Au lendemain de l’annonce surprise de la suspension pour 90 jours des tarifs « réciproques » américains, Bruxelles a également décidé d’une pause dans la mise en place de ses contre-mesures. L’Union européenne (UE) va profiter de ces trois mois pour fourbir ses armes en cas de nouvelle salve américaine.
« Nous voulons donner une chance aux négociations ». Ursula von der Leyen a justifié en ces termes, jeudi 10 avril, la décision prise par l’UE de suspendre les contremesures à la hausse des droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium, adoptées la veille par les Vingt-Sept. Ce même jour, Donal Trump a en effet annoncé la suspension pour 90 jours des droits de douanes « réciproques » annoncés le 2 avril.
La taxe « plancher » de 10 % et la surtaxe de 25 % sur les produits de la filière automobile, présentées le même jour, sont en revanche toujours en vigueur, de même que les droits de douane de 25 % sur l’acier et l’aluminium décrétés en mars dernier par Washington.
Une « pause fragile » selon E. Macron
Si l’UE joue manifestement la désescalade, elle n’en continue pas moins à peaufiner une riposte. « Si les négociations ne sont pas satisfaisantes, nos contre-mesures entreront en vigueur, a ainsi déclaré la présidente de la Commission. Les travaux préparatoires sur d’autres contre-mesures se poursuivent. Comme je l’ai déjà dit, toutes les options restent sur la table. »
En France, Emmanuel Macron a qualifié sur X de « pause fragile » cette fenêtre de négociation équivalant selon lui à « quatre-vingt-dix jours d’incertitude pour toutes nos entreprises ». Partisan de la fermeté, le président français a appelé l’UE à « mobiliser tous les leviers disponibles pour se protéger, aussi pour éviter que des flux de pays tiers ne viennent déséquilibrer notre marché ».
De nombreuses filières craignent en effet que, le marché américain se fermant, la Chine et d’autres pays d’Asie ne réorientent leurs exportations vers le Vieux Continent dans des secteurs comme le textile ou l’électronique grand public.
Quatre-vingt-dix jours pour convaincre
Dans celui du vin, longtemps menacé d’une surtaxe de 25 %, cette pause de trois mois est une « une demi-bonne nouvelle », selon Nicolas Ozanam. Le président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (Fevs) a ainsi expliqué à Reuters que les exportations pouvaient reprendre avec un taux de 10 %, mais que « dans un contexte plutôt inflationniste, et avec un dollar qui glisse, cela va quand même entraîner une hausse des prix et donc une baisse de la consommation aux États-Unis ».
Pour l’heure, l’UE et les dirigeants européens multiplient les initiatives afin de faire avancer les négociations et d’obtenir l’annulations des droits de douane, américains et européens, sur les biens industriels.
Une délégation d’eurodéputés est à Washington en ce moment pour tenter de peser sur les décisions de l’administration Trump. Par ailleurs, les ministres des Finances de l’UE sont aujourd’hui 11 avril à Varsovie pour évaluer les conséquences de cet épisode douanier sur la croissance et les finances publiques des Vingt-Sept.
Pékin choisit le rapport de force
La présidente du Conseil italien Giorgia Meloni se rendra pour sa part à Washington la semaine prochaine. Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol, est quant à lui en ce moment en Chine pour plaider en faveur de relations apaisées avec l’UE.
A l’inverse de l’UE, l’ex-Empire du Milieu, bête noire du commerce extérieur américain, a choisi la manière forte. Pékin annoncé aujourd’hui porter à 125 % ses droits de douanes sur les importations en provenance des États-Unis, en réponse à la surtaxe de 145 % imposée par les Etats-Unis sur les biens chinois.
L’UE pourrait taxer les entreprises de la tech
Si la guerre est bien déclarée entre l’Ancien et le Vieux continents, la question est aujourd’hui de savoir de quelles cartes dispose l’Europe pour remporter la partie face à l’administration Trump.
Ursula von der Leyen a donné quelques pistes dans une interview au Financial Times, publiée le 10 avril. Elle y évoque la possibilité de cibler les services, de taxer les « Big Tech », d’imposer « une taxe sur les revenus publicitaires des services numériques », mais aussi le recours aux outils anti-coercition.
Cette guerre douanière passerait alors à la vitesse supérieure, ces outils juridiques européens prévoyant notamment l’impossibilité de réaliser certains investissements en Europe ou celle de ne plus pouvoir répondre aux appels d’offre des marchés publics européens.
Sophie Creusillet