Quelle politique commerciale mèneraient les États-Unis et avec quelles conséquences sur les flux commerciaux transatlantiques si Donald Trump venait à être élu ? Telle est la question à laquelle tentent de répondre de nombreux analystes. A son tour, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) vient de publier une étude inédite grâce à un outil d’analyse des politiques commerciales. Résultat : les envolées tarifaires prônées par le candidat républicain pourraient non seulement nuire aux flux avec l’Europe, mais également… aux États-Unis eux-mêmes.
Si Kamala Harris parle très peu de politique commerciale, Donald Trump a récemment multiplié les déclarations sur des hausses de droits de douane, toujours plus importantes et concernant plus de produits. Ce coup de barre vers un protectionnisme plus dur que celui mis en place lors de son premier mandat repose sur un discours valorisant la préservation des emplois et de la production américains. Suivant l’argumentaire trumpien, d’importantes hausses de droits de douane permettraient, en outre, de compenser la suppression de l’impôt sur le revenu, bête noire des Républicains.
Pour prendre la mesure des répercussions sur les échanges des États-Unis avec le reste du monde en cas de victoire de Donald Trump, l’économiste Antoine Bouët, chercheur au Cepii, et les deux co-auteurs de cette étude ont simulé une guerre commerciale d’ampleur en 2025. Pour ce faire, les trois chercheurs ont utilisé le modèle MIRAGE (Modelling International Relationships in Applied General Equilibrium). Développé par le Cepii, il incorpore notamment des éléments de concurrence imparfaite, de différenciation des produis par variété et gamme ainsi qu’une base de données des droits de douane et des accords commerciaux.
Canada et Mexique seraient les grands gagnants
Encore faut-il savoir ce qu’il est pertinent de modéliser. L’ex-président a en effet commencé par évoquer une hausse jusqu’à 100 % des droits de douane sur les marchandises en provenance de Chine et de 10 % pour toutes les autres provenances avant de proposer 20 %, puis 50 % (hors Chine). Finalement le scénario central retenu combine une hausse de 10 %, sauf sur les biens en provenance du Canada et du Mexique, pays avec lesquels les États-Unis ont un accord de libre-échange (USMCA), et une hausse de 60 % sur les produits fabriqués en Chine. A ces hausses correspondraient des mesures de rétorsion douanière, avec des hausses tarifaires identiques.
Premier constat : la promesse de remplacer les revenus de l’impôt par ceux des tarifs douaniers semble impossible à tenir. Les taxes sur les importations rapporteraient en effet 819,3 milliards de dollars (Md USD), un chiffre largement inférieur aux au montant réel de l’impôt fédéral sur le revenu (autour de 2 000 Md USD).
Deuxièmement, la géographie du commerce extérieur américain en sortirait profondément changée. En cas de guerre commerciale, les exportations chinoises vers les États-Unis reculeraient de 80,5 %, tandis que les exportations des États-Unis vers la Chine diminueraient de 58 %.
Les échanges mondiaux baisseraient de 3,4 % supplémentaires
Les exportations américaines vers toutes les destinations, à l’exception des pays de l’USMCA et du reste de l’Amérique, chuteraient d’au moins 20 % par rapport à leur évolution supposée sans modification des droits de douane. Toutefois, les exportations américaines vers le Canada et le Mexique augmenteraient de 4 % et de 16,8 % respectivement. Les importations américaines en provenance du Canada et du Mexique augmenteraient quant à elles 17,5 % et 33,6 %.
Nous assisterions clairement à une réorientation significative du commerce vers des voisins proches.
Selon le schéma ci-dessus, les exportations françaises vers la Chine seraient inférieures de 6 %, tandis que les importations françaises en provenance de la Chine augmenteraient de 7,1 %. L’ensemble du commerce mondial dévisserait de 3,4 %.
Cependant si Trump était élu et s’il souhaitait mettre en place une telle politique commerciale, il y aurait loin de la coupe aux lèvres. Pour modifier l’ensemble des droits de douane, le contrôle des deux chambres du Congrès par le parti républicain pourrait s’avérer nécessaire pour mettre en œuvre son projet, ce qui est loin d’être gagné. Quant au programme de Kamala Harris, s’il n’évoque pas de hausse des droits de douane, il reste néanmoins très discret sur le commerce en général.
Sophie Creusillet