de la ZEE, ne pourra se déployer sans l’amélioration, depuis longtemps attendue, du transport maritime interinsulaire et des infrastructures portuaires et nautiques.
Or la Polynésie française, qui a structuré le secteur aérien jusqu’à disposer aujourd’hui de 43 aéroports publics, ne possède toujours qu’un seul véritable port, celui de Papeete.
La part du budget consacré au maritime ne représente que 14 % des dépenses liquidées par la Direction de l’Équipement, avec pour conséquence un manque pénalisant de quais et de marinas, ces dernières pouvant par ailleurs utiliser des technologies de plates-formes flottantes pour limiter leur impact environnemental et bénéficier des dernières applications techniques qui trouveraient dans ces lagons et atolls des écrins à nul autre pareils.
Plus encore, ce développement résilient doit être conçu, élaboré et mis en œuvre sur une base nouvelle. Socle de toute l’économie polynésienne, l’espace maritime de la plus grande ZEE du monde, n’a jamais disposé d’un plan de gestion et de l’intelligence en gestion complémentaire, ni d’autorité portuaire au-delà du seul port de Papeete.
Dès lors, aucun monitoring des espaces et de la ressource n’existe à l’échelle du territoire. Et la surveillance et la sécurité maritimes disposent de moyens humains et matériels trop limités au regard des risques croissants liés à la pêche illégale, au trafic illicite, à la préservation des écosystèmes et aux accidents en mer.
L’organisation de l’espace maritime polynésien, dans un contexte de multiplication des flux et des usages, doit s’appuyer sur davantage de ressources humaines qualifiées et de moyens publics et privés. C’est le sens d’une des revendications majeures du Cluster maritime de Polynésie française à travers son Pacte Bleu, dont les propositions englobent dix-sept secteurs tous interdépendants et liés à la mer.
La mer qui représente, il est toujours bon de le rappeler, avec ses espaces océaniques, lagonaires et côtiers, 99 % de la Polynésie française et qui imprègne, plus que partout ailleurs et depuis toujours, l’esprit, la langue et la vie des Polynésiens.
Anne-Mai Do Chi
* 1 euro = 119,3 Francs CFP (XPF)
Sources : Bilan des 1 an de la Présidence de la Polynésie française – Bilan 2019 Te Vai-ete – Institut de la statistique de Polynésie française 1er tr 2020 – IEOM rapport d’activité 2018 – Baromètre du Cluster maritime de Polynésie française 2019 – Service de l’emploi, de la formation et de l’insertion de Polynésie française