La Commission européenne a présenté le 17 juin un plan d’action qui vise à rendre plus juste la fiscalité des entreprises en Europe et à lutter contre la planification fiscale agressive des multinationales. Cette stratégie répond à « un principe de base: toutes les entreprises, grandes ou petites, locales ou mondiales, doivent payer leur juste part d’impôt là où l’activité économique prend place et là où elles font leurs bénéfices », souligne un communiqué de l’exécutif européen.
Une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) au sein des 28
La principale mesure du paquet est de mettre en place une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) au sein des 28. Cette proposition avait déjà été présentée en 2011, mais faute d’un accord unanime des États membres, le projet était resté lettre morte.
L’idée est la suivante : à défaut de pouvoir harmoniser le taux d’imposition, chasse gardée des Etats membres, la Commission propose aux 28 de s’accorder sur la base de calcul de l’impôt sur les sociétés. En d’autres termes, une société ou un groupe de sociétés éligible ne devrait se conformer qu’à un seul régime au sein de l’UE pour calculer son résultat imposable, plutôt qu’aux différents régimes propres à chacun des Etats membres dans lesquels l’activité est exercée. Le but est de procéder par étapes, pour éviter les blocages, mais de rendre cette assiette commune obligatoire, et non facultative. Un changement majeur par rapport à la proposition de 2011.
Autre inflexion : le report de l’aspect « consolidation » de la mesure, la première phase visant seulement à l’harmonisation des assiettes. Cette deuxième étape donnera la possibilité aux groupes soumis au régime de l’ACCIS de ne remplir qu’une seule déclaration fiscale consolidée pour l’ensemble de leurs activités au sein de l’UE. Les résultats imposables consolidés du groupe seront répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application d’une formule simple permettant à chaque Etat membre d’imposer les bénéfices des sociétés résidentes de cet Etat, au taux d’imposition choisi par celui-ci.
Le paquet fiscal devrait surtout profiter aux petites et moyennes entreprises
La Commission a annoncé qu’elle reviendra avec une proposition révisée sur l’ACCIS dans 18 mois, après une étude d’impact. Un phasage salué par Paris. Michel Sapin, le ministre des Finances, a reconnu que ce qui posait problème dans l’ACCIS était l’aspect ‘consolidation’. « D’abord, vous achetez le terrain, ensuite vous consolidez la maison », avait-il indiqué dans une interview à l’Agence Europe. « Le projet y perd sans doute en ambition, mais il y gagne assurément en probabilité de concrétisation », constate Jean-Pierre Lieb, Associé, Ernst & Young Société d’Avocats, dans un billet publié par le quotidien La Tribune.
Le paquet fiscal devrait surtout profiter aux petites et moyennes entreprises. Selon la Commission, ces dernières subiraient, en moyenne, une charge fiscale 30% supérieure à celles des multinationales qui utilisent leur présence sur plusieurs Etats membres, sur plusieurs continents pour conclure des accords fiscaux au rabais. « Nous ne pouvons plus tolérer que certaines entreprises, souvent les plus prospères, s’affranchissent de leur juste contribution à l’impôt et que certains régimes fiscaux les encouragent dans cette voie » , a déclaré Pierre Moscovici, le commissaire européen en charge du dossier.
L’ACCIS connaître-t-elle le même sort qu’en 2011? Le contexte actuel est certes plus favorable qu’à l’époque dans la mesure où les révélations, notamment de l’enquête « LuxLeaks » – qui a levé le voile sur les avantages fiscaux accordés par le Luxembourg à de grandes entreprises – ont davantage sensibilisé l’opinion publique sur les rouages de l’évasion fiscale au sein de la famille européenne. Contrainte de réagir face à ce scandale, la Commission européenne a repris l’initiative politique. En avançant par étapes, elle espère éviter un nouveau blocage du côté des Etats membres. En changeant sa rhétorique, elle s’assure aussi le soutien d’une grande partie de la société civile. Si en 2011, les avantages de l’ACCIS se résumaient à l’élimination des charges administratives et des incertitudes juridiques, la nouvelle proposition met clairement l’accent sur une fiscalité équitable en condamnant l’évasion et l’optimisation fiscale.
Le projet reste néanmoins une première étape vers un fédéralisme fiscal, un « gros mot » pour les eurosceptiques de plus en plus nombreux au sein des Etats membres du Parlement européen (PE). Le groupe des Conservateurs et réformistes (CRE) au PE, qui compte notamment le parti de David Cameron, a annoncé de but en blanc qu’il ne soutiendrait pas l’ACCIS, même revue et corrigée. « Si l’UE veut se rendre encore plus impopulaire et non compétitive en même temps, l’harmonisation fiscale est le bon chemin à prendre », a déclaré le député européen danois Morten Messerschmidt, au nom du groupe. Or, un seul veto au Conseil suffirait à bloquer le texte. Les questions d’ordre fiscale nécessitant toujours, pour être adoptée, un vote à l’unanimité et non pas à la majorité qualifiée.
Kattalin Landaburu à Bruxelles