Pour qui pourrait encore penser que le risque politique est l’apanage des économies émergentes, le traditionnel colloque Risques Pays de Coface*, que l’assureur-crédit a organisé cette année au Palais des congrès le 23 janvier, a montré qu’il n’en était rien.
À cet égard, les résultats d’un vote électronique organisé en cours de matinée, auxquels étaient conviés les 1 200 inscrits (cadres et dirigeants représentant au total 52 pays), ont été on ne peut plus clairs. Leurs deux principales préoccupations du moment en Europe de l’Ouest sont d’ordre politique : en tête, à une majorité écrasante et sans surprise, le ‘Brexit‘. Puis, au second rang, de façon plus surprenante, les tensions fortes entre la Pologne et l’Union européenne (UE). Rappelons que cette dernière a déclenché le 20 décembre dernier une procédure sans précédent contre cet État membre pour « violation grave de l’État de droit », en référence aux réformes du système judiciaire mettant en péril l’indépendance de la justice.
A. Campbell : « L’économie britannique va encore se dégrader »
La gouvernance du monde inquiète en Europe de l’Ouest, comme elle inquiète dans le reste de la planète, depuis l’élection à la présidence américaine de Donald Trump. S’exprimant en français, le consultant Alastair Campbell, ancien directeur de la Communication et de la stratégie du Premier ministre travailliste Tony Blair, n’a pas eu de mots assez durs pour qualifier la politique de sortie de l’UE de Theresa May, Première ministre du Royaume-Uni depuis 2016. Cette conservatrice, pourtant opposée au « Brexit », avait endossé le choix référendaire du ‘Yes’ après la démission de son prédécesseur David Cameron.
Mais il a encore plus fustigé l’action du « menteur » devenu « ministre des Affaires étrangères », le Brexiter Boris Johnson. Pour l’ancien conseiller de Tony Blair, « la chute de la livre sterling après le vote pour la sortie de l’UE était déjà un signal ». Selon lui, la possibilité que le Royaume-Uni remette en cause son départ de l’UE n’est pas nulle, même si, objectivement, elle est réduite, de l’ordre de « 15 % de chances ». « L’économie britannique va encore se dégrader et le Parlement pourrait alors voter contre la sortie effective. Dans ce cas, on pourrait dans un nouveau référendum convaincre le peuple de ne pas choisir le déclin », expliquait Alastair Campbell.
« Nous allons suivre cela. Sans conteste, le Brexit est ce qui va nous préoccuper le plus en 2018. Pour autant, je remarque qu’il donne une certaine cohésion aux États membres par défaut », soulignait Olivier Khayat, codirecteur de la division CIB (Corporate & Investment Banking) et membre du comité exécutif du groupe Unicredit. Non seulement « l’incertitude du Brexit est levée », puisque les négociations sont vraiment entamées depuis que Londres a accepté les conditions préalables de l’UE (frontière irlando-britannique, facture du Brexit, droits des expatriés), mais il observait aussi avec satisfaction qu’aucun autre pays n’était tenté de suivre l’exemple britannique.
Quatre types de crise à vaincre en Europe
S’agissant de la Pologne, voici un pays, qui, comme l’ensemble de l’Europe centrale orientale, a vocation à entrer dans la zone euro et bénéficie largement des fonds structurels « pour arriver à une convergence économique avec des investissements publics », remarquait Natacha Valla, chef de la division Politique et stratégie à la Banque européenne d’investissement (BEI). Et pourtant relevait Tania Sollogoub, économiste chargée de projet Risques politiques au Crédit Agricole, la Pologne adopte une « politique nationaliste ».
Varsovie donne ainsi l’impression de rejeter certaines valeurs européennes. Le risque pour la construction européenne est aujourd’hui que cette politique soit également suivie par les autres États membres du groupe de Visegrad : Hongrie, République tchèque, Slovaquie.
Pour Tania Sollogoub, les gouvernements européens sont confrontés à quatre types de crises, qui s’enchaînent :
-1/Identitaire. « Les citoyens disent : on a perdu notre place dans la mondialisation, notamment financière ». S’y ajoute, selon elle, le sentiment d’injustice qui se traduit par le chômage, les inégalités et l’exclusion.
-2/ Puis un taux d’abstention toujours plus élevé aux élections. Il y a forte défiance par rapport aux politiques, ce qui crée « un vide politique », comblée par les partis et les personnalités antisystème.
-3/ Une crise de légitimité en découle. La traduction en est le mouvement de « dégagisme » des élites en place et le rejet des modèles que sont la démocratie, le multilatéralisme et le libéralisme économique.
-4/ Enfin, certains chocs sont mal vécus. Ce sont les migrations, la crise économique de 2009 et le terrorisme. La peur du déclassement est encore plus forte. S’y ajoute la dénonciation de la corruption.
Dans ces conditions, soutenait la dirigeante de Crédit Agricole, « les gouvernements cherchent à retrouver de la légitimité ». Si Emmanuel Macron a choisi « d’incarner son pays », la Pologne a, elle, choisi, le nationalisme. Il y aurait, toutefois, une troisième voie, qui est empruntée en Turquie par le président Erdogan et en Russie par son homologue Vladimir Poutine, celle de la personnification.
Macron et Merkel pour un leadership européen ?
Le maître du Kremlin a réussi à ce que son pays « possède une influence politique qui ne reflète pas la véritable faiblesse de son économie », pointait Alastair Campbell. La « renaissance » de la Russie serait ainsi basée sur le « nationalisme ». Poutine et Trump auraient des comportements assez semblables, comme l’utilisation des fake news et le populisme.
Fort heureusement, les deux leaders, russe et américain, agiraient « comme des repoussoirs » sur le Vieux Continent. Une chance, assurait-il, pour que « l’Europe montre sa vraie capacité politique à assurer le leadership ». Le leader naturel en Europe ces dix dernières année, Angela Merkel, est, toutefois, empêtré dans d’âpres négociations pour former une coalition en Allemagne.
« J’ai rencontré une fois le président français. Emmanuel Macron a une confiance remarquable en lui. Il est vraiment énergique », s’est félicité Alastair Campbell. Mais il n’a pas caché non plus son espoir que l’Europe puisse encore compter à l’avenir sur « l’expérimentée » chancelière allemande.
François Pargny
*Lire également : Risques pays / Export : les risques politiques gâchent l’embellie mondiale, selon Coface
Pour prolonger :
– Royaume Uni / France : face au ‘Brexit’, les fédérations jouent la carte franco-allemande
– UE / Agroalimentaire : les grands perdants d’un “hard Brexit
– Royaume-Uni / UE : le rôle majeur de la France dans les coulisses du ‘Brexit
– Risque pays / Export : Credendo s’inquiète de l’augmentation des risques politiques
Et aussi :
Atlas des risques pays – 9e édition, 2017 (Le Moci)