Pour Étienne Vauchez, ni l’euro fort, ni un coût du travail trop élevé ne sont à l’origine de nos contre-performances à l’exportation. Les causes ? Des approches dépassées de la pratique de l’exportation. Or, l’export est indispensable à la réussite de tout plan de soutien à l’industrie ou aux services. Alors comment faire ? Cet entrepreneur et président de la fédération OSCI, qui regroupe sociétés d’accompagnement, de gestion export et de négoce international, livre une vision à contre-courant de nombre d’analyses dominantes dans son livre/essai « L’export est l’avenir de la France », dont Le Moci est l’éditeur. Publié entre les deux tours de l’élection présidentielle, un exemplaire a été adressé à chacun des 11 candidats avant le premier tour du 23 avril. En avant-première pour la Lettre confidentielle du Moci, Étienne Vauchez revient sur quelques uns des thèmes forts de ce livre.
Le Moci. Dans cette campagne électorale, l’international, le commerce extérieur, ne sont pas abordés et ne sont même pas évoqués comme moteurs possibles pour relancer la croissance. On est plutôt dans un débat pour ou contre l’euro, pour ou contre le protectionnisme… Pas très encourageant pour votre propos, qui présente au contraire l’export comme une des voies pour renouer avec la croissance…
Étienne Vauchez. Cet attrait pour le protectionnisme c’est la conséquence des raisonnements simplistes sur les causes de nos difficultés à l’export, que j’évoque dans mon livre : on entend dire partout que si on ne réussit pas à l’export, c’est à cause de l’euro ou du coût du travail, parce qu’on a des salaires et des charges élevés par rapport à la moyenne du reste du monde ; on laisse se développer une logique où l’on associe baisse des salaires et mondialisation ; comme personne ne souhaite que les salaires baissent en France, la réponse c’est qu’il faudrait se réfugier dans le protectionnisme. Tout ceci est complètement faux mais il y a une cohérence apparente qui apparemment suffit dans le débat politique.
Bien sûr qu’on peut tout à fait réussir à l’export et profiter de la mondialisation avec des salaires élevés et une devise forte. Prenons le seul exemple de la Suisse : les salaires y sont une fois et demie à deux fois plus élevés qu’en France mais cela n’empêche pas la Suisse d’être un très grand pays exportateur avec un excédent commercial colossal de l’ordre d’une cinquantaine de milliards. On peut réussir nous aussi, en s’y prenant mieux et en utilisant nos propres forces.
« Un président qui s’intéresserait sérieusement à cette question, ce serait une bonne nouvelle »
Le Moci. Puisque votre livre sort entre les deux tours, quelles sont vos recommandations aux candidats ?
Étienne Vauchez. Je leur recommanderais d’abord de s’intéresser à l’exportation française ! Je sais qu’ils ont beaucoup de sujets à traiter, mais il faut bien comprendre que si on veut relancer l’industrie française, et c’est un objectif affiché par tous les candidats, c’est très bien d’envisager des plans stratégiques et des investissements structurants, mais on ne fera rien en ne misant que sur le marché national. Cela ne servira à rien si à un moment donné on n’a pas aussi fait un effort sur la manière dont on amène les entreprises au succès à l’international.
On peut d’ailleurs se poser la question suivante: l’impact des 5 milliards de CIR (crédit d’impôt recherche) que l’on dépense dans l’économie française depuis 10 ans, n’est-il pas finalement limité par le manque de compétence des entreprises dans la pratique de l’exportation ? Vous avez beau avoir un produit magnifique, si vous ne savez pas l’exporter, cela ne servira à rien. Le facteur limitant de la croissance française ne serait-il pas, au fond, la faible capacité du pays à mettre en œuvre des stratégies d’exportation, notamment au sein des PME ? C’est ce que je crois. Un Président qui s’intéresserait sérieusement à cette question ouvrirait un débat public qui permettrait de faire progresser notre conception de l’exportation.
« Il faut cesser de considérer l’export comme la simple vente d’un produit à l’étranger ! »
Le Moci. Vous l’avez évoqué, pour vous, l’une des principales faiblesses de l’appareil exportateur français, en particulier dans les PME, c’est le manque de compétence. Que voulez-vous dire exactement ?
Étienne Vauchez. Il faut cesser de considérer l’export comme la simple vente d’un produit à l’étranger ! Selon moi cette pratique de l’exportation s’épuise ; aujourd’hui exporter cela signifie tirer parti des opportunités d’un marché et comprendre la meilleure manière d’y gagner de l’argent ; pour cela il faut y envoyer un profil qui ressemble davantage à un entrepreneur qu’à un commercial. Quelqu’un qui va chercher à savoir comment, à partir des savoir-faire de l’entreprise, il va pouvoir tirer le meilleur parti du marché avec un business model rentable.
Un exemple très simple : sur les marchés africains, pour un fabricant de machines agricoles, vendre ses machines est-il le meilleur business model pour y gagner de l’argent ? Ne vaut-il pas mieux créer une société locale de location de machines agricoles, qui rendra son offre plus accessibles aux paysans ? C’est une évolution du business model pour tirer parti d’un marché qui a une demande forte, mais structurée différemment que celle que nous connaissons. Et cela demande beaucoup de compétences : linguistiques, en adaptation de produits, en création de business model, en exécution de projet, etc.
Le Moci. Pourtant la France ne manque pas d’écoles de commerce…
Étienne Vauchez. Les écoles de commerce ont assez peu d’enseignements d’ « international business», elles sont davantage portées sur le business en général et leurs enseignements internationaux sont orientés sur les besoins des grandes entreprises. On manque d’enseignements sur la pratique de « l’international business » dans les PME.
La vraie formation à l’international business pourrait être le V.I.E – volontariat international en entreprise- une formule que l’on devrait davantage orienter comme une « formation – action ». Le V.I.E est un levier formidable, probablement plus de la moitié des cadres qui opèrent à l’international sont passés par là. Mais on devrait faire un effort pour accompagner davantage la montée en compétences des V.I.E durant leur mission.
La gestion et le développement de la compétence (interne et externe) doit être l’obsession des exportateurs dans une économie globalisée où les partenaires locaux et les marchés veulent sentir que vous êtes complètement local. Aujourd’hui, vous ne pouvez plus vous contenter de proposer à un importateur de vendre votre produit, comme dans les années 80 ou 90 ; il faut lui proposer de créer de la valeur avec plus de service, plus de soutien, plus de marketing, plus de financement, etc. Et cela nécessite beaucoup plus de compétences.
La collaboration ? « J’y crois infiniment, c’est une clé pour réussir»
Le Moci. Une solution, selon vous, serait justement de soutenir l’exportation collaborative, qui revient à inciter les PME à ne pas aller seules là où elles ne sont pas compétentes. Mais est-ce une pratique qui peut réussir en France où les PME sont plutôt réputées solitaires, et où la coopération grands groupes / PME peine à se généraliser ?
Étienne Vauchez. J’y crois infiniment, c’est une vraie clé pour réussir. Je raconte dans le livre une anecdote qui m’a beaucoup frappé. A l’époque où nous faisions du conseil pour aider les entreprises italiennes à exporter, dans les années 2000, j’ai croisé des gars qui exportaient en Suède sans parler un mot d’anglais ni être « compétents pour vendre en Suède », mais qui avaient l’intelligence d’en être conscients et qui mettaient donc leur énergie à trouver des collaborations avec des Italiens déjà présents en Suède. Savoir qu’on ne sait pas et trouver la stratégie adéquate pour y remédier est très important ! La première étape de la gestion de la compétence c’est de savoir ce qu’on ne sait pas faire.
La tradition de la collaboration entre exportateurs existe déjà en France : il y a les clubs export, les chambres de commerce françaises à l’étranger, les groupements de conseillers du commerce extérieur (CCE) à l’étranger. Mais on a laissé cette tradition s’étioler, peut-être parce que parfois le partage est devenu superficiel. Il faut réactiver ces pratiques, et créer des partages beaucoup plus près du business : partager des informations commerciales, des stratégies d’expansion. C’est le cas dans les accélérateurs de Bpifrance ou dans les clubs Stratexio, et ça marche !
Le Moci. A l’instar des Allemands ou des Italiens ?
Étienne Vauchez. Comment font les Allemands ? Au début de son expansion internationale toute PME allemande procède par collaboration, entre exportateurs, ou avec des agents ou sociétés de commerce. La fédération allemande des sociétés de commerce est, de ce fait, beaucoup plus puissante que la nôtre. Comment ont fait les Italiens, qui avaient comme nous plein de petites PME de province qui n’exportaient pas? Ils les ont réunies et ils ont fait de la collaboration. Et à présent, comme elles ont réussi à générer du revenu international, les PME italiennes montent en gamme et en compétence.
Nous on est un peu des exportateurs idéalistes, on vise tout de suite la stratégie la plus compliquée et la plus risquée: je vais dans un pays, je participe à un salon, je rencontre des clients ou des distributeurs, je les suis pendant des mois et des mois, des années parfois, je mets en place un commercial local, et après je vends (ou pas), et tout cela en solo. Sur le papier c’est magnifique ; mais combien de PME sont capables de réussir tout ce parcours ? Apparemment pas tant que ça si on regarde les statistiques des douanes.
« Il est étonnant qu’un ensemble d’acteurs affichant chacun de très bons bilans produisent un résultat collectif aussi mauvais »
Le Moci. Vous prêchez pour votre paroisse, les sociétés d’accompagnement et de négoce membres de l’organisation que vous présidez, l’OSCI, non ?
Étienne Vauchez. Evidemment, je prêche pour ma paroisse, mais en même temps, à la base, l’exportation collaborative se passe d’abord entre exportateurs, plus qu’avec les SAI ou les SCI. La première chose que l’on préconise aux exportateurs c’est : organisez-vous pour partager entre vous.
Le Moci. Votre diagnostic de l’efficacité de notre dispositif d’aide à l’exportation est sévère : 40 organismes représentés au sein du conseil stratégique de l’export créé par Matthias Fekl lorsqu’il était au Commerce extérieur, dont l’OSCI mais aussi Bpifrance, Business France, les chambres de commerce, les CCE, etc., mais un déficit commercial qui reste abyssal. Pourquoi cela donne-t-il aussi peu de résultats ?
Étienne Vauchez. Ce qui est frappant, c’est que chacune de ces organisations, l’OSCI la première, est très contente de ce qu’elle fait et affiche de très bons résultats. Il est étonnant qu’un ensemble d’acteurs affichant chacun d’aussi bons bilans produisent un résultat collectif aussi mauvais. Et je ne parle même pas du déficit, je pense au fait que depuis presque vingt ans, les exportations françaises n’ont pratiquement pas augmenté en valeur, alors que sur la même période le PIB mondial a été multiplié par deux. Il est frustrant de constater que le monde croît à une vitesse fulgurante et que nous nous ne bougeons pas.
C’est toujours difficile de faire évoluer des institutions, mais c’est encore plus difficile de faire bouger un ensemble de gens qui sont tous très fiers de ce qu’ils font, et qui refusent d’assumer leur part de l’échec collectif. Mais il y a quelques évidences que tout le monde devrait comprendre.
Par exemple, revenons sur l’angle de la compétence : il y en a beaucoup dans l’ensemble du dispositif français d’accompagnement, qui est riche et diversifié, avec des acteurs qui viennent de l’associatif, du consulaire, des agencs d’État, du secteur privé, etc. Mais il est clair que lorsqu’une entreprise entre par un maillon du réseau, il y a très peu de chance qu’elle profite de l’ensemble du système, de sorte qu’elle va malheureusement utiliser une fraction très faible de la compétence qui existe dans l’ensemble du dispositif d’accompagnement. Et c’est très dommage.
Certes il commence à y avoir des passerelles, mais tant que les opérateurs auront entre eux des « overlap » – des chevauchements d’activités similaires donc concurrentes – même minimes, ces passerelles resteront très difficiles à faire fonctionner car chacun des réseaux d’accompagnement aura peur de se faire piquer ses clients par les autres.
En Allemagne « chacun à son territoire et participe à un grand organisme qui s’appelle l’exportation allemande »
Le Moci. Comment y remédier ?
Étienne Vauchez. Il y a deux manières d’organiser le dispositif d’accompagnement selon moi : le marché ou la spécialisation.
Soit on prend la logique du marché, la concurrence par les prix et la performance, comme dans de nombreux secteurs des services aux entreprises ; tous les acteurs de l’accompagnement seraient alors en concurrence et personne, aucun point d’entrée ne serait privilégié, ni par des subventions ou impôts collectés, ni par des positions privilégiées de « point d’entrée unique », etc., c’est l’exportateur qui recevraient les incentives et qui ferait son marché parmi des prestataires agissant tous en concurrence loyale entre eux. C’est une première solution, qui peut sembler radicale dans notre secteur, mais qui est celle qui a été choisie pour organiser tous les marchés des services aux entreprises : services juridiques, comptables, informatiques, etc. Sans que personne ne s’en plaigne.
L’autre logique, c’est la spécialisation organique, à l’allemande, avec une gouvernance qui décide de ce que fait spécifiquement chaque organisation, et que les autres ne font pas ; du coup, comme il n’y pas « d’overlap », chaque organisation a intérêt à collaborer avec les autres et à faire vivre ensemble l’appareil exportateur français ; un peu comme un cœur et un poumon contribuent chacun à faire vivre notre organisme car ils n’entrent jamais en concurrence. Ainsi en Allemagne, Auma organise uniquement les stands sur les salons internationaux, les chambres de commerce organisent les missions, GTAI organise l’information, des cercles d’entreprises organisent la collaboration, etc. Chacun a son propre territoire et apporte sa contribution à un grand organisme qui s’appelle l’exportation allemande.
Aujourd’hui notre système est hybride, avec certains acteurs qui ont des positions privilégiées et d’autres non -sans que cela soit une critique puisqu’il y a des notions de service public qui peuvent être justifiées-, il y a un certain degré de spécialisation mais également des chevauchements, il y a une course au chiffre d’affaires même chez des acteurs publics. Du coup ce n’est pas efficace.
Le Moci. Pour quelle option penchez-vous ?
Étienne Vauchez. Il y a vraiment des améliorations à apporter à notre dispositif d’accompagnement pour que les entreprises en exploitent toutes les compétences, soit avec l’approche organique de la spécialisation, soit avec une approche de concurrence par le marché. Ce n’est pas simple à trancher, mais il faut imaginer un dispositif qui permette aux exportateurs de mieux exploiter toutes les compétences disponibles. A cet égard, je pense que ce qu’a fait Matthias Fekl est un bon point de départ : il a créé les conditions pour que les différents acteurs se connaissent, s’apprécient, commencent à se parler, à se relier, bref soient relativement apaisés, ce qui est le préalable à tout forme de négociation. Mais il n’a pas résolu les problèmes clés que sont les « overlap ».
Ensuite il y a un gros sujet sur le financement et les Régions. Il y a beaucoup d’argent dans les subventions régionales, et on aurait peut-être avantage à trouver un modèle un peu plus homogène d’une région à l’autre ; c’est peut-être un vœu pieux mais on peut toujours rêver. Surtout on pourrait inciter les régions à abandonner les subventions et passer au système des avances remboursables en cas de succès : je crois beaucoup à ce système pour responsabiliser les chefs d’entreprises, leur mettre en tête tout de suite le souci de rentabilité.
Le Moci. Aimeriez-vous être ministre du Commerce extérieur ?
Étienne Vauchez. Un jour pourquoi pas ? L’export c’est un sujet qui me passionne depuis toujours. Dès la sortie de l’X j’ai commencé à faire du commerce international, j’étais le deuxième ou le troisième polytechnicien à faire ça, c’était donc assez rare. J’ai commencé par aider les PME clientes du groupe Crédit agricole à exporter, plus tard j’ai exporté les services de ma propre entreprise. Maintenant j’anime la fédération de l’OSCI, pour faire grandir les sociétés d’accompagnement et de commerce international. Et il y a le think tank la Fabrique de l’exportation que j’ai contribué à fonder, c’est une manière aussi d’approfondir la réflexion sur le commerce international.
Bref tous les moyens sont bons pour faire progresser la pratique de l’exportation dans notre pays. Cela me fait mal au cœur de voir qu’on n’utilise pas suffisamment ce levier alors que pour beaucoup de pays européens, le miel de la croissance c’est l’exportation. Regardez l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les pays du Benelux, les scandinaves : tous ces pays que je côtoie avec mon entreprise s’en sortent en grande partie grâce à l’export. Et nous on végète à l’export, et on végète en général ; il y a peut-être une corrélation non ?
Propos recueillis par
Christine Gilguy
* L’export est l’avenir de la France, Étienne Vauchez, édition Le Moci, avril 2017. L’ouvrage peut être commandé en ligne sur le site le moci.com, cliquez sur : www.lemoci.com/guides/