La journée annuelle consacrée aux aides financières à l’export, Bercy financements export, a fait salle comble le 8 mars, avec environ 400 professionnels de l’export –entreprises, consultants, banquiers, assureurs et courtier- alors qu’une partie des mesures de la nouvelle « Stratégie pour le commerce extérieur » dévoilées le 23 février par le Premier ministre à Roubaix, devait être abordée dans le détail, en particulier les nouveautés financières et la réforme de l’accompagnement des entreprises, bases d’un arsenal de soutiens publics à l’export rénové et complété de nouveaux instruments.
Thème de la journée : « la conquête de l’international », en référence aux travaux menés sur ce thème par le binôme Richard Yung / Eric Kayser, dans le cadre des consultations pour l’élaboration du volet « international » du PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises)*.
Le sénateur et le chef d’entreprise avaient d’ailleurs été conviés à rappeler leurs principales conclusions au cours d’une table-ronde, de même que les représentants des principaux opérateurs publiques qui mettront en œuvre la nouvelle stratégie gouvernementale (notre photo), dont Nicolas Dufourcq –un habitué de cet événement depuis deux ans- et Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, invités à faire le service après-vente des réformes aux côté de Thomas Courbe, le directeur général adjoint du Trésor et de Marie Lebec, députée et président du nouveau groupe d’étude parlementaire sur « Attractivité de la France – Export – Investissement – Compétitivité ».
Relever le défi de la « compétition entre pays en matière de financements export »
Le message que souhaitait faire passer aux entreprises exportatrices le ministère de l’Economie et des finances : « Bercy est pleinement mobilisé » à leurs côtés, a indiqué Delphine Gény-Stéphan, secrétaire d’Etat au près du ministre de l’Economie et des finances, qui a clôturé la matinée. Et le PACTE, projet cher à Bruno Le Maire, est sa feuille de route de référence, le rôle du Quai d’Orsay ayant été à peine évoqué au cours de la matinée.
La secrétaire d’Etat a notamment insisté sur le fait que les conclusions du binôme Yung / Kayser avaient largement inspiré la stratégie dévoilée par Edouard Philippe deux semaines plus tôt, et que Bercy s’était engagé à renforcer encore une gamme d’outils financiers qui vise à la fois à répondre à de « nouveaux besoins » et à relever le défi de la « compétition entre pays en matière de financements export ».
Une PAC volontariste et plus transparente
Premier élément de l’arsenal, la politique d’assurance-crédit (PAC) reste largement ouverte avec quelques nouveautés qui visent à en améliorer l’attractivité auprès des entreprises. C’est un message d’encouragement aux grands exportateurs de l’industrie. Ainsi, la carte de la PAC, qui donne le degré d’ouverture de cette politique par un jeu de couleur allant du vert (ouvert sans restriction) au rouge (fermée), est-elle de plus en plus verte et jaune (voir le fichier attaché à cet article et le lien plus bas**) .
Alors que la seule fermeture concerne le Venezuela, pays qui traverse une grave crise financière et politique, les conditions d’ouverture ont été assouplies sur 12 pays, avec un nouvel effort sur l’Afrique, dont plusieurs pays ont déjà bénéficié d’assouplissements ces dernières années :
-pays ouverts sans condition (vert sur la carte) : Honduras et Nigeria ;
-pays ouverts sous des conditions moins restrictives ou assouplies (jaune) : Argentine, Biélorussie, Equateur, Ghana, Mongolie, St Christophe-et-Niévès ; Guyana et Jamaïque (ouverts aux seuls acheteurs souverains) ; Timor oriental (ouvert aux seuls acheteurs souverains avec cofinancement multilatéral) ; Gambie (condition neutralisation du risque pays).
Des restrictions ont en revanche été appliquées à 11 pays : Ethiopie, Sri Lanka, Trinidad et Tobago ; Grenade, St Vincent et les Grenadines, Ste Lucie, Zambie; Barbade, Congo et Guinée Equatoriale.
Pour améliorer la transparence sur les capacités disponibles et la manière dont elles seront distribuées, la carte de la PAC, qui est mise en ligne chaque année par le le Trésor, sera désormais plus interactive. En cliquant sur un pays, une entreprise pourra avoir d’entrée plus de détails sur les conditions de prises en garantie d’éventuelles affaires. C’est du moins la promesse faite par Gabriel Cumenge, sous-directeur Financement international des entreprises à la DG Trésor, qui a animé la matinée.
Une hausse des contrats export de PME / ETI
Bon signe : pour 2017, le bilan de PAC, instrument plutôt orienté sur les grands contrats d’exportation civils et militaires de l’industrie, est marqué par une augmentation des encours sur les contrats de PME et ETI, ce qui est plutôt encourageant pour Bercy, qui veut améliorer l’accès à cet outil pour cette catégorie d’entreprise.
Ainsi, les PME / ETI ont représenté 106 des 199 entreprises qui ont bénéficié de cette couverture en 2017, en hausse de 25 %. Elles sont à l’origine d’une bonne partie de la progression en nombre du total des bénéficiaires (+ 32 % sur 2016 où ils étaient 151). Autre tendance positive : les montants garantis ont progressé globalement de 13 % (18, 872 Md EUR), mais ceux des PME / ETI ont fait un bond de 155 %, à 2,184 Md EUR.
Les autres instruments de garantie présente un bilan 2017 également positif, avec des progressions partout, à l’exception notable, toutefois, de l’assurance-prospection, qui serait en « léger recul » sans que des chiffres aient été fournis. Cette érosion, perceptible depuis plusieurs années, est l’une des justifications avancées par Bercy pour la réforme en cours du dispositif (voir plus bas).
Enfin, les promesses de garanties délivrées en 2017, porteuses des contrats de demain, ont plus que triplé (18 Md en 2017 après 5 Md en 2016).
« Guichet unique » et meilleure diffusion des aides
Au-delà des capacités, à l’avenir, les entreprises pourront donc aussi compter sur des opérateurs réorganisés et aux petits soins pour elles.
En ce qui concerne les opérateurs, Bpifrance, avec sa filiale Bpifrance assurance export qui gère toutes les garanties publiques pour le compte de l’Etat depuis janvier 2017, a été confirmée comme « guichet unique » pour l’accès aux aides financières à l’export, avec une volonté d’en améliorer la diffusion auprès des entreprises sans attendre que ces dernières, justement, viennent au « guichet ».
« Le concept de Bpifrance, c’est celui d’une banque nomade » a rappelé à cet égard Nicolas Dufourcq. Bpifrance gère les instruments de financements, dont les prêts de croissance à l’international, les petits crédits export, les financements de créances. La filiale Assurance export gère de son côté l’assurance-crédit et toutes les autres garanties. Avec une plus grandes «vélocité » liée à la proximité des agents et un meilleur maillage du terrain dans les directions régionales de la banque publique, où certaines demandes de garanties (assurance-prospection notamment) pourraient être désormais déposées sans passer par le siège à Paris.
Même logique de simplification dans l’accompagnement, alors que Business France, dans son nouveau positionnement, aux côté des Chambres de commerce, pour animer des « guichets uniques » de l’accompagnement export sous l’autorité des régions. Son objectif : convaincre davantage de TPE et PME à se tourner vers l’export : « Avec Bpifrance, nous sommes les deux faces d’une même médaille » a souligné Christophe Lecourtier.
Plusieurs instruments financiers, qui relèvent de l’aide projet, continueront toutefois à être gérés par les services du Trésor : les prêts concessionnels du Trésor, et, une nouveauté, de nouveaux prêts non concessionnels, qui viendront en appui de grands projets. Les financements Fasep, continuent également à être gérés par le Trésor.
En dehors de cette volonté simplificatrice dans l’organisation, comme promis, l’arsenal des instruments va connaître de nouveaux développements cette année.
Une assurance-prospection « plus simple »
L’assurance-prospection va être profondément réformée. Une nouvelle formule a été testée dans les Hauts de France : elle sera « plus simple » a assuré Nicolas Dufourcq, avec notamment trois rendez-vous administratifs seulement entre l’entreprise et Bpifrance assurance-export sur la durée du contrat (contre une dizaine dans la précédente formule) et le versement immédiat de la moitié du budget garanti si le bénéficiaire le demande. La quotité garantie sera de 65 % du budget total de prospection et l’entreprise devra rembourser 30 % du montant garanti que la prospection réussisse ou échoue.
Ce dernier changement, radical par rapport à la formule précédente (les entreprises ne remboursaient que lorsque leur prospection générait du chiffre d’affaires), est censé responsabiliser les bénéficiaires. Mais il rapproche le système de l’assurance-prospection d’une formule plus classique d’avance remboursable tout en entraînant une baisse du financement public via ce taux minimum de remboursement. Ce qui ne semble pas du goût de tout le monde.
De fait, le point a été relevé lors de Bercy Financements Export par un participant lors d’une séance de questions/réponses : « Un projet qui ne marche pas, on lui met 30 % de plus » a regretté Henri D’Ambrières, un consultant et Conseiller du commerce extérieur (CCE) qui a indiqué parler au nom d’un groupe de travail CCE / Medef. Nicolas Dufourcq n’a pas directement répondu : « notre souci a été de simplifier ; on a des idées de simplification encore plus radicale inspirée de l’innovation » a-t-il indiqué. Ce qui présage que ce n’est qu’un début.
Le Pass’Export, simplificateur de la procédure de part française
Pour les industriels, la principale nouveauté est le Pass’Export. Il s’agit d’une formule qui cible grosses PME et ETI exportatrices et va permettre à une entreprise de nouer un contrat de confiance avec l’administration sur 3 à 5 ans en matière de respect de la part française. Le principe est simple : en échange d’un engagement à respecter un taux de part française moyen sur toute la durée du Pass’Export, l’entreprise pourra solliciter les garanties publiques pour ses contrats export sans avoir à refaire à chaque fois tout le dossier de justification.
La formule est séduisante dans un contexte marqué par le fait que les contrats d’exportation de biens d’équipements ne se décrochent plus sans offrir aux clients une solution de financement alors que parallèlement, le processus de justification de la part française peut être compliqué en ces temps d’internationalisation des chaînes de valeur. Actuellement, le seuil minimum exigé par l’administration française est de 20 %, mais l’examen est au cas par cas dès que l’on n’est plus une PME.
« La DAC (demande d’assurance-crédit) peut être perçue comme un cauchemar par les entreprises : cette simplification est essentielle pour des entreprises comme la nôtre » s’est félicité Alain Le Berre, directeur général délégué du chantier naval breton Piriou, une ETI qui emploie 400 personnes à Concarneau sur un total de 1000 dans le monde. Piriou a été la première entreprise à signer un Pass’Export pour une durée de 4 ans. Selon son dirigeant, en échange d’engagements sur une part française moyenne et une augmentation des fournisseurs français, ainsi que sur un développement de la R&D et de la formation dans ses métiers, Piriou n’aura plus à justifier a priori de cette part française pour chacun de ses contrats : un audit sera fait par l’administration dans 4 ans.
Certains ont regretté, lors de la séance de questions réponse, qu’il ne soit pas mis en place tout simplement un dispositif de labellisation par Bpifrance de toutes les entreprises, en particulier des PME pour lesquelles la procédure part française a déjà été simplifiée. Il s’agirait de réduire les démarches administratives pour toutes les bénéficiaires de ce label. Mais Thomas Courbe, le directeur adjoint du Trésor, a insisté sur l’innovation que représente le Pass’Export, soulignant que « l’on est la première agence de crédit export au monde à mettre en place un tel dispositif ».
Trois nouveaux instruments enrichissent la gamme.
Trois autres instruments devraient, prochainement, venir enrichir la gamme de Bpifrance assurance export, à la fois pour les PME et ETI et pour les grandes entreprises :
-une nouvelle garantie des filiales étrangères, dont l’objectif sera d’accompagner les entreprises exportatrices qui sont contraintes de passer par une filiale locale pour honorer un contrat d’exportation. La couverture d’assurance-crédit sera étendue à la filiale.
-une garantie des financements court terme (moins de 2 ans) qui permettra de fournir une couverture d’assurance-crédit export si le marché privé se retire du pays, comme se fut le cas ponctuellement ces dernières années avec la Grèce (sur des exportations de viande) ou sur l’Egypte et l’Algérie (pour des exportations de céréales). Un traité de réassurance va être signé avec les assureurs-crédits privés de la place dans les prochaines semaines : il permettra de fournir un cadre à cette intervention publique sur une liste déterminée de pays. Cette solution doit être opérationnelle mi-avril.
-une garantie des projets stratégiques, cumulable avec des financements export classiques, qui permettra de soutenir des entreprises françaises engagées sur des grands projets dans des pays étrangers sans contrat d’exportation à la clé. Comme l’a rappelé Thomas Courbe, il s’agit d’une réponse à une demande récurrente de Paris Europlace, la structure qui représente les grands acteurs français de la place financière de Paris, pour que la France renforce ses instruments financiers de soutien aux grands projets d’infrastructures ou d’énergie à l’étranger dans lesquels sont impliqués de grandes entreprises tricolores comme Engie. La Sfil y jouera un rôle en matière de refinancement***.
On n’aurait pas été complet sans préciser que la garantie de change, que Bpifrance assurance export a entrepris de relancer, a été étendue à 11 devises.
Objectif de ce renforcement tous azimuts : avoir la gamme la plus complète possible d’outils financiers de soutien à l’export. Et ce n’est pas fini : « On ne va pas s’arrêter là, a lancé Thomas Courbe. On fera évoluer les outils en fonction des besoins des entreprises ».
Reste à faire davantage connaître toute la palette de cet arsenal à des entreprises encore souvent mal informées : ce sera l’un des défis à relever par les « guichets uniques » sur les territoires, pour qu’ils tiennent l’objectif d’augmenter le nombre d’exportateurs à 200 000 à la fin du quinquennat, au lieu de 125 000 actuellement. « Il y a une mobilisation qui ne se fait pas seulement ici, mais partout dans les territoires » a tenu à souligner Marie Lebec. Cette mobilisation sera indispensable pour faire connaître toutes les possibilités offertes par ce nouvel arsenal aux entreprises.
Christine Gilguy
*Aides à l’export : le binôme Yung-Kayser remet ses propositions aux ministres
**La carte de la PAC 2018 ainsi est consultable en ligne au lien suivant : www.tresor.economie.gouv.fr/
***Financements / Export : la discrète montée en puissance de la Sfil
Pour prolonger :
–Financements / Export : Bpifrance confirmée comme « guichet unique » pour la reconquête
–Grand Est / Export : L. Merabet apprécie la nouvelle approche « sur-mesure » de Business France
– Spécial commerce extérieur : 19 mesures pour réduire le millefeuille et doper les exportateurs
– L’Etat veut aussi simplifier le millefeuille des filières sectorielles
Et aussi :
– Commerce extérieur : en attendant de nouvelles « cathédrales industrielles »
– Commerce extérieur : le plongeon du déficit des biens plombe le bilan 2017
– Notre dossier paru fin novembre 2017 dans un numéro spécial du Moci (2048-2049) : 200 000 exportateurs en 2022, enquête sur un défi français