Premiumisation. Bienvenue dans le monde du luxe ! Dans cet univers du haut de gamme, du “paraître” et de la communication, toutes les boissons alcoolisées ne sont pas aussi introduites.
Les spiritueux possèdent une longueur d’avance, à l’image du champion français Pernod Ricard. En 2010, le numéro deux mondial des vins et spiritueux a adopté une nouvelle bouteille, plus élégante, plus moderne, pour sa célèbre boisson anisée Ricard. Tout en gardant son identité, la bouteille de Ricard a été rajeunie, avec une section carrée et des terminaisons rondes.
Pernod Ricard se positionne clairement comme un acteur du luxe. Pour se garantir des marges confortables, le groupe français développe une politique de “premiumisation” ou de marques prestigieuses. Toutes ces marques, à l’instar de Ricard, ont adopté un “look” en adéquation avec ce positionnement haut de gamme.
« Les spiritueux ont été les premiers à récupérer les codes du luxe, notamment pour le décor et la forme des bouteilles », note Mathilde Hébert, responsable marketing du verrier Vérallia/Saint-Gobain Emballage.
À l’heure actuelle, l’usage du cristal est assez couramment utilisé dans le cognac. Ainsi, Rémy Martin propose son très vieux cognac Louis XIII Rare Cask dans une carafe en cristal noir Baccarat, soufflé à la main et décoré à la main. De son côté, la maison Camus propose depuis la fin de l’année 2011 Extra Élégance, un cognac en carafe vendu 300 dollars l’unité. Le producteur charentais a opté pour une forme très épurée. La carafe est carrée et sans étiquette. Seuls les noms de la marque et du producteur figurent sur son col. Les formes des carafes brillent parfois par leur complexité, et des dorures mettent aussi en valeur le produit. Fin 2008, Camus a aussi lancé La Cuvée, une carafe de cristal Baccarat, aux formes recherchées, rehaussée de dorures.
Prix de vente : 3 000 dollars, soit dix fois plus que le cognac Camus Extra Élégance.
Tous ces concepts sont revus régulièrement. Dans le cas de La Cuvée, Camus en a profité pour monter en gamme. La maison cognaçaise sort aussi des éditions limitées, une tendance d’autant plus forte que « le nombre de collectionneurs s’accroît », remarque Pascale Dubos, directrice marketing de Camus. Les prix varient alors entre 3 000 et 4 000 dollars le flacon. La base de la carafe est toujours la même, mais le design du col est modifié. Le contenant est aussi présenté dans un nouveau coffret chaque année, la forme et l’habillage sont encore modifiés. Selon Pascale Dubos, « la beauté, la complexité, le soin apporté au design sont particulièrement importants aux yeux des clients asiatiques, russes, voire américains ».
Les vins ont suivi l’exemple des spiritueux. Certaines bouteilles n’ont plus rien à envier aux flaconnages du parfum. Les habillages sont soignés, la couleur du liquide est plus flatteuse, séduisante, à l’image de certains rosés très pâles du Sud de la France. Cette tendance a suivi l’amélioration constante de la qualité des boissons.
« Notre métier dans le luxe, c’est de parvenir à ce qui est à l’extérieur de la bouteille soit aussi beau que ce qui est à l’intérieur est bon », commente Dominique Garréta, directrice marketing et communication de la Maison de champagne Taittinger. Aujourd’hui, c’est presque devenu un casse-tête pour certains ménages, qui doivent choisir pour leurs amis ou pour eux-mêmes entre un bon vin et un parfum. Le dilemme aurait fait sourire il y a vingt ans.
« Le mode de consommation du vin a changé depuis une dizaine d’années, explique Mathilde Hébert.
La consommation du vin, qui était courante, est devenue occasionnelle. Et comme sa qualité s’est améliorée, le vin a acquis un autre statut. Il doit refléter l’image que l’on veut donner de soi aux autres ».
« Pour qui déjeune au restaurant ou pour qui reçoit à son domicile, le vin est devenu un élément visible de richesse », assure François Matton, producteur dans les Côtes de Provence, avec son frère Jean-Étienne. D’où l’importance de la bouteille. Les deux frères, à la tête de Château Minuty, ont ainsi demandé à des verriers italiens de fabriquer une bouteille spécifique pour leur gamme Tout en Or, déclinée en blanc (Or et Blanc), en rosé (Or et Rosé) et en rouge (Or et Rouge). « Nous sommes entrés dans le luxe avec des produits de marque », se réjouit François Matton.
Rose et Or est composé à 95 % de grenache. « Les raisins sont issus de sélections parcellaires situées sur les vignobles historiques, dont l’âge moyen des vignes est de 25 ans », indique-t-on chez Château Minuty. L’étiquette est élégante et minimaliste – seuls le millésime, les noms de la cuvée et du domaine figurent – ce qui donne une grande transparence au produit. Ce rosé de séduction est particulièrement pâle. « Plus le rosé est clair, plus le consommateur pense que c’est moins alcoolisé. Nous appelons rosé perlé ce vin qui plait au consommateur, notamment la clientèle feminine », explique François Matton.
« Le rosé est dégagé des codes du rouge et du blanc », observe François Millo, directeur général du conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP). Bouteille très haute à col allongé pour le Domaine du Clos des Roses, à Fréjus, ou bouteille cylindrique “Made in Provence” à épaulement plat pour le Domaine Sainte-Lucie, au pied de la montagne Sainte-Victoire, le rosé adopte plus volontiers des formes originales. Même en Champagne, le rosé est de la fête ! « Nous utilisons une bouteille de verre extra-blanc, de façon à susciter un émerveillement qui n’est pas de l’ordre du rationnel », souligne Dominique Garréta. Chez Taittinger, le rosé est « chatoyant, subtil, rafraîchissant. Sa robe est assez soutenue. Et nous pensons qu’il faut montrer sa couleur pour évoquer la façon dont l’on conçoit notre vin », précise sa directrice du marketing et de la communication.
« Dans le vin, l’offre de bouteilles est déjà beaucoup plus variée que par le passé », se félicite Mathilde Hébert. Par ailleurs, le vin comme les spiritueux sont commercialisés plus souvent dans des grands formats. « Un grand flacon, c’est valorisant. C’est aussi la marque de la générosité et du partage. C’est donc un moment sacré. Ensuite, s’ajoute un aspect pratique. Le produit est encore plus visible avec un grand format », détaille Dominique Garréta. Taittinger propose ainsi à la fois bouteilles et magnums. « Le champagne était habitué à la bouteille vert foncé. Depuis deux ans, le rosé a investi dans le verre extra-blanc et, parallèlement, le magnum est entré dans le cœur de gamme, parce qu’il symbolise la convivialité et qu’il est consommé dans les discothèques ou boîtes de nuits », relate Mathilde Hébert. « Pour le rosé, le magnum est synonyme de fête », confirme François Millo.
Avec le jéroboam, ajoute le directeur général du CIVP, « on offre carrément du luxe, car la taille de la bouteille, mais aussi la couleur associée à la lumière étonnent et surprennent ». Une surprise que les propriétaires de Château Minuty ont su mettre à profit avec leur marque Tout en Or. « Tout d’abord, un jéroboam est vendu quatre fois plus cher sur table qu’une simple bouteille, confie François Matton. Ensuite, le prix de notre Rosé et Or n’a rien à voir non plus avec celui de notre autre rosé vendu dans la gamme Prestige. Nous passons pour un jéroboam à 300 euros au lieu de 55 à 70 euros ». Il est vrai aussi que le coût de bouteilles originales, fabriquées souvent en petites séries, est élevé. Pour le réduire, les propriétaires de Château Minuty ont choisi d’acheter en volume. « J’ai prévu de vendre 300 à 400 jéroboams », révèle François Matton. Il en a ainsi commandé 2 200. À ce prix, à boire dans les grandes occasions.
François Pargny