Avec une première demi-journée sous le slogan « Be global », le Medef avait résolument mis cette année l’international au cœur du programme de ses universités d’été 2017, les 29 et 30 août, sur un pied d’égalité avec les séquences suivantes intitulées « Be smart » (innovation) et « Be entrepreneur » (entrepreneuriat). Avec la volonté manifeste de faire passer aux 2000 à 3000 chefs d’entreprises présents, à côté des demandes traditionnelles adressées au gouvernement en place, le nouveau message martelé par Pierre Gattaz en ouverture : d’ici 2030, il faut travailler à l’élaboration d’un nouveau modèle français « pleinement intégré au monde », en « mode gagnant-gagnant », et les entreprises doivent y prendre leur part.
Le signe d’une volonté de tirer les leçons des traumatismes de la récente campagne électorale, marquée par la montée des discours populistes et le rejet d’une mondialisation sans garde-fous, ainsi que par une déroute des partis traditionnels.
Pierre Gattaz aux patrons : il faudra passer « du combat à la conquête »
Venant d’un président du Medef venu de l’industrie et en fin de mandat, qui ne se représente pas mais a pris à cœur de faire bouger la culture encore trop peu internationale de beaucoup de patrons français, cela signifie : les Français, et encore moins les chefs d’entreprises, ne doivent pas avoir peur de l’ouverture des marchés et de la mondialisation, ils doivent au contraire y défendre leurs atouts. Et si le gouvernement doit de son côté aller au bout des réformes promises en matière de marché du travail, de fiscalité, de simplification, de formation professionnelle, ensuite, il faudra « passer du combat à la conquête ».
A cet égard, il est notable que les deux initiatives concrètes citées par Pierre Gattaz en exemple de cet « esprit de conquête » censé être « l’ADN » des chefs d’entreprises, concernent, justement, l’international : les nombreuses délégations conduites par le président du Medef à l’étranger –la prochaine en Inde dans un mois- et le programme de coaching des chefs d’entreprises sur leur stratégie export mené par Stratexio, une association que soutient le Medef.
Du coup, malgré un agenda surchargé par la Semaine des ambassadeurs qui se déroulait au même moment*, le tandem en charge de la diplomatie économique et du commerce extérieur au gouvernement, Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et Jean-Baptiste Lemoyne, son secrétaire d’Etat multifonctions, ont fait partie de la demie douzaine de membres du gouvernement qui se sont déplacés sur le campus d’HEC à Cergy Pontoise pour aller à la rencontre des patrons.
Libre-échange : de la pédagogie à l’occasion de l’entrée en vigueur du CETA
Le secrétaire d’Etat a participé à une table-ronde le 29 août sur « quel commerce international demain ? », avec Carmel Cahill, directrice adjointe des Echanges et de l’Agriculture à l’OCDE, Marie-Christine Coisne-Roquette, présidente de Sonepar, Pankaij R. Patel, président de la Fédération des chambres de commerce (FICCI) indienne et de la société pharmaceutique Zydus-Cadila Healthcare Ltd, Benoit Potier, le P-dg d’Air Liquide, Dominique Seau, président de groupe Eminence et Fei Zhaohui, président de la filiale française de la Export-Import Bank of China.
Il y a été beaucoup question de la nécessité d’un commerce « inclusif », autrement dit un commerce international bénéficiant davantage aux gens, ainsi que sans barrières discriminantes de type tarifaire ou réglementaires, et de pédagogie pour expliquer l’utilité de chaînes de valeur international pour créer ou préserver l’emploi et les savoir-faire en France.
A l’instar d’Eminence, leader du sous-vêtement masculin français, qui a pu préserver 500 emplois dans son usine gardoise –jusqu’à 2000 personnes avant la libéralisation du commerce textile au milieu des années 2000- et en compte 900 au total en Europe, en délocalisant la production de produits d’entrée de gamme dans des pays à bas coûts. « Mais 50 % des produits passent par les usines françaises » a indiqué Dominique Seau. Il a aussi précisé qu’un certain nombre de services et des activités de productions étaient maintenues dans le Gard. « Le moins bien payé des salariés est 12 % au dessus du SMIC et nous avons une prime de productivité de 9 %, plus de l’intéressement selon les années ».
De la pédagogie sur le libre échange et les chaînes de valeur internationale, qui incitent à mieux prendre en considération où se fait la valeur ajoutée, le secrétaire d’Etat en a promis « à l’occasion de l’entrée en vigueur du traité global avec le Canada, le CETA (Comprehensive economic and trade agreement), prévue le 21 septembre », signalant au passage que le Medef ferait un événement autour de cet accord le 29 septembre. Et de proposer que « l’on prenne tous notre bâton de pèlerin pour raconter la vraie vie des entreprises dans le monde ».
Export : J-Y Le Drian partage ses recettes avec les patrons
Le soir même, le patron du Quai d’Orsay a profité de sa présence sur une plénière consacrée à « quelle équipe de France pour conquérir le monde ? » et retransmise en direct sur une chaîne d’information en continue, pour exposer à sa manière un peu martiale mais décomplexée, comment il voyait son « Equipe de France à l’étranger ». Non sans décrocher quelques applaudissements de l’assistance.
Pour commencer, il n’a pas manqué de rappeler au millier de patrons présents, un peu ironiquement, qu’il avait « une petite expérience passée » à l’exportation en tant que ministre de la défense (2012-2017), dont quelques Rafale et autres engins de défense, dont un contrat de sous-marins d’un montant record de 34 milliards d’euros avec l’Australie, remporté contre toute attente. Pour lui, il s’agit donc simplement « de faire en sorte que cette expérience de vendeur puisse être généralisé ».
En introduction, les leçons opérationnelle à retenir de ses succès export à la Défense. « Il faut un bon produit made in France », avec une « fierté de ce que l’on a », il faut « répondre à la demande du client » et seulement celle-là ; il faut « agir dans une unité d’action », ce qui implique une certaine « discipline » ; il faut « chasser en meute » ; et, last but not the least, il faut avoir de la « discrétion », autrement dit ne dire qu’on a gagné « que quand c’est le client qui le dit ».
Grands contrats : prêt à mouiller sa chemise
L’exposé aurait pu tout aussi bien être livré à des étudiants d’HEC ! Cela n’a pas manqué de susciter l’intérêt des autres membres du panel Jean-Paul Agon, P-dg de l’Oréal, Fabienne Dulac, directrice exécutive d’Orange France, de Raphaël Enthoven, professeur de philosophie et Claude Onesta, manager général des « experts », surnom donné à l’équipe de France masculine de handball.
Comment les mettre en application dans le civil ? « Il faudra réorganiser un certain nombre de dispositifs » a indiqué l’ancien ministre de la Défense, sans en dire plus, sinon qu’il faisait partie de la feuille de route fixée par le président de la république et le Premier ministre de faire des propositions de réformes avant la fin de l’année.
Pour ce qui concerne les grands contrats, c’est un véritable appel à projet qu’a lancé le ministre de l’Europe et des affaires étrangères aux patrons de grandes entreprises présents en réaffirmant qu’il souhaitait « procéder de la même manière que pour les contrats de défense ». « Je suis prêt » a-t-il encore lancé, rappelant qu’il n’avait pas hésité à mouiller sa chemise et se déplacer 14 fois aux Emirats arabes unis, 15 fois en Egypte, et 4 fois en Australie pour soutenir la signature de grands contrats de défense…
PME-ETI : au-delà des « guichets uniques », « une culture de l’export »
Quant aux PME et ETI, ce sont les fameux « guichets uniques » pour l’accès au dispositif d’accompagnement export que le ministre ne manque pas une occasion d’évoquer depuis quelques semaines, « point d’entrée au départ dans les territoires et point d’entrée à l’arrivée », qui doivent vaincre leur « appréhension » et permettre d’augmenter de 125000 à 200000 le nombre de PME et ETI exportatrices.
Mais la transformation suppose « de surmonter les corporatismes divers et variés, y compris au sein du patronat ». Ensuite, il faudra « désigner qui fait quoi », et cela ne se fera pas sans échanger avec les différents acteurs, la même solution ne pouvant être mise en œuvre « en Azerbaïdjan et en Chine ». Quant aux cibles géographiques, elles devront être définies dans le cadre d’un dialogue avec les fédérations.
Au-delà de cette feuille de route, « il faut créer une culture de l’export dans les PME » a martelé le ministre, qui connaît bien ce sujet pour avoir longtemps présidé la Région Bretagne. Ses appels ont-ils étaient entendus ? A suivre dans les prochains déplacements du ministre à l’étranger …
Christine Gilguy
*Commerce extérieur / Aides : J-Y Le Drian relance le chantier des «guichets uniques» de l’export
Pour prolonger :
Lire l’entretien exclusif avec J-B Lemoyne paru dans la Lettre confidentielle du Moci : « Il y a un moment où on a besoin de faire un ‘big bang’ »
Et aussi : Business France/ Gouvernance : un binôme de managers public-privé pour conduire le changement