La riposte se fait attendre… La stratégie de Donald Trump laisse les Européens perplexes et met à jour leur difficulté à tenir une position commerciale commune claire. Après avoir confirmé, le 8 mars passé, sa volonté d’imposer unilatéralement des taxes de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium, il semblait adoucir sa position promettant des exceptions pour les pays « amis ». Mais très vite, il s’est avéré que le président des États-Unis aurait une approche au cas par cas, avec une notion très personnelle du concept de « pays amis ».
Pas de clarification sur les exemptions
Parmi ceux-ci figurent notamment le Mexique et le Canada avec qui Washington renégocie actuellement l’accord de libre-échange nord-américain (Alena). Mais le répit pourrait être de courte de durée pour ces deux États. Car si les discussions n’étaient pas favorables aux États-Unis, les taxes s’appliqueraient à nouveau, a averti le président américain. « Partenaire de longue date », l’Australie pourrait aussi bénéficier d’un traitement de faveur mais pas un mot n’a été dit sur le sort réservé aux pays de l’UE.
Cécilia Malmström espérait clarifier la situation lors d’une rencontre organisée dès le 10 mars à Bruxelles avec son homologue américain Robert Lighthizer. Mais à l’issue de la réunion, la commissaire au Commerce annonçait qu’elle n’avait pu obtenir « de clarté immédiate sur la procédure américaine exacte pour être exemptés » de ces taxes, ajoutant que les discussions se poursuivraient la semaine suivante.
Guerre de communication autour des droits de douane
Mais entre temps, le ton est monté des deux côtés de l’Atlantique, avec une guerre de communication autour des niveaux de droits de douane. Après la réunion infructueuse du 10 mars entre les responsables européens et le représentant américain au Commerce, Donald Trump a envoyé le jour même une nouvelle salve de twitts répétant ses menaces de taxer les voitures européennes si l’UE ne démantelait pas ses « horribles obstacles et droits de douane sur les produits américains ». L’acier ne serait donc que le prélude à une offensive plus large menée contre les États du bloc européen ?
Car pour rentrer dans la catégorie des pays « amis » définie par le président américain, ceux-ci devront d’abord accepter de lever les obstacles tarifaires et réglementaires « injustes pour nos agriculteurs et fabricants », a renchéri Donald Trump le 12 mars.
Réponse de Bruxelles : « en picorant certains tarifs on rate le tableau global », se défend-on à la Commission. Car si les tarifs douaniers appliqués par l’Europe sur les importations de voitures américaines (10 %) sont plus élevés que ceux fixés par les États-Unis (2,5 %), Washington de son côté impose 25 % de taxes sur les camions et pick-up européens, contre 14 % pour l’UE, précise la Commission. Et de citer d’autres exemples de tarifs américains élevés sur certains produits européens : 48 % sur les chaussures, 12 % sur le textile et même 164 % sur les arachides.
La stratégie du fou ou « madman strategy »
A ce stade, la Commission se trouve donc face à un dilemme. Ayant décidé de retarder la mise en œuvre de sa riposte afin d’éviter une escalade dangereuse, prélude d’une guerre commerciale, elle ne peut pas non plus rester les bras croisés. « Nous n’avons pas peur et nous nous défendrons contre les intimidateurs », a averti le 12 mars la commissaire au Commerce.
Mais elle a conscience de marcher sur des œufs tant le président américain est imprévisible. « Le problème c’est que personne ne peut prévoir ses réactions », déplore un des ses collaborateurs, « avec Trump, toutes les règles ont changé ». Preuve que jusqu’ici c’est bien lui qui mène la danse.
Comme Nixon l’avait fait sur le terrain politique, lors de la guerre du Vietnam, l’hôte de la Maison Blanche semble désormais appliquer, au terrain économique, la stratégie du fou ou « madman strategy » qui consiste à laisser ses adversaires dans l’incertitude, leur faisant croire que tout est possible, que plus rien n’est interdit.
Jouant sur son caractère imprévisible, Donald Trump s’applique aussi à diviser ses partenaires, laissant volontairement planer le doute sur ceux qu’il considère comme des pays amis et ceux qui ne le sont pas. « En promettant au Canada, au Mexique ou à l’Australie des exemptions, il freine la possibilité d’une action commune auprès de l’OMC », analyse un expert des questions commerciales au Conseil.
Et cette autre stratégie visant à diviser pour mieux régner, il tente également de l’appliquer au sein de l’UE.
Le jeu de Theresa May
L’annonce d’une visite officielle de Liam Fox, le ministre britannique en charge du Commerce, la semaine prochaine à Washington, dans le but d’obtenir des exemptions pour son pays, ont alimenté ces craintes. Si la Commission a prévenu qu’un éventuel accord bilatéral serait illégal, tant que le ‘Brexit’ n’est pas officiellement prononcé, la nouvelle tombe mal alors que les tensions restent vives entre Londres et Bruxelles.
« Theresa May pourrait cependant tirer profit de la relation spéciale entre Londres et Washington pour tenter d’obtenir une exemption pour l’UE dans son ensemble », estime André Sapir, chercheur au sein de l’influent think tank Bruegel, cité par le site Euractiv. En tentant de faire cavalier seul les Britanniques risqueraient en effet de voir leur position fragilisée dans le cadre des pourparlers en cours. Une victoire diplomatique pourrait au contraire leur faire gagner des points.
Engager des rétorsions à la hauteur du préjudice subi
Mais si l’UE ne « réagit pas très vite », les mesures annoncées par Donald Trump « pourraient avoir des conséquences dramatiques sur l’industrie européenne », avertit Yannick Jadot, eurodéputé français du groupe des Verts et vice-président de la Commission commerce internationale au Parlement européen. « L’Union européenne a une politique commerciale commune mais peine terriblement à bâtir une diplomatie commerciale commune. Trop souvent divisée face à la Chine ou d’autres, elle apparaît au mieux naïve géopolitiquement, au pire incapable de défendre son industrie et ses emplois », ajoute-t-il.
Sans chercher l’escalade, l’UE doit donc engager des rétorsions à la hauteur du préjudice subi. C’est en substance le message répété par les eurodéputés lors d’un débat organisé le 14 mars en plénière à Strasbourg, en présence de Cecilia Malmström. Pour Yannick Jadot, la réponse, à plus long terme, devra passer par la mise en œuvre d’une politique industrielle commune. A l’instar d’Emmanuel Macron, il défend lui aussi l’instauration d’un « Buy European Act dans nos marchés publics qui définirait nos enjeux économiques stratégiques ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–États-Unis / Protectionnisme : comment l’UE prépare sa riposte
–États-Unis / Commerce : l’Europe vent debout contre les surtaxes sur l’acier et l’aluminium
–Où exporter en 2018 : protectionnisme, une menace qui entretient l’incertitude
–Etats-Unis / Protectionnisme : le projet de réforme fiscale américain inquiète les Européens
–Export / Commerce : le protectionnisme facteur d’aggravation des risques pays, selon Credendo